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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Ludovic Tézier chante Verdi

Ludovic Tezier Verdi 2021

  • Giuseppe Verdi : Airs et scènes pour baryton extraits de La forza del destino (Carlo di Vargas), Don Carlos (Rodrigue) et Don Carlo (Rodrigo), Ernani (Carlo), Falstaff (Ford), Il Trovatore (Conte de Luna), La Traviata (Giorgio Germont), Macbeth, Otello (Iago), Rigoletto, Un Ballo in maschera (Renato)
  • Ludovic Tézier, baryton
  • Orchestra del Teatro communale di Bologna, dir. Frédéric Chaslin
  • 1 CD Sony : 19439753632  (Distribution : Sony Music Entertainment)
  • Durée du CD : 81 min 50 s
  • Note technique : etoile verteetoile verteetoile verteetoile verteetoile verte (5/5)

Renouant avec une tradition réservée ces temps aux seules stars sopranos et ténors ténorissimes, la pratique du disque récital d'airs d'opéras en vient à s'intéresser au glorieux baryton, le primo baritono. On attendait celui de Ludovic Tézier et on est comblé. Pour son premier album, il se devait de chanter Verdi, le compositeur qui a déterminé son parcours de chanteur. Plus qu'une succession de morceaux de choix, ces quelques airs et scènes sont un concentré de dramaturgie verdienne. Incarné par une des plus somptueuses voix du moment, dans sa glorieuse maturité. Voilà une étourdissante leçon de chant et une somme interprétative d'une rare pertinence. 

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Dans la grammaire verdienne, le type vocal du baryton occupe une place centrale au sein de la fameuse et immanquable trilogie soprano-ténor-baryton. Le compositeur ne lui a-t-il pas confié ses plus pénétrantes mélodies. Il en est un pivot de la dramaturgie, observe Gilles de Van (in ''Verdi, un théâtre en musique'', Fayard, 1992). Du père outragé comme Rigoletto au vilain absolu tel Iago, en passant par l'indéfectible ami qu'est Rodrigo, combien de figures marquantes, essentielles, de tyran aussi (Nabucco) ou de justicier (Macbeth). Un examen attentif de la production du compositeur montre cette évidence au fil même de son évolution stylistique, des premières pièces à numéros que sont les airs, au style durchkomponiert, c'est-à-dire de musique continue, des derniers opus. Où peu à peu se construit un type vocal particulier qui voit le registre médian du baryton s'étendre vers l'aigu et le cantabile s'adjoindre la force. Le ''baryton-Verdi'' est né. Une voix qui est d'abord dotée d'airs de structure fermée et dans la tradition bel cantiste, comme dans ''Dio di Giuda !'' (Dieu de Juda !) de Nabucco (1842), dont l'écriture cantabile est inspirée de Bellini. Une tessiture qui peu à peu se voit réserver des véritables scènes faites d'un récitatif introductif à l'air proprement dit, élargissant la palette émotionnelle du personnage. Ainsi de celui de Carlo dans Ernani qui passé un échange avec le ténor Riccardo, entame une romance qu'il partage alors avec le violoncelle solo. Il est en tout cas un point commun à tous les personnages à venir : il y a chez Verdi « une haute tension permanente qui le rend si difficile à chanter », remarque Ludovic Tézier. Et ces rôles de baryton qui sont « parmi les plus aboutis », nécessitent autant d'être incarnés que simplement chantés.

Verdi Don Carlo di Vargas 2
Don Carlo di Vargas de La forza del destino au ROH de Londres ©Bill Cooper

C'est ce que le baryton français démontre au travers de 11 personnages d'opéras compris entre Nabucco et Falstaff dont il interprète quelques airs emblématiques. Où l'on admire d'abord un timbre moiré aux mille nuances lui permettant d'entrer dans des personnages à la psyché bien différente, et de déployer un nuancier de sentiments aussi bien de fragilité que de violence, de déchirement aussi, d'abattement encore. C'est qu'outre une diction exemplaire, il établit à chaque fois, comme peu d'artistes même du plus haut niveau, un climat, chose d'autant plus délicate que l'air est ici sorti de son contexte, hors des conditions normales de l'accomplissement théâtral. Mais l'expérience désormais acquise par le chanteur, si demandé sur les scènes lyriques nationales et internationales, ne lui permet-elle pas de s'identifier à telle ou telle situation, aussi différente soit-elle. Cela se sent pour la plupart des rôles déjà abordés à la scène (La Traviata, Rigoletto, Don Carlos, la Forza del destino). L'appui du chef Frédéric Chaslin est déterminant, attentif au moindre détail, à la plus subtile inflexion. Comme de l'orchestre qui l'entoure, celui du Teatro communale de Bologne, prodiguant une sonorité généreuse, et phonogénique, comme le démontrent les solos instrumentaux dont sont truffés ces airs. Du point de vue strictement vocal, le large ambitus permet au chanteur de dominer les traits les plus exigeants de vaillance extrême que couronne une quinte aiguë glorieuse, inextinguible. Comme d'illuminer les passages pianissimos les plus ténus, aboutissement d'un phrasé somptueux. 

Car la science consommée du chant legato, la longueur du souffle apparemment sans effort caractérisent avant tout ces lectures qui rencontrent une vraie italianità. Il faut remonter aux interprétations de Piero Cappuccilli, dont le français se réclame d'ailleurs, pour éprouver pareille sensation de densité de la ligne vocale. Comme de la netteté des trilles, de la vocalise et autres ornementations. La science du rallentendo en fin d'air, par exemple encore, pour laisser à la note finale tout son impact, qu'elle s'amplifie jusqu'au forte éclatant (''Pietà, rispetto, amore'' de Macbeth) ou au contraire s'achemine diminuendo vers le pianissimo et le silence (''Di provenza'' de La Traviata). Et toujours dans le souci de la naturelle expression du sentiment éprouvé, sans rechercher l'effet. Ce souci de la juste caractérisation, les deux airs extraits de Un ballo in maschera en apportent un magistral exemple. D'abord dans le Cantabile ''Alla vita che t'arride'' (À cette vie qui te sourit), puis le terrible ''Eri tu'' (C'est toi), qui conclut une scène terrible de vengeance de l'homme blessé dans son orgueil, traversée pourtant par la lueur du souvenir ému de ''O dolcezze perdute !'' ( Ô douceurs perdues) sur un prodigieux accompagnement de flûte et de harpe.

Ce brusque changement de direction, souvent proche du renversement de situation, est une des caractéristiques du théâtre verdien qui dote ses personnages de multiples facettes. Ainsi encore, dans le registre de la violence contrôlée, de ''Cortigiani, vil razza dannata'' où le personnage-titre de Rigoletto, malgré sa folle colère, bascule pourtant dans la supplique déchirante du père bafoué sur les mots ''rendez sa fille à ce vieillard'' et le bouleversant trille final sur le mot ''pietate''. Pareille dureté mâtinée de tendresse, fût-elle fugace, le conte de Luna l'exprime dans le fameux ''Il balen del suo sorriso'' (L'éclair de son sourire) de l'acte II de Il Trovatore, cavatine accompagnée par le basson, où l'on passe d'une douceur sincère d'amour pour Leonora à la terrible vengeance exprimée à travers un trille inouï lors de la phrase ''la tempête dans mon cœur''. La rage, mais peut-être sans vilenie inutile - au choix du metteur en scène ! - on la trouve bien sûr dans le ''Credo'' de Iago, à l'acte II d'Otello, tout de noirceur, et pourtant teinté d'un reste d'humanité dans cette ire de folie destructrice.

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Verdi Rodrigue de Don Carlos 3
Rodrigue de Don Carlos avec Jonas Kaufmann/Carlos à l'Opéra Bastille ©DR 

La belle idée du programme, et un des sommets de l'album, est le rapprochement de la scène d'adieu de Rodrigue à Carlos, à l'acte IV de Don Carlos, dans les versions française et italienne. Comparaison fascinante s'il en est. La première, créée pour l'Opéra de Paris, voit un assouplissement du style mélodique de Verdi pour s'approprier la prosodie française, moins exigeante que la poétique italienne et apparemment ''moins chantante'' avec ses syllabes muettes. Mais offrant une réelle distinction dans une phrase comme « la mort a des charmes, ô mon Carlos, à qui meurt pour toi ! '', précédant la confidence avec « Carlos, écoute » et son solo de trompette et roulement sourd de percussion. Alors que dans la version italienne, Don Carlo, le ton se fait plus dramatique encore eu égard aux accents différents de l'italien, à l'usage massif des voyelles et à la concision apportée au texte. Ainsi dans la phrase citée, les mots ''ô mon Carlos'' n'y figurent pas. Sans doute est-on influencé par cette mouture, aujourd'hui la plus jouée. Mais se souvenant de la française, donnée naguère à l'Opéra Bastille, et de Tézier dans le rôle de Rodrigue aux côtés de Jonas Kaufmann, on ressent encore combien cette poignante scène, déchirement d'une âme sincère, laisse dans la langue de Molière une indéniable sensation de chic.

La prise de son, à l'Auditorium Manzoni de Bologne, est elle aussi un sans-faute par son absolu relief et l'extrême clarté des plans. La balance voix-orchestre est proche de l'idéal, celle-ci non exagérément mise en avant mais traitée dans la réalité d'une vraie fusion avec ce dernier, singulièrement dans les passages concertants. Alors à quand un volume II, ou mieux encore une intégrale de Simone Boccanegra !

Texte de Jean-Pierre Robert

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