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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD "Mirrors" : portraits de femmes en miroir chez Haendel et ses contemporains

Mirrors Jeanine De Bique

Pour son premier CD solo et à l'occasion de ses débuts à l'Opéra National de Paris dans le rôle-titre d'Alcina, la soprano Jeanine de Bique se livre à un intéressant exercice : plutôt qu'un récital d'arias de Haendel, un programme mettant en regard des figures féminines du musicien, Cleopatra, Agrippina, Rodelinda, Deidamia ou Alcina, et les mêmes caractères dans des opéras de ses contemporains. Une manière d'évoquer en miroir un même personnage de femme sous différentes facettes. Le résultat musical est tout aussi réussi que le concept est original.

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On sait que Haendel a créé dans ses opéras un certain nombre d'héroïnes magistrales, « récompensées par leur ténacité et leur force, leur pardon et la richesse de leur amour », souligne Jeanine de Bique. Et les musiciens du baroque ont souvent écrit sur des sujets identiques. Comparer un même personnage dépeint par tel ou tel se révèle riche d'enseignements, au-delà de la pure valeur musicale des divers morceaux en lice, surtout lorsqu'il est saisi à un moment différent de l'action, celle-ci au demeurant pouvant bénéficier d'un traitement légèrement différent chez l'un et l'autre compositeur. Le cas de Rodelinda en est un bel exemple. Celle que Haendel portraiture dans son opéra Rodelinda, regina de' Longobardi (1725), l'est ici à travers une aria de supplication amoureuse ''Reviens, Ô mon cher et doux trésor'', sollicitant le registre le plus tendu, alors que chez Carl Heinrich Graun, dans son œuvre portant le même titre, elle s'avère plus vindicative au fil d'une aria di furore acrobatique. C'est que le personnage est saisi à une étape différente de l'action quant à la destinée de son époux Bertarido, que dans un premier temps, elle croit mort (Haendel), puis dont elle apprend qu'il est vivant (Graun), ce qui lui redonne l'espoir de le revoir. Autre exemple avec Cléopâtre : alors que Haendel, dans l'aria ''Se pietà di me non senti'' du IIème acte de Giulio Cesare in Egitto (1724), montre une femme émue à travers de longues phrases expressives, Graun, dans son opéra Cesare e Cleopatra (1742), adopte une approche plus virtuose. La comparaison quant au personnage titre de Deidamia chez Haendel (1741) et chez Gennaro Manna dans l'opéra Achille in Sciro (1745) est tout aussi fascinante. 

La figure d'Agrippina que traite Haendel dans son opéra en 1709, ici dans une aria rapide où la voix concerte avec le hautbois, l'avait déjà été par Telemann en 1705 dans son opéra Germanicus, qui la décrit, dans l'aria ici choisie, par une intense déploration sur le mode adagio. Le piquant de l'affaire est qu'il ne s'agit pas de la même Agrippine : la mère dans le second cas, la fille portant le même nom dans le premier, assurément un caractère de femme plus féroce ! Une légère entorse au schéma.  

Un autre cas de figure, encore plus singulier, réside quant à l'identité du texte de l'aria elle-même. Ainsi de ''Mi restano le lagrime'' qui chez Haendel est dévolue à l'héroïne dans Alcina (1728) dans une aria tirée de l'acte II, exprimant une douleur amère avec une émotion palpable. Et que Riccardo Broschi quelques années plus tard, en 1735, dans son opéra L'isola di Alcina, confie à Morgana, la sœur de celle-ci, dans le même tempo et où la voix dialogue avec le violon dans une discrétion tout aussi émue. Le CD offre encore, dans le domaine purement instrumental, l'Ouverture du même opéra Partenope, mettant en scène la reine de Naples, d'une part chez Leonardo Vinci (1725), dans le style italien, et d'autre part conçu par Haendel (1730), sur le modèle de l'Ouverture à la française. 

Quoi qu'il en soit de ces données didactiques, peut-être fastidieuses pour l'auditeur surtout avide d'écouter du beau chant, Jeanine de Bique montre dans cette joute non belliqueuse toutes les ressources d'un soprano opulent aux multiples facettes, qui s'est déjà confronté à des parties aussi différentes que Donna Anna (Mozart), Agathe (Weber), Poppée (Monteverdi) ou Helena (Britten) : éclatant dans les coloratures tendues, corsé et paré de couleurs mordorées dans le médium et le bas du registre, nanti d'une vraie longueur du souffle, que ce soit dans le pianissimo ou le forte. Cette brillance technique sait céder la place à l'intensité du récit et la recherche du ton juste. Elle est magnifiquement entourée par le Concerto Köln dirigé avec raffinement et engagement par Luca Quintavalle.

Une double remarque pour finir : le public censé se procurer le CD doit savoir que la plaquette ne comporte pas les textes chantés - le scan conseillé d'un QR code n'étant qu'un pis-aller à cet égard - non plus qu'aucun commentaire en français.

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La prise de son, dans la salle de répétitions de l'orchestre à Cologne, est d'une extrême clarté, la voix bien en relief, ce qui ne va pas sans une légère dureté lorsque sous pression dans les coloratures aiguës rapides. 

Texte de Jean-Pierre Robert   

Plus d’infos

  • ''Mirrors''
  • Arias extraites d'opéras de
  • Georg Friedrich Haendel : Giulio Cesare in Egitto (Cleopatra), Agrippina, Rodelinda, regina de' Longobardi, Deidamia, Alcina
  • Carl Heinrich Graun : Cesare e Cleoptara (Cleopatra), Rodelinda, regina de' Longobardi
  • Georg Philipp Telemann : Germanicus (Agrippina)
  • Gennaro Manna : Achille in Sciro (Deidamia)
  • Riccardo Broschi : L'isola di Alcina (Morgana)
  • Ouvertures de Partenope de Haendel et de Leonardo Vinci
  • Jeanine de Bique, soprano
  • Concerto Köln, dir. Luca Quintavalle
  • 1 CD Berlin Classics : 0302017BC (Distribution : Naxos)
  • Durée du CD : 60 min 08 s
  • Note technique : etoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleue (5/5) 

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Haendel, Gennaro Manna, Georg Philipp Telemann, Jeanine de Bique, Concerto Köln, Luca Quintavalle, Carl Heinrich Graun, Riccardo Broschi, Leonardo Vinci

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