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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Les Boréades de Rameau

Rameau les boreades

  • Jean-Philippe Rameau : Les Boréades. Tragédie en musique en cinq actes. Livret attribué à Louis de Cahusac
  • Deborah Cachet (Alphise), Mathias Vidal (Abaris), Benedikt Kristjánsson (Calisis), Tomáš Šelc (Borilée), Caroline Weynants (Sémire), Benoît Arnould (Adamas), Nicolas Brooymans (Borée), Lukáš Zeman (Apollon), Helena Hozová (L'Amour), Pavla Radostová (Polymnie), Anna Zawisa (Première Nymphe,) Tereza Maličkayová (Deuxième Nymphe)
  • Collegium 1704 (chœur et orchestre), dir. Václav Luks
  • 3 CDs Château de Versailles Spectacles : CVS026 (Distribution : Outhere Music France)
  • Durée des CDs : 69 min 21 s + 62 min 29 s + 33 min 26 s
  • Note technique : etoile verteetoile verteetoile verteetoile verteetoile verte (5/5) 

La dernière œuvre lyrique de Rameau n'est pas souvent visitée par le disque. Aussi cette nouvelle version est-elle la bienvenue. Alors que signée par un chef spécialiste de ce répertoire, à la tête d'un ensemble tchèque tout aussi en phase avec cet idiome et d'une distribution de choix. Et ce grâce à la captation live d'un concert donné à l'Opéra Royal de Versailles. La réussite est totale et ouvre une nouvelle vie à une tragédie lyrique qu'on qualifia à l'époque de presque subversive.

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Achevée en 1763, la tragédie lyrique Les Boréades devait être créée à Versailles. Mais il n'en sera rien et l’œuvre ne connaîtra qu'une sorte de générale. L'absence de création officielle a été l'objet d'interprétations diverses et divergentes. Mais selon les recherches les plus récentes, l'explication réside dans son sujet, rejeté par la censure. C'est que la trame, conçue indéniablement par Louis de Cahusac, proclame rien moins qu'un appel à la liberté, illustré dans la phrase prononcée par la nymphe Orithie à l'acte II « Le bien suprême, c'est la liberté ! ». Une audace alors à nulle autre pareille. Qui se concrétise dans cette histoire où une femme, la reine Alphise, courtisée par trois hommes, entend bien choisir celui qu'il lui plaira d'aimer, fût-ce au prix du renoncement au trône. Et celui qu'elle choisit, Abaris, est un homme d'ascendance inconnue, alors que les deux prétendants naturels, Calisis et Borilée, peuvent se targuer de leur appartenance à la lignée officielle, celle de Borée, le dieu du vent. Cette marque d'indépendance de la part de la jeune femme provoque la colère de Borée qui l'enlève et la voue aux pires châtiments. Mais une flèche d'or remise à Abaris par l'Amour permet à celui-ci d'affronter les vents déchaînés de Borée et de délivrer Alphise. L'apparition d'Apollon permettra de révéler qu'Abaris est le fils qu'il a eu d'une nymphe de la lignée de Borée. Et tout finit bien dans l'union souhaitée. Comme le souligne Sylvie Bouissou, « il se dégage des Boréades une morale décapante qui met en cause les acquis et les privilèges des droits du sang, une philosophie insufflée par le siècle des Lumières attachée à défendre le droit et la liberté de l'individu » (in ''Les Boréades ou la tragédie oubliée''). De cette trame qui cache à peine la dénonciation de l’abus de pouvoir, se dégage une morale progressiste.

Comme dans la plupart des opéras de Rameau, les divertissements dansés occupent une place essentielle et sont ici encore plus intégrés à l'action. Ils répondent à l'esprit du merveilleux, comme celui de la fin de l'acte II de l'enlèvement de la nymphe Orithie. Ou à une donnée narrative, dramaturgique dirait-on aujourd'hui, comme celui de l'acte IV et ses accents d'initiation franc-maçonnique du personnage d'Abaris. Ce qui rejoint le côté descriptif de la musique dont les passages de tempêtes en font une des données majeures. Comme le fameux ''Orage, tonnerre et tremblement de terre'' qui clôt l'acte III et l'amorce du IVème avec l' ''Entracte et Suite des Vents'', dans un continuum d'une rare puissance évocatrice. Un exemple de la modernité de l'écriture dans cette œuvre, et de ses harmonies audacieuses. Ainsi encore du travail sur les cors, et ce dès l'ouverture. Le langage musical de l'ultime opéra de Rameau est aussi en avance sur son temps, par une utilisation à la fois des récitatifs simples et des récitatifs accompagnés comme morceaux à part entière, et non comme des préludes aux airs. On y rencontre encore des airs avec dialogues, outre de courtes ariettes intégrées à l'action.

La présente version se distingue d'abord par la direction de Václav Luks dont on admire la vitalité, singulièrement dans les ballets : légèreté des gavottes, vivacité des rigaudons, grâce des menuets et agilité des contredanses. Le souci des contrastes se retrouve dans la fluidité de la battue et de ce qu'on peut qualifier de souple rigueur, comme dans le naturel des enchaînements. Il dispose avec son ensemble Collegium 1704 d'une phalange rompue à l'idiome baroque et parfaitement en phase avec son versant français. Les coloris instrumentaux sont variés. Les flûtes à bec aériennes et piquantes, la rondeur des bassons, mais aussi la discrétion des percussions aiguës et la pétulance des tambours, tout cela contribue à la respiration naturelle de la musique de Rameau. Les versions au disque de cette œuvre sont peu nombreuses. Celle-ci rejoint celles légendaires de John Eliot Gardiner suite à sa ''re création'' au Festival d'Aix dans les années 1980, puis de William Christie dans le DVD de la captation des représentations au Palais Garnier au début des années 2000, dans la mise en scène imagée de Robert Carsen.  

D'une belle homogénéité, la distribution assemblée offre un bel exemple d'identification au chant français de la tragédie en musique et d'approche au plus près des inflexions de la parole. Deborah Cachet apporte au personnage d'Alphise les prestiges d'un soprano radieux et une vaillance résolue. L'engagement est sans faille. Y répondent les accents généreux du ténor Mathias Vidal, Abaris, une figure d'antihéros criant son malheur à en perdre haleine puis peu à peu se posant en rempart contre la toute-puissance de l'ordre établi. On remarque la clarté d'émission et la belle projection du ténor Benedikt Kristjánsson, Calisis, et le baryton clair de Tomáš Šelc, Borilée, quoique moins aisé avec la langue. Le duo rageur de leur déconvenue est un morceau d'anthologie. Le dieu Borée, dont il est dit qu'il est « plus terrible que le tonnerre », Nicolas Brooymans, de sa voix de basse claire, en apporte une caractérisation a priori moins effrayante. Une mention particulière à la Sémire pétillante de Caroline Weynants. Et surtout au chœur du Collegium 1704 combien superlatif aussi bien dans la justesse des intonations que dans la rectitude de la diction.  

La captation du concert donné à l'Opéra Royal de Versailles, avec corrections subséquentes, offre une immédiateté et un spectre sonore idéalement proportionné : un vrai naturel sonore pour une prise de son live. Alors que l'équilibre instrumental entre cordes et vents est réussi, la balance orchestre-voix est suffisamment aérée pour laisser à la musique sa constante respiration. Qu'une discrète mise en espace achève de mettre en relief.

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Texte de de Jean-Pierre Robert

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