CD : "Unreleased", les trésors enfouis de Cecilia Bartoli
Aussi incroyable que cela puisse paraître, il existait des prises non publiées de Cecilia Bartoli. Celle-ci explique que, pandémie obligeant, elle a redécouvert dans ses tiroirs quelques joyaux enregistrés en 2013, qu'elle se fait une joie de nous révéler. La découverte est de taille, car ces sept airs ou scènes de Beethoven, Mozart, Mysliveček et Haydn méritent le détour, interprétés avec la passion qu'insuffle la diva romaine.
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Le programme est en effet parfaitement cohérent s'agissant d'une série d'airs de concerts ou plus exactement de scènes, comme il se pratiquait couramment au XVIIIème siècle pour mettre en valeur le talent de tel ou tel chanteur. Il débute par le ''Ah ! perfido'' op.65 que Beethoven écrit en 1796 pour la chanteuse Josepha Duschek. Le style italianisant ne fait pas oublier une sorte d'écho au personnage de Léonore. Avec des contrastes marqués dans l'air entre ses deux parties Adagio et Allegro assai, nanties de merveilleux solos des bois, la clarinette en particulier. Josef Mysliveček (1737-1781) est resté célèbre pour ses nombreux opéras. On entend ici une aria tirée de La clemenza di Tito, opera seria écrit en 1773, dont Mozart utilisera le canevas, comme bien d'autres compositeurs de l'époque. L'aria du personnage de Sesto donné ici, avec pianoforte obligé, dégage un sentiment d'intimité. Elle est d'un grand classicisme quoique la forme da capo soit quelque peu malmenée, en tout cas peu virtuose.
Mozart a composé plusieurs grands airs qu'il destinait, entre autres, à des chanteuses qu'il admirait ou courtisait. La plupart constituent de vraies scènes composées de plusieurs numéros enchaînés. Ainsi de ''Ah lo previdi'' K 272, écrite pour la Duschek en 1777. Elle débute par un récitatif véhément suivi d'un arioso dramatique, tandis qu'un second récitatif d'une grande simplicité introduit la cavatine finale, avec hautbois obligé, où souffle l'apaisement. L'aria ''Non temer amato bene'' a connu deux formes successives, l'une K 490 pour ténor et solo de violon, morceau alternatif de l'opéra Idomeneo, l'autre pour soprano et solo de piano, destinée à la chanteuse Nancy Storace, Mozart se réservant l'accompagnement pianistique. Cecilia Bartoli a opté pour la première version de l'aria, tout en débutant la scène par le récitatif de l'autre. Ce qui permet d'admirer l'archet magistral de Maxim Vengerov. Car le violon dialogue avec la voix ou plutôt en enjolive la ligne. L'aria ''Bella mia fiamma'' K 528 a été composée à la demande de Josepha Duschek, à Prague au moment de la création de Don Giovanni. Le morceau est d'une redoutable difficulté au fil d'un rondo dans lequel Mozart s'est ingénié à accumuler les pièges, sauts d'octaves, écarts extrêmes, vocalises périlleuses dans un tempo changeant. Cecilia Bartoli ressuscite encore une aria tirée de l'opéra de jeunesse Il re pastore K 208, jolie cantilène soutenue là aussi par le violon solo.
La Scena di Berenice que Joseph Haydn écrit en 1795 sur un texte de Métastase, est l'exemple type de la grande scène dramatique, proche de l'opéra : Bérénice, abandonnée par son amant Demetrio, dans un moment de délire, laisse libre cours au désespoir puis à la rage. La scène est organisée en quatre parties : un récitatif emporté jusqu'à une fin en apparence sereine, puis une cavatine lente d'un haut degré d'expressivité avec flûte solo, un bref second récitatif suivi d'un air final rapide, démonstratif, truffé là encore d'écarts de registres impressionnants, avec solo de clarinette, et d'étonnantes incursions dans le grave du soprano. Tout cela est annonciateur d'un style nouveau quant à la hardiesse des enchaînements harmoniques et à l'importance dévolue aux bois tout au long de la composition.
C'est peu dire que Cecilia Bartoli imprime à ces œuvres l'intensité qu'elles requièrent, voire la passion (Beethoven, Haydn). Qu'admirer ? La legato de la ligne de chant, le souffle dramatique, la pureté des coloratures. Et surtout la rectitude du style qui fait de chacun de ces morceaux un moment unique. La direction de Muhai Tang, un chef avec lequel elle aimait travailler dans les années 2010, notamment pour Le comte Ory puis Otello de Rossini à l'Opernhaus de Zürich, partage ce respect stylistique. Outre le violon racé de Vengerov, on soulignera le raffinement des musiciens de l'Orchestre de chambre de Bâle, bien connu pour la qualité de son approche dans le répertoire classique.
L'enregistrement, en novembre 2013, dans l'acoustique feutrée d'une salle de palais en Suisse, offre une ambiance chambriste qui sied aux œuvres, et la voix est bien sertie dans l'écrin orchestral.
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Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- ''Unreleased''
- Ludwig van Beethoven : Ah ! perfido, op.65
- Wolfgang Amadeus Mozart : Recitativo ''Ch'io mi scordi di te ?'' & aria ''Non temer, amato bene'', K 490. Aria ''Ah, lo previdi !'' K 272. Aria ''Bella mia fiamma'', K 528. Aria ''L'amero, sarò costante'', extr. de l'opéra Il re pastore, K 208
- Josef Mysliveček : Aria ''Se mai senti'', extr. de l'opéra La clemenza di Tito
- Joseph Haydn : Scena di Berenice, Hob. XXIVa :10
- Cecilia Bartoli, soprano
- Avec Maxim Vengerov, violon
- Kammerorchester Basel, dir. Muhai Tang
- 1 CD Decca : 485 2093 (Distribution : Universal Music)
- Durée du CD : 61 min 44 s
- Note technique : (5/5)
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Mozart, Haydn, Cecilia Bartoli, Ludwig van Beethoven, Maxim Vengerov, Josef Mysliveček, Kammerorchester Basel, Muhai Tang