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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : à la gloire de la voix de ténor dans l'Italie baroque

Tormento DAmore Ian Bostridge

Cet album, conçu comme le voyage d'un ténor dans l'Italie baroque, est censé nous rappeler combien est importante la place de cette voix dans le répertoire de l'opéra de cette époque, nonobstant la vogue de celle de castrat. Sur le mode défense et illustration, Ian Bostridge nous régale d'un florilège d'arias empruntées à des compositeurs napolitains et vénitiens, extraites d'opéras écrits entre les années 1665 et 1730.

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Les compositeurs d'opéra baroque italien ont écrit non seulement pour la voix de castrat, mais aussi pour celle de ténor, pour s'en tenir aux rôles masculins. Et ce depuis Monteverdi et son Orfeo, créé par le célèbre Francesco Rasi. Tous vont consacrer à ce type de voix de brillants morceaux et il est passionnant de comparer leur style au fil d'un panel d'arias empruntées à quelques-unes de leurs œuvres. Dans le dernier tiers du XVIIème, Venise puis Naples seront les villes phares où elles vont éclore. Ainsi de Francesco Cavalli, prolixe auteur et maître incontesté de la scène vénitienne pendant trente ans à partir des années 1640, jusqu'à son ultime partition Eliogabalo, récemment ressuscitée à l'Opéra Garnier. Puis de ses concurrents comme Antonio Cesti, Antonio Sartorio qui osa en 1672 se mesurer au mythe d'Orphée, après Monteverdi. L'activité opératique était également intense à Naples avec des musiciens comme Francesco Provenzale, Cristofaro Caresana, Nicola Fago et Leonardo Vinci. Ce dernier mena ensuite carrière à Venise à partir de 1725, au point d'appeler l'attention d'un certain Haendel. La Sérénissime connaît alors un rayonnement sans pareil avec l'apparition sur la scène musicale d'Antonio Vivaldi.

Les échanges entre Naples et Venise, pendant un siècle, à cheval entre les XVIIème et XVIIIème, montrent que, loin d'être reléguée au second plan en raison de la suprématie des castrats, la voix de ténor est bien servie dans les œuvres de cette période, se voyant dotée d'arias souvent palpitantes. Le ténor britannique Ian Bostridge a choisi une poignée d'arias significatives. Le thème le plus souvent véhiculé est celui du tourment amoureux. Comme illustré par le rôle-titre d'Eliogabalo de Cavalli (1667) dans une mélancolique aria sur le sentiment d'abandon, ou par le personnage de Polemone de l'opéra Il Tito de Cesti (1666) au long d'une sorte de scena où se succèdent deux arias, l'une lente, l'autre rapide, entrecoupées d'un récitatif, et qui se termine par un da capo. Dans son opéra Il schiavo di sua moglie (L'esclave de sa femme) de 1672, Provenzale voit son personnage de Timante se laisser aller à la souffrance du tourment d'amour. Il est intéressant de noter que la couleur du timbre de ténor connaît peu à peu une nette inflexion vers le grave. Comme on le constate chez Leonardo Vinci dans son Siroe, re di Persia, un sujet fort prisé à l'époque : que ce soit dans une aria rapide avec force vocalises ou dans une autre à la métrique ondulante, donc plus calme, le grave de la voix est flatté à travers les ornementations, ce qui génère un dramatisme plus accentué. Cette évolution se concrétise définitivement avec Vivaldi. L'aria de son opéra Il Farnace (1731), morceau alternatif emprunté à son propre Siroe, re di Persia, préludé par une petite musique rappelant certaines pages des 4 Saisons, offre un ambitus large sur un tempo cheminant doucement avec une reprise da capo plus travaillée, la voix versant presque dans le registre du baryton.

Ian Bostridge interprète ces arias avec un large panel de nuances expressives, évitant l'impression de monotonie qui pourrait naître du choix de morceaux pour la plupart écrits sur le versant de l'épanchement lyrique contrit. Le timbre, si spécifique, trouve son acmé dans ces pages d'une technicité raffinée et le style est un modèle de goût grâce à une économie de moyens qui en restitue les innombrables beautés. À laquelle participe l'accompagnement orchestral constitué d'un ensemble réduit de 11 musiciens. Ce qui permet d'apprécier les sonorités mordorées de la Cappella Neapolitana entre les mains d'Antonio Florio dont la direction associe délicatesse du trait et refus d'une battue heurtée. Elle enlumine également les sinfonias entrelardant les arias, apportant une agréable respiration au programme. Celui-ci se conclut par une sorte de bis en forme de clin d’œil à la cité napolitaine : un air traditionnel, chanson populaire allégorique à laquelle le ténor britannique apporte une amusante touche locale en adaptant voix et débit.

La prise de son, au Palazzo Positano de Naples, sertit la voix dans une ambiance naturelle, aérée mais non résonante.

Texte de Jean-Pierre Robert    

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Plus d’infos

  • ''Tormento d'amore''
  • Arias extraites d'opéras de Francesco Cavalli (Eliogabalo), Alessandro Stradella (Il Corispero o l'Almestilla), Antonio Cesti (Il Tito), Cristofaro Caresana (Le avventure di una fede), Francesco Provenzale (La Stellidaura vendicante ; Il schiavo di sua moglie), Leonardo Vinci (Siroe, re di Persia), Nicola ''Il Tarantino'' Fago (ll faraone sommerso), Antonio Vivaldi (Il Farnace)
  • Traditional Napolitain
  • Sinfonia extraites d'opéras de Antonio Sartorio (L'Orfeo), Antonio Cesti (L'Argia), Francesco Provenzale (Il schiavo di sua moglie), Giovanni Lorenzi (Il Totila), Nicola Fago (Il faraone sommerso)
  • Ian Bostridge, ténor
  • Cappella Neapolitana, dir. Antonio Florio
  • 1 CD Warner : 0190295037079 (Distribution : Warner Classics)
  • Durée du CD : 68 min 51 s
  • Note technique : etoile verteetoile verteetoile verteetoile verteetoile verte (5/5) 

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