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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : entre ombre et lumière, l'art de Sandrine Piau

Clair Obscur Sandrine Piau

  • ''Clair-obscur''
  • Alexander von Zemlinsky : Waldgespräch, ballade pour soprano, deux cors, harpe, violon et cordes
  • Richard Strauss : Morgen, op.27/3. Meinem Kinde, op.37/3. Vier letzte Lieder. Malven
  • Alban Berg : Sieben frühe Lieder
  • Sandrine Piau, soprano
  • Orchestre Victor Hugo, dir. Jean-François Verdier
  • 1 CD Alpha : Alpha 727 (Distribution : Outhere Music France)
  • Durée du CD : 50 min 44 s
  • Note technique : etoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleue (5/5) 

Sandrine Piau offre un album abordant un répertoire dans lequel on ne l'attendait peut-être pas. Où pourtant elle dit revenir à ses premières amours musicales d'étudiante, le romantisme allemand tardif. Dans ces pages maniant le clair-obscur d'un écrin orchestral extrêmement raffiné, la voix évolue avec une évidente aisance et l'interprétation émeut par sa sincérité.

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De Zemlinsky à Berg en passant par Strauss, la soprano française nous convie à une passionnante itinérance intérieure. Bercée à une quinzaine d'histoires contant l’antagonisme entre lumière et obscurité. Car confie-t-elle, « le clair-obscur, choc des couleurs absentes, rencontre impossible des contraires, symbolise pour moi la richesse de la musique qui, parée de mystère, crée des unions sans pareilles ». Outre la finesse de l'analyse, voilà une superbe profession de foi. Pièce de jeunesse d'Alexander von Zemlinsky, la Ballade Waldgespräch (Entretien dans la forêt) pour soprano, deux cors, harpe, violon et cordes (1895) se déploie telle une vraie scena au climat envoûtant : « une chevauchée éperdue pour échapper aux griffes ensorcelantes de la Lorelei. En vain... » (ibid.). Au fil d'emportements et de répits, Sandrine Piau nous prend par la main, ne craignant pas de nous effrayer comme il en advient des contes pour enfant.

Alban Berg écrit ses Seiben frühe Lieder (Sept Lieder de jeunesse) pour voix et piano entre 1905 et 1908, abordant des thèmes chers aux romantiques, la nuit, le rêve angoissé, la nostalgie existentielle. Il les orchestrera vingt ans plus tard, leur apportant une parure diaphane. L'hommage ou la référence implicite aux maîtres que sont Schumann et Brahms, on les perçoit dans ''Die Nachtigall'' (Le rossignol) et ''Traumgekrönt'' (Couronné de songe), ce dernier sur un poème de Rainer Maria Rilke. D'un lyrisme plus ambigu, ''Nacht'' (Nuit) distille les mystères nocturnes et un climat angoissant annonçant l'opéra Wozzeck. Entre ombre et lumière, ''Schilflied'' (Chant du roseau) prolonge cet effet troublant. Alors que ''Im Zimmer'' (Dans la chambre) et ''Liebeode'' (Ode d'amour) introduisent des « parenthèses de sensualité ». La dernière pièce ''Sommertage'' (Jours d'été) offre une ultime exaltation. Dans ce parcours stylistique en apparence si varié, mais marqué par une réelle unité d'inspiration, Sandrine Piau est magistrale, caressant les mots et en parfaite empathie avec un univers que le chef Jean-François Verdier sculpte adroitement.

La manière intimiste adoptée par le chef caractérise tout autant les pièces de Strauss. D'abord deux Lieder des premières années créatrices : ''Morgen'' (Demain) op.27/4, introduit et conclu par un magique solo de violon, lequel dialogue avec la voix dans un tempo lent ici mais combien expressif. Puis ''Meinem Kinde'' (A mon enfant) op.37/3, berceuse où là encore le violon solo enlace tendrement la voix de la mère confiant à son enfant un bonheur simple. On tient là le prototype de la mélodie straussienne, ses inflexions dans une apparente simplicité où la paisible narration côtoie l'élan passionné au fil d'enchaînements rapides, souvent inattendus. Sandrine Piau s'y coule avec aisance. Comme il en est de sa vision des Vier letzte Lieder. Avec la complicité des merveilleux musiciens de l'Orchestre Victor Hugo Franche Comté, elle nous offre une approche chambriste de ce déchirant adieu au monde, loin des effluves grandioses qu'y apportent bien de ses consœurs. La voix se fait confidente et la modulation n'en est que plus ensorcelante, enveloppée dans une voilure d'orchestre volontairement allégée. La pâte orchestrale sonne étonnamment dégraissée, comme réduite à sa quintessence, dont émergent des solos instrumentaux évanescents : le cor dans ''September'', le violon de ''Beim Schlafengehen'' (Au moment de dormir). Le prélude du dernier Lied, ''Im Abendrot'' (Au couchant), tout en retenue, libère un impact paradoxalement réconfortant. Voilà une proposition quelque peu à part dans l'histoire interprétative de cette œuvre, ni précieuse ni grandiose, loin de la manière air de concert. Ancrée dans un clair-obscur fascinant, animée d'une articulation de la langue volontairement non heurtée, elle est parée de douces vocalises et couronnée d'aigus moelleux. Cette vie qui se fane, « l'attente apaisée de la mort », elle les offre avec un tact inspirant le respect.

La prise de son, à l'auditorium du CRR de Besançon, épouse parfaitement l'approche chambriste favorisée par les interprètes. La voix est immergée dans l'écrin instrumental comme le soliste d'un concerto.

Texte de Jean-Pierre Robert

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