CD : dans l'intimité des salons parisiens au tournant du XXème siècle
Cet album arrive à point nommé pour l'année du centenaire de la disparition de Marcel Proust. Il reconstitue le programme du fameux concert donné le 1er juillet 1907 au Ritz à Paris par l'auteur de A la recherche du temps perdu, autour de la Première sonate pour violon et piano de Fauré. Théotime Langlois de Swarte et Tanguy de Williencourt nous font savourer l'éclectisme de ce concert, dont par un habile jeu de mots, on peut dire qu'il est ''retrouvé''.
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Proust aimait la musique et ses goûts étaient éclectiques. Il nourrissait une vraie passion pour celle de Gabriel Fauré, de laquelle il se déclare tout simplement « amoureux », dans une lettre qu'il lui adresse en 1897, ajoutant « je connais votre œuvre à écrire un volume de 300 pages dessus ». Il éprouve aussi un vif intérêt pour d'autres musiciens de son époque comme d'un passé récent ou plus lointain. Les références musicales dans l’œuvre de l'écrivain sont nombreuses, et pas seulement à propos de la célèbre et fictive ''Sonate de Vinteuil''. Plus d'un personnage du roman fleuve côtoie cet univers : Charles Swann bien sûr associé à ladite sonate, écoutée chez Madame Verdurin, mais aussi M. de Charlus dont il est mentionné dans Sodome et Gomorrhe qu'il joua la Sonate op.13 de Fauré. Cette sonate est précisément au cœur d'un événement aussi mondain que musical que Proust organise le 1er juillet 1907 au Ritz à Paris : l'invitation de quelques privilégiés à dîner et au concert qui devait suivre dans un salon du grand hôtel de la Place Vendôme, donnés en l'honneur du directeur du journal Le Figaro, pour le remercier de publier dans ses colonnes des articles de son cru. Le maître Fauré devait être la vedette du concert, mais il se décommanda à la dernière heure. Qu'à cela ne tienne, Proust réorganise derechef le programme qu'il a choisi de lui-même de concevoir. Il s'assure la participation de deux interprètes renommés, le pianiste Édouard Risler et la violoniste Marguerite Hasselmans. La Sonate N°1 de Fauré figure en bonne place ainsi que des pièces plus modestes, aux côtés d’œuvres de Couperin, Chopin, Schumann, Wagner et Hahn.
Théotime Langlois de Swarte et Tanguy de Williencourt restituent tous les parfums secrets de ce concert privé, désormais rappelé à notre mémoire. Ils le font avec d'autant plus de sens qu'ils ont choisi de jouer des instruments d'époque, un piano Érard de 1891 et un violon de Stradivari, le ''Davidoff'', de 1708, conservés l'un et l'autre au Musée de la musique à Paris. La Sonate N°1 pour violon et piano op.13 de Fauré en acquiert une saveur singulièrement intimisme, que ce soit au vif Allegro molto, à la ligne sinueuse de l'Andante, où la mélodie passant d'un instrument à l'autre dégage une rare intensité, puis au Scherzo bondissant comme un feu follet, dans une allure étourdissante que le Trio tempère à peine, et au finale coulant comme eau pure, dans son débit fébrile. De la Berceuse pour violon et piano op.16 émane un charme gallique, chef-d’œuvre de discrétion, quasi magique ici. Comme il en est du Nocturne N°6 de l'op.63. Chez les musiciens contemporains, Proust avait choisi deux pièces de l’immanquable, et si proche, Reynaldo Hahn pour encadrer le concert : ''A Chloris'', dans un arrangement pour violon et piano, le débute et ''L'Heure exquise'' le termine, doucement mélancolique et d'une poésie évanescente entre les mains des deux présents interprètes.
Ils peaufinent avec autant de sagacité le reste de l'affiche : Chopin et son Prélude N°15 de l'opus 28, Schumann et le morceau intitulé ''Des Abends'' (Au soir), mais aussi, en remontant le temps, François Couperin et ses ''Barricades mystérieuses'', énigmatiques variations sur un thème scie. Richard Wagner ne se devait-il pas d'y figurer également ? Le compositeur allemand faisait tourner les têtes ou irritait au plus haut point dans le milieu musical français au tournant du XXème siècle. ''La mort d'amour d'Isolde'', ultime et grandiose page de Tristan und Isolde, dans la transcription de Liszt, apporte, au-delà du virtuose, une note de romantisme tardif en même temps qu'elle anticipe peut-être certain personnage du roman.
C'est peu dire que les deux interprètes donnent de toutes ces pièces des exécutions stylées où se mêlent élégance, délicatesse et rigueur. À la douceur de l'archet de Théotime Langlois de Swarte, qui s'approprie la sonorité non brillante du violon Davidoff, répond la ductilité du jeu de Tanguy de Williencourt usant avec pertinence de celle claire et pure du Érard et de la netteté de ses attaques. Ils sont enregistrés à la Cité de la musique dans une acoustique idéalement chambriste et d'un beau relief.
Texte de de Jean-Pierre Robert
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Plus d’infos
- ''Proust, Le concert retrouvé''
- Reynaldo Hahn : A Chloris. L'Heure exquise
- Gabriel Fauré : Sonate pour violon et piano N°1 op.13. Berceuse pour violon et piano op.16. Après un rêve, ext. De Trois Mélodies op.7. Nocturne op.63 N°6
- Robert Schumann : Des Abends, ext. de Fantasiestücke op.12
- Frédéric Chopin : Prélude op.28 N°15
- François Couperin : Les Barricades mystérieuses, ext. du VIème Ordre, N°5
- Richard Wagner : Isoldens Liebestod, ext. de Tristan und Isolde (trans. de Liszt)
- Théotime Langlois de Swarte (violon), Tanguy de Williencourt (piano)
- 1 CD Harmonia Mundi, coll. ''Stradivari'' : HMM 902508 ( Distribution : [PIAS])
- Durée du CD : 62 min
- Note technique : (5/5)
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