CD : le nouveau CD solo d'Anna Netrebko est arrivé
Pour son nouveau récital, la soprano star Anna Netrebko joue l'éclectisme en alignant une dizaine de personnages, empruntés à sept compositeurs qu'elle chante dans quatre langues. Elle créé la surprise avec une tétralogie de figures du répertoire allemand, une première dans son catalogue de disques solos. Nul doute que l'évolution considérable actuelle de sa voix et les moyens techniques phénoménaux qui sont les siens lui permettent d'en endosser le challenge. Mais au-delà de son formidable achèvement, cette collection laisse perplexe eu égard à son schéma même : un assemblage disparate de rôles dont on peut penser que certains ne seront pas abordés à la scène, nonobstant l'aura prestigieuse de la direction d'orchestre de Riccardo Chailly.
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Contrairement à ses précédents récitals, centrés sur un genre musical (''Verismo''/2016), un compositeur (''Anna sings Verdi''/ 2013) ou une manière belcantiste (''Sempre libera''/ 2004), pour s'en tenir à ces trois exemples, le présent programme mise sur la plus large diversité stylistique. Qu'ont en commun ces femmes ? Le motto ''Amata dalle tenebre'', autrement dit le couple amour et ténèbres, semble impliquer des femmes seules face à leurs derniers moments, comme Lisa, Butterfly, Manon, Ariadne et Didon. Toutes, comme encore les deux Élisabeth, de Verdi et de Wagner, Aïda et Elsa connaissent une destinée tragique. Que rapprochent ces divers morceaux du strict point de vue vocal ? Sinon la volonté de l'interprète de montrer les capacités actuelles de sa voix. Elles sont considérables, il est vrai, démontrant que la diva est en mesure de surfer sur différents registres, du soprano lyrique jusqu'au soprano dramatique désormais, et partant, d'aborder des parties nouvelles et exigeantes, du moins au disque. Car au-delà de sa tinta russe caractéristique, le timbre a muté de manière étonnante, à la fois en ambitus et en couleurs, notamment pour ce qui est des registres médium et grave souvent saisissants, autorisant des effets dramatiques qui le sont tout autant.
On la retrouve avec plaisir dans Aïda et l'air du Ier acte ''Numi pietà'', qui après un récitatif pour le moins vindicatif, montre une femme résolue, qui sait aussi se parer de douceur dans les dernières pages. Son Elisabetta de Don Carlo est moins convaincante, par excès de puissance dans l'air de désespérance de l'acte V ''Tu che la vanità'' : l'usage d'un médium large et corsé et de graves proches du mezzo et la manière impérieuse cadrent peu avec la jeune princesse française angoissée quant au sort de l'Infant, quoique le récit soit habilement nuancé lors des pages d'émotion (''Francia, nobile suol''). Pareille impression avec ''Un bel di vedremo'' de Madama Butterfly : certes, la fin est là encore grandiose, accompagnée d'un aigu lancé en fusée, irrésistible. Mais qu'en est-il de la fragilité de la pauvre geisha abandonnée ? L'air de Manon Lescaut lui convient mieux, même si l'usage appuyé du registre médium conduit à une approche non dénuée de pathos sur ''Ah, tutto è finito !''
Avec Lisa de La Dame de Pique de Tchaïkovski, Anna Netrebko est bien sûr chez elle question langue et intonation. L'air du IIIème acte montre d'abord tout le tragique de la femme trompée dans ses sentiments, puis une intense passion dans la romance. Tout comme chez Cilea, dont le rôle d'Adriana Lecouvreur avait, entre autres, concrétisé une assomption réussie il y a déjà quelques temps dans le répertoire vériste. À l'inverse, le fameux lamento de Didon de l'opéra de Purcell est surdimensionné, et rappelle le choix curieux de distribuer le rôle à une interprète possédant une voix opulente, comme naguère Jessye Norman. L'Ariadne de Richard Strauss, dont est donné l'air ''Es gibt ein Reich'', relève tout autant de la curiosité eu égard là encore à un recours excessif au registre médium.
Reste Wagner. Dont Anna Netrebko n'a abordé jusqu'à maintenant à la scène qu'Elsa de Lohengrin, à Dresde, mais non à Bayreuth pour s'être retirée d'une nouvelle production en 2018, expliquant n'être pas à l'aise avec la langue de Goethe. On retrouve ici le premier air de la princesse de Brabant, qu'elle dote d'une montée en puissance remarquable. Il en va de même du l'air d'entrée d'Elisabeth à l'acte II de Tannhäuser, d'une fièvre grandiose et couronné d'un aigu rayonnant. Est-ce un rôle qu'elle voudra porter à la scène ? Dernière surprise et de taille, l'album se termine par la mort d'Isolde ''Mild und leise''. Nul doute, l'idéale concrétisation du thème Amour versus mort. Et là Anna Netrebko fait mouche : formidable puissance, digne d'une Nilsson, aisance du legato dans la progression chromatique, intensité émotionnelle. On en vient à penser que dans ce récital, c'est paradoxalement chez ce compositeur qu'elle est le plus en phase.
Elle bénéficie de l'accompagnement orchestral luxueux prodigué par Riccardo Chailly et l'Orchestre de la Scala, toujours idoine quel que soit le répertoire. Ce qu'on admire encore dans un Prélude de Tristan und Isolde, d'une belle intensité, seul morceau instrumental de l'album.
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L'enregistrement, effectué dans l'auditorium de la Scala, par une équipe pléthorique de techniciens, privilégie la mise en valeur de la voix. Ce qui fait ressortir les caractéristiques soulignées dans le médium et le grave, comme une certaine résonance de celle-ci par rapport à l'orchestre. Ce dernier n'est pas toujours saisi de manière très détaillée quant à l'étagement des plans.
Une remarque pour finir : le public censé se procurer le CD doit savoir que la plaquette ne comporte pas de textes en français, s'agissant d'une part des commentaires, d'autre part de la traduction des airs chantés. Ce qui pour un produit qui vise une large répercussion commerciale, apparaît comme relevant d'un curieux souci d'économie.
Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- ''Anna - Amata dalle tenebre''
- Airs d'opéras pour soprano extraits de Richard Strauss (Ariadne auf Naxos), Giuseppe Verdi (Aïda, Don Carlo/Elisabetta), Richard Wagner (Tannhäuser/Elisabeth, Lohengrin/ Elsa, Tristan und Isolde/Isolde), Francesco Cilea (Adriana Lecouvreur), Piotr Iliych Tchaikovski (La Dame de pique /Lisa), Giacomo Puccini (Madama Butterfly, Manon Lescaut), Henry Purcell (Dido & Aenea/Dido)
- Richard Wagner : Prélude de Tristan und Isolde
- Anna Netrebko, soprano
- Orchestra del Teatro alla Scala, dir. Riccardo Chailly
- 1 CD + 1 DVD bonus DG : 486 1543 (Distribution : Universal Music )
- Durée du CD : 78 min 47 s ; DVD : 61 min 13 s
- Note technique : (4/5)
Écouter des extraits
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