CD : le chanteur à sa guitare
Voici une proposition aussi insolite qu'enrichissante : unir la voix de contre- ténor à un accompagnement de guitare. Philippe Jaroussky et Thibaut Garcia nous invitent à un voyage inattendu, traversant les pays, les langues, les genres musicaux. Et surtout les époques : « un chemin qui irait du baroque à nos jours », propose le chanteur, pour nous immerger dans « un paysage sonore sculpté avec le désir un peu fou que tout cela semble naturel, car tissé par le pur plaisir de la musique », répond le guitariste. Et cela fonctionne à merveille.
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L'alliance voix-guitare est en soi fascinante, de l'ordre, selon Thibaut Garcia d'« un rapport intime... la guitare incite à se rapprocher du chanteur ». Le ténor Peter Schreier naguère pour Le Voyage d'hiver de Schubert ou la mezzo Teresa Berganza dans les mélodies espagnoles l'ont expérimenté avec bonheur. Plus précisément, la voix de contre-ténor se satisfait-elle de ce singulier rapprochement, « la guitare possédant une palette infinie... avec des couleurs qui sont quasiment de l'ordre du murmure », souligne Jaroussky. À cet égard, il y a eu vraie adéquation entre le timbre éthéré de celui-ci et la discrétion dans le jeu du guitariste.
Autre aspect intéressant que celui de la qualité des transcriptions. Certaines tombent presque sous le sens comme celles des pièces de Dowland ou de Purcell, car s'il est un instrument proche de la période du baroque, c'est bien la guitare. Sa sonorité feutrée, pas si éloignée du luth, ne messied nullement dans ce répertoire. Ainsi de la déploration de la reine de Didon et Enée, là où, sur la douce musique des cordes pincées, des mots comme ''remember me'' prennent un ton presque céleste dans l'expression de la douleur. S'agissant des œuvres espagnoles, la présence de la guitare est intrinsèquement adéquate. Plus audacieuse, la transcription du Lied Erlkönig (Le Roi des Aulnes) de Schubert apporte un autre éclairage à la partition originale. Là où le piano, associé à la voix sombre de baryton par exemple, permet de souligner le trait, comme au début du poème et sa course frénétique, la guitare permet un nuancier plus subtil. Autre singularité, l'arrangement par Garcia lui-même d'un morceau tiré de la bande sonore du film Orfeu Negro, signée Luiz Bonfá.
On ne peut plus éclectique, le choix des pièces a de quoi surprendre. Comme faire se succéder la chanson ''Septembre'' de Barbara et la pièce de Dowland intitulée ''If music be the food of love''. Pourtant leur juxtaposition souvent étonnante ne heurte pas. L'intelligence de l'agencement du programme, moyennant quelques plages de respiration de guitare solo, s'impose vite. Car la sincérité du propos dépasse l'indéniable séduction qu'exercent ces deux médiums. Il faut se laisser prendre par la main par les deux artistes qui ne cherchent pas à se caler sur la chronologie, mais au-delà de sauts vertigineux d'époque et des différences de styles musicaux, s'attachent à créer une secrète harmonie entre les pièces. À tisser un lien invisible, que renforce le naturel avec lequel elles sont interprétées. « Nous avons tâché de raconter une histoire », souligne Jaroussky.
Et comment résister à la divine modulation de ''Au bord de l'eau'' de Fauré ou au charme de ''Abendempfindung'' (Sensation du soir) de Mozart, l'une de ses rares mélodies, sonnant ici avec une jolie générosité. Les œuvres en italien viennent tout aussi bien. Comme l'aria tirée d'un opéra de Paisiello, ironique dans sa délicieuse exagération, ou ''Di tanti palpiti'' extraite de l'opéra Tancredi de Rossini, où la guitare apporte une légèreté spéciale et le timbre de contre-ténor une richesse nouvelle dans les vocalises. Il en va de même des morceaux en espagnol comme les pièces de Federico García Lorca et de Granados, où plane le souvenir de Berganza.
Débuté par ''A ma guitare'' de Poulenc, le récital se conclut par un folksong de Britten, en français, dont les dernières paroles sont ''finie est la chanson'' : la boucle est bouclée ! Elle aura procuré d'intenses moments de bonheur à la fois dans le chant et l'accompagnement, l'un et l'autre offrant une large palette de couleurs et un vrai sens du récit, longues notes tenues, pianissimos murmurés chez l'un, raffinement du jeu chez l'autre, qui savent toujours trouver le ton juste. Une proximité artistique comme innée.
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Qui se retrouve dans l'intimité de l'enregistrement, d'un étonnant relief, comme s'il s'agissait d'un seul et même personnage chantant à sa guitare.
Texte de Jean-Pierre Robert
- ''A sa guitare''
- Pièces pour voix et guitare de Francis Poulenc, John Dowland, Tommaso Giordani, Francesca Caccini, Enrique Granados, Franz Schubert, Barbara, Henry Purcell, Luiz Bonfá, Wolfgang Amadé Mozart, Giovanni Paisiello, Ariel Ramírez, Gabriel Fauré, Gioachino Rossini, Federico García Lorca, Benjamin Britten
- Pièces pour guitare solo de Poulenc, Dilermando Reis, Gerardo Matos Rodriguez
- Arrangements de Thibaut Garcia, David Jacques, José de Azpiazu
- Philippe Jaroussky (contre-ténor), Thibaut Garcia (guitare)
- 1 CD Erato : 0190295005702 (Distribution : Warner Classics)
- Durée du CD : 67 min 04 s
- Note technique : (5/5)
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