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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

DVD d'opéra : Ercole amante de Cavalli

Ercole Amante Cavalli

Ce DVD est la captation de la magistrale production d'Ercole amante de Cavalli, donnée avec grand succès à l'Opéra Comique à l'automne 2019 dans une mise en scène spectaculaire et une direction musicale de haute tenue rehaussée par une distribution sans faille. Une réalisation qui rejoint celle, légendaire, de La Calisto du même Cavalli, naguère donnée à La Monnaie de Bruxelles, signée Herbert Wernicke et René Jacobs. Cet album est indispensable à qui veut éprouver les frissons de l'opéra baroque dans ce qu'il a de plus exaltant, lorsque comme ici, tous les arts sont rassemblés pour nous émerveiller.

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L’opéra Ercole amante, Hercule amoureux, était censé être le cadeau de noces offert par Mazarin à Louis XIV pour son union avec l'Infante d'Espagne. Les difficultés rencontrées pour monter ce spectacle ambitieux dans son faste technique devinrent telles que la création en sera reportée plusieurs fois, pour avoir lieu finalement en 1662 aux Tuileries, soit bien après le mariage royal en juin 1660 et la mort de son promoteur en mars 1661. Elle sera un semi-échec pour Cavalli qui ne parviendra même pas à faire représenter l’œuvre par la suite en Italie, singulièrement dans sa cité natale de Venise. Il reste pourtant « le plus français des opéras vénitiens », remarque Agnès Terrier. C'est que l’œuvre épouse le moule français de la tragédie en musique naissante en un prologue et cinq actes, pour une trame quelque peu complexe, mêlant tragique et comique, confiée à cinq personnages principaux outre deux valets et une multitude de personnages secondaires. L'intrique de base peut se résumer ainsi : Hercule veut conquérir Iole alors que deux déesses, sa femme légitime Junon et cette autre épouse Déjanire, mère de Hyllo, prétendant de Iole, exploitent ce désir pour s'affronter. Les deux metteurs en scène ont cette formule d'une lapidaire concision, à propos de la figure centrale de ce dieu trop puissant pour être sympathique : « il trompe sa femme puis la répudie, veut violer la fille dont il a tué le père, et va jusqu'à souhaiter la mort de son fils » ! Est-il si antipathique ? Sa personnification avec le roi lui-même dont l'opéra a pour but de louer la grandeur, a conduit les auteurs à le rendre immortel à l'apothéose finale qui le voit être uni à la Beauté.

On est happé par la composante visuelle de cette production. Où régie d'acteurs et décoration forment un tout indissociable en parfaite symbiose avec musique et chant. Et juste cette pointe d'exagération dans le tragique et le comique, qui souligne le trait sans jamais caricaturer. Une lecture bienveillante en somme, notamment dans les passages de vis comica. La régie séquence à l'extrême les didascalies pour occuper constamment l’œil par ses effets de symétrie. L'écrin décoratif unique, sorte de décor-boîte en forme d'amphithéâtre, est agrémenté d'objets et animé par des apparitions venues du dessus ou surgissant du dessous, dans la plus pure tradition du théâtre baroque à machinerie. Il est complété par un appareillage de costumes imaginatifs jusqu'à l'hyperbole quant à leur portée symbolique dans le dernier détail de l'habit, des perruques et couvre-chefs comme des maquillages. Ainsi de Vénus apparaissant successivement dans le pistil d'une énorme fleur dont le feuillage vert enchâsse deux ou trois choristes, ou en oiseau volant dans les airs à bord d'un véhicule façon cocotte rose bonbon et casquée tel un pilote de course. Le costume se fait ici quasi-machinerie. Tout cela est serti dans un camaïeu de couleurs pastel ou plus crues. 

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Giulia Semenzato (Vénus) & Nahuel di Pierro (Hercule) ©Stéphane Brion

Plus d'une didascalie est explicitée avec un joyeux humour au second degré. Comme le sommeil visualisé par une énorme poupée joufflue, sosie du bonhomme Michelin, que Pasithea, singée en aide-soignante attentionnée, caresse pour mieux l'endormir. Ou la figure de Junon apparaissant en forme de paon, ou plus tard dans une nacelle de montgolfière. Des profondeurs voit-on Neptune surgir dans un bathyscaphe en ferraille rouillée, digne des récits de Jules Verne, et dont il émerge nanti d'une longue et fournie barbe vert-de-grisée. La pauvre Déjanire est quant à elle munie d'une traîne grisâtre aussi triste et longue que son incommensurable douleur. Et que dire de la fin du Ier tableau de l'acte IV, en mer, qui visualise le chœur en autant de marins avec maillot intégral à rayures blanches et bleues et bonnet de bain jaune poussin, dont certains plongent avec grâce depuis les hauteurs ou voient leur plongeon se rétracter dans un mouvement arrière. Cette profusion d'images enchante le regard et avive les émotions avec une sorte de familiarité au premier degré. Alors que la dilatation du temps théâtral éponge aussi ce que le discours musical peut avoir de rhétorique, telles les discussions peu amènes entre les personnages et leurs serviteurs. Tout cela est manié ici avec beaucoup de douceur, comme si le temps contingent n'existait pas. Même les scènes les plus tragiques, comme celle des enfers, un royaume d'ombres rougeoyantes où officie l'horrible Eutyro, ne parviennent pas à trop effrayer.

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Scène du sommeil, Eugénie Lefebvre (Pasithea) & Anna Bonitatibus (Junon) ©Stéphane Brion

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La sagacité avec laquelle chaque personnage est traité entend promouvoir son trait de caractère essentiel : la vengeresse Junon est nantie de deux paires d'yeux, nul doute pour mieux y voir dans les frasques de son auguste époux. Iole, bonne fille qui succombe malgré elle, est montrée dans l'ambivalence de ses sentiments vis-à-vis d'Hercule. Le valet Licco, parfait raisonneur, mais sachant tirer les ficelles, est ceint soit d'une boule d'or sur le crâne, soit d'une minuscule calotte rouge. Déjanire restera toujours enfermée dans une tristesse sans répit, elle qui endure bien des soucis, dont la mort annoncée de son fils Hyllo. Celui-ci, grand garçon un peu candide, subit plus qu'il ne précède les événements, amoureux ou tragiques. Et bien sûr Ercole lui-même, narcissique, mais dont on ne parvient pas à lui attribuer l'adjectif de ''mauvais'', tant son comportement laisse une impression de décontraction plus que de force, d'un je-ne-sais quoi de légèreté (coupable ?), que seule sa fin dans les flammes de la terrible tunique de Nessus conduit au vrai tragique. Mais ne le voit-on pas, à l'épilogue, sur un nuage, presque insensible à tout ou ravi d'en avoir réchappé, singulièrement de la vindicte de Junon !

La captation filmique magnifie adroitement tous les ressorts de ce spectacle foisonnant, par une prise de vue qui n'abuse pas des gros plans et imposerait sa lecture. Au contraire, elle renforce ce qu'il y a d'original dans l'approche scénique, singulièrement l'absence ici d'excitation inutile. Elle saisit un cast jeune, jouant le jeu à fond. Dans la partie d'Hercule - un Ier rôle confié pour la première fois à une basse et non à un castrat - Nahuel di Pierro offre un timbre assez clair, comparable à la basse-taille française, en adéquation avec le côté jeune, entreprenant et pas trop antipathique du personnage. Guiseppina Bridelli campe une Déjanire enfouie dans une tristesse sans rémission possible, que son beau soprano irradie pourtant avec une rare intensité. Comme Francesca Aspromonte, Iole, plus fragile, mais combien assurée dans une ligne de chant irréprochable. Et Giulia Semenzato, tour à tour Vénus ou La Beauté, offre un timbre éthéré. La palme des rôles principaux féminins, dotés par Cavalli d'une écriture réellement virtuose, revient à Anna Bonitatibus, Junon d'une impressionnante présence au service d'un chant sans cesse empli de belles harmoniques. Krystian Adam, Hyllo, offre un agréable timbre de ténor et Luca Tittoto, à la fois Neptune et Eutyro, une voix de basse sonore donnant tout leur sens à ces personnages sombres et menaçants. Une mention particulière aux deux serviteurs : Ray Chenez, Le page, qui de sa voix de contre-ténor parvient à nous bluffer quant au sexe du personnage représenté, et l'indispensable Dominique Visse, qui fait une bouchée de Licco, type du valet au caquet bien affilé, et brûle les planches à chacune de ses interventions. Une foultitude d'autres rôles sont tenus avec aplomb par des membres de l'ensemble Pygmalion, Ceux-ci assurent avec chic, esprit et talent le chœur dans leur costume original à jupette, réplique plus ou moins voulue des gardes devant le Parlement grec.   

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Scène finale, Giulia Semenzato (La Beauté) & Hercule ©Stéphane Brion

La musique que Cavalli a conçue pour embrasser ce vaste sujet, « grandiose, porteuse d'images », selon les régisseurs, voit s'affirmer une grande liberté de la forme, pas trop éloignée du recitar cantando de Monteverdi, mais déjà libérée de son carcan avec la présence d'ariosos. En clair, l'apparition des prémices du bel canto italien. Il y a aussi une indéniable influence française avec l'inclusion de ''symphonies'' pour les passages de ballet. Ce que Raphaël Pichon restitue dans une exécution extrêmement pensée qui utilise un orchestre inspiré des 24 violons du Roy, agrémenté de couleurs italiennes, avec flûtes, cornets à bouquin, sacqueboutes. La basse continue, si essentielle au soutien des nombreux récitatifs, est fournie, comptant plusieurs violes de gambe, mais aussi 2 harpes, 2 théorbes et 3 clavecins. On est charmé et même ému par une direction dont émane une grande humanité, rendant justice au mélodisme séduisant de Cavalli. Ce qui n'empêche pas les contrastes, dont la vivacité des ritournelles ou à l'occasion une battue presque hypnotique comme au début du IIIème acte, lors de l'apparition du siège magique.

La qualité technique sonore est à l'aune de celle du film, magistralement saisie par les équipes de Radio France.

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Texte de Jean-Pierre Robert 

Plus d’infos

  • Francesco Cavalli : Ercole Amante. Opéra en un Prologue et cinq actes. Livret de Francesco Buti
  • Nahuel di Pierro (Ercole), Anna Bonitatibus (Giunione), Guiseppina Bridelli (Deianira), Francesca Aspromonte (Iole), Krystian Adam (Hyllo), Eugénie Lefebvre (Pasithea/Clarica/Terza Grazia/Secondo Pianeta), Giulia Semenzato (Venere/Belleza/Cinzia), Luca Tittoto (Nettuno/Eutyro), Dominique Visse (Licco)
  • Chœur & Orchestre Pygmalion, dir. Raphaël Pichon
  • Mise en scène : Valérie Lesort & Christian Hecq
  • Décors : Laurent Peduzzi
  • Costumes et machinerie : Vanessa Sannino
  • Éclairages : Christian Pinaud
  • Collaboration aux mouvements : Rémi Boissy
  • Marionnettes : Carole Allemand, Sophie Coeffic, Valérie Lesort
  • Video director : François Roussillon
  • Production : Opéra Comique, filmée Salle Favart en novembre 2019
  • 2 DVDs : Fra Pro cinéma / Naxos : 2.110679-80 (Distribution : Outhere Music France)
  • Durée des DVDs : 187 min
  • Note technique : etoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rouge (5/5)

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