CD : la musique de chambre pour piano et cordes de Schumann
- Robert Schumann : Trios pour piano, violon et violoncelle N°1 op.63, N°2 op.80 & N°3 op.110
- Phantasiestücke op.88
- Quatuor pour piano et cordes op.47
- Quintette pour piano et cordes op.44
- Christophe Gaugué, alto (quintette & quatuor), Catherine Montier, violon (quintette), Trio Wanderer
- 3 CDs Harmonia Mundi : HMM 902344.46 (Distribution : [PIAS])
- Durée des CDs : 53 min 56 s + 54 min 39 s + 44 min 33 s
- Note technique : (5/5)
Après Haydn, Beethoven, Schubert, Brahms, Dvořák, Fauré et autre Chostakovitch, ils se devaient d'aborder les Trios de Schumann : les Wanderer les ajoutent à leur prestigieux palmarès discographique, avec en plus le Quatuor et le Quintette pour piano. Cette somme chambriste qui incorpore aux cordes le piano, l'instrument romantique par excellence et tant célébré par Schumann pour sa muse Clara, ils l'adornent de leur immense talent.
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Au genre si convoité à l'ère romantique du trio avec piano, Schumann a confié trois œuvres, outre un premier essai transformé en fantaisie. Il s'agit donc d'un corpus qui pour n'être pas le plus familier de son auteur, n'en est pas moins significatif. Le Trio N°1 en Ré majeur op.63, composé en 1847, est constitué de quatre mouvements portant des indications en allemand. Ainsi ''Mit Energie und Leidenschaft'' (Avec énergie et passion) ouvre-t-il une séquence foisonnante, en particulier au développement très travaillé, alignant diverses phases dont une section originale au médian avec cordes sul ponticello, dite « clairière sonore argentine », selon Brigitte François-Sappey. Le ''Lebhaft, doch nicht zu rasch'' (Vif, mais pas trop rapide) est un scherzo progressant par vagues successives rageuses, entrecoupé d'un trio dans le même ton prolongeant cette impression de quelque chose qui va de l'avant. Cœur expressif de l'ouvrage, le ''Langsam, mit inniger Empfindung'' (Lentement, avec un sentiment intime), débuté par une simple mélodie du violon, relayée par le violoncelle, aligne autant de contre-chants entre les deux. Quoique le discours s'anime peu à peu jusqu'à une plage de réflexion très intériorisée. Attaca, le finale ''Mit Feuer'' (Avec feu) s'élance éclatant. Là encore les échanges sont intenses, le piano menant le jeu. On y retrouve le ton conquérant du début, jusqu'à une coda de plus en plus rapide. Le Trio N°2 en Fa majeur op.80 (1849), le préféré de Clara, est plus extroverti. Il fait référence explicite au Lied ''Intermezzo'' op.39/2 de l'auteur. Après un ''Sehr Lebhaft'' (Très vif) robuste, le ''Mit innigem Ausdruck'' (Avec une expression intime) installe une ferveur mélodique dépassant encore celle du mouvement lent du premier Trio. ''In mässiger Bewegung'' (Dans un mouvement modéré) offre un tempo syncopé sur un curieux balancement en écriture canonique, avec une pointe de mystère dans la conduite thématique. ''Nicht zu rasch'' (Pas trop vite) conclut tout en contraste, presque en rupture, dans une belle alacrité.
Trio Wanderer ©DR
Datant de 1851, le Trio N°3 en Sol mineur op.110 est encore plus accompli. L'écriture intègre définitivement les trois instruments, dégageant le piano de son rôle jusqu'alors souvent prééminent. ''Bewegt, doch nicht zu rasch'' (Mouvementé, mais pas trop rapide) se signale par « sa figure principale appogiaturée en coup d'aile de papillon ou d'oiseau-prophète » (ibid.). Un passage fugué en pizzicatos des cordes crée ensuite la surprise, rappelant le faste du mouvement identique du premier Trio. De forme symétrique, Le ''Ziemlich langsam'' (Assez lent) voit les cordes s'épancher en un nocturne serein, traversé au milieu d'un réchauffement agitato. Le Scherzo ''Rasch'' (Rapide), très allant, est caractérisé par ses accents décalés. Il comporte deux passages en trio, le premier attaca très marqué, le second encore plus heurté. Le finale ''Kräftig, mit Humor'' (Vigoureux, avec humour) est complexe dans sa structuration à plusieurs niveaux. Y passe le thème du Lied ''Die beide Grenadiere'' (Les deux Grenadiers), ce qui lui confère une once de rusticité. Avant ces trois Trios, Schumann avait conçu, en 1842, un premier essai dans cette formation, qu'il recyclera ensuite en une pièce intitulée Phantasiestücke op.88, à l'annonce, en 1849, de la mort de Chopin. Ces ''Morceaux de fantaisie'' sont au nombre de 4 : une ''Romanza'' expressive et mélancolique, où le piano occupe un rôle moteur, une ''Humoreske'' aux rythmes déhanchés, un ''Duett'' presque vocal, violon-violoncelle sur un piano discret et un finale dans un tempo de marche, bâti en variations contrastées, dans une manière tour à tour décidée, fluide, voire mystérieuse.
De la même année 1842 date le Quintette pour piano et cordes op.44, en Mi bémol majeur, dédié à Clara. Écrit en à peine quelques jours, son inspiration est constamment jaillissante, qui a fait dire qu'il s'agissait d'un « concerto de chambre » (ibid.). On le considère comme le chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre de la musique chambriste romantique. Les Wanderer et leurs deux associés, Catherine Montier, violon II et Christophe Gaugué, alto, en livrent une exécution incandescente. Qui se vérifie dès l'Allegro ''brillante'' et sa pluralité motivique et rythmique où les cinq voix sont traitées avec soin, ce qui n'empêche pas le cello de Raphaël Pidoux d'émerger souvent dans un type de mélodie qui semble s'enrouler sur elle-même et le piano de tricoter joliment, grâce à la maestria de Vincent Coq. Le Rondo Un modo d'una Marcia, introduit par la répétition de deux notes un peu mystérieuses, laisse apparaître une 2ème thème plus expansif avant que le passage agitato ne fasse diversion, épique ici, presque violent, ponctué de traits d'alto bien soulignés par Gaugué. Le Scherzo molto vivace est d'une énergie quasi orchestrale, avec ses étagements de gammes dans une allure éperdue, et d'une folle virtuosité. Le premier trio tranche par sa fluidité presque liquide et le second est fébrile, fuite en avant, pris dans un tempo prestissime. On sait la fin du mouvement d'une telle furia qu'elle ne manque pas de déchaîner une salve d'applaudissements en concert. Mais c'est sans compter sur le brio du finale, nouvelle « chevauchée sur des sables mouvants » (ibid.), qui connaît une progression continue emportant l'auditeur dans un élan irrépressible. Impression renforcée par le tempo plus que soutenu de la présente équipe, légèrement martelé mais empreint de souplesse dans son traitement fugué au développement et à la péroraison en fanfare, ultime jaillissement.
Le Quatuor pour piano et cordes op.47, dans la même tonalité de Mi bémol majeur, clôt la prodigieuse production de l'année 1842. Créé par Felix Mendelssohn au clavier, il restera dans l'ombre du quintette contemporain. Il possède pourtant de sérieux atouts. Un premier mouvement débuté dans le grave, versant dans un allegro s'élançant tout de clarté avec de beaux unissons des cordes dont émergent un thème de choral et, vers la fin, le motif au cello d'un des Lieder du cycle L'Amour et la Vie d'une femme. Le Scherzo est féerique, quasi mendelsshonnien dans sa faconde et sa légèreté. Un Andante cantabile en forme de Lied tripartite où brillent le violoncelle puis le violon dans une sublime courbe mélodique que le piano agrémente délicatement. Un finale Vivace fugué, contrastant par sa vivacité et son fin romantisme dans une construction classique.
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On l'aura compris, ces exécutions sont à marquer d'une pierre blanche et apportent une nouvelle pierre à l'édifice interprétatif de ces œuvres, des Trios an particulier. Les trois mousquetaires des Wanderer restent fidèles à eux-mêmes et à leur credo d'excellence alliant raffinement instrumental, caressantes inflexions qui peuvent souvent côtoyer l'exubérance du geste, dans cet art souverain des contrastes qui les caractérise tant.
Ils sont enregistrés avec soin au Théâtre Auditorium de Poitiers dans une acoustique favorisant un vrai intimisme chambriste et un remarquable relief. Offrant pour ce qui est des Trios, une image large mais bien proportionnée entre les trois voix, et s'agissant des deux autres pièces, une approche fusionnelle encore plus palpable.
Texte de Jean-Pierre Robert
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