CD : Schumann et Liszt, Correspondances
- ''Correspondances''
- Robert Schumann : Fantaisie op.17, dédiée à Franz Liszt
- Franz Liszt : Sonate en si mineur, dédiée à Robert Schumann
- Jean-Baptiste Fonlupt, piano
- 1 CD Klarthe Records : K 119 (Distribution : PIAS)
- Durée du CD : 64 min 42 s
- Note technique : (5/5)
Belle idée que de mettre en parallèle deux partitions romantiques majeures de piano que leurs auteurs se sont dédiées l'un à l'autre. Des œuvres mues par une même inspiration, le sentiment amoureux, et une volonté commune de dépasser le modèle de la sonate classique. Les interprétations pénétrantes du pianiste Jean-Baptiste Fonlupt rendent évident ce singulier rapprochement entre la Fantaisie de Schumann et la Sonate de Liszt.
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La Fantaisie op.17 que Robert Schumann compose en 1835-1836 et qu'il dédie à Liszt, apparaît comme une sonate qui ne dit pas son nom, fantasia quasi sonata. Elle est inspirée par sa passion envers Clara Wieck. D'abord conçue en un seul mouvement, manifeste de cet amour désespérément entravé, elle en comprendra finalement trois, les deux derniers en hommage à Beethoven. Le titre de la composition changera à plusieurs reprises. Dans la dernière mouture, chaque partie comporte une indication sur la manière de la jouer. Jean-Baptiste Fonlupt en propose une exécution de haut vol. Le premier mouvement ''Durchaus phantastisch und leidenschaftlich vorzutragen'' (A jouer d'un bout à l'autre d'une manière fantasque et passionnée) est pris à bras le corps dès les premières mesures et avec fougue, établissant une tension fébrile. Le deuxième mouvement ''Mässig. Durchhaus energisch'' (Modéré, avec une constante énergie) n'est pas moins enfiévré, ivresse sonore qu'un passage médian tempère un moment, avant une reprise et une coda triomphales. Le dernier mouvement, ''Langsam gertragen. Durchweg leise zu halten'' (Lent et soutenu, dans une sonorité constamment douce), est un hymne à la paix en forme de nocturne au cantabile digne d'un Lied. Le pianiste français en conçoit avec ferveur les géniales modulations, non sans creuser le contraste lors du basculement dans un fougueux crescendo, avant que la rêverie tendrement expressive reprenne son cours. Une magistrale exécution qui ne cède pas aux sirènes de la démonstration pianistique.
Il en va de même de la Sonate en si mineur qu'en retour Liszt dédiera en 1853 à Schumann. Là encore mue par l'ardeur de l'amour, celui du musicien pour Carolyne de Sayn-Wittgenstein. Et composition d'une singulière facture puisque d'un seul tenant, selon une construction en arche qui laisse apparaître trois parties. Depuis ces notes de Sol qui semblent sortir du néant, jusqu'aux accords finaux séraphiques et la sourde note de Si, combien d'inventions magistrales. Une partition délicate à jouer : « rien n'est simple, rien ne va de soi avec cette œuvre colossale », dit le compositeur Guy Sacre. La présente exécution en déjoue les difficultés. Le premier Allegro energico est fougueux, presque déchaîné sous les doigts du pianiste. Puis, comme chez Schumann et sa Fantaisie op.17, le cheminement se partage entre ivresse et rêverie, avec volées de crescendos martelés débouchant sur une forme de douceur élégiaque et pleine de tendresse, de nostalgie aussi. Car Liszt est un diseur. L’interprète doit lui emboîter le pas sans rajouter et appliquer un rubato excessif. Fonlupt ne sacrifie pas à ce péché mignon de bien de ses collègues. Sa vision est presque schumannienne, comme dans les passages d'écriture détachée du milieu de la sonate, et avec cet esprit de fantastique qui s'empare de l'entier clavier et croît en dynamique. S'il faut de l'audace pour mener à bien cette sonate, la solide technique de Jean-Baptiste Fonlupt, son sens de la narration, le maniement d'un large nuancier, un jeu fluide et toujours lisible le lui permettent. Comme de donner du sens à un couplage programmatique où chacune de ces œuvres s'enrichit à la lumière de l'autre.
La captation live en concert dans la salle de moyen format du théâtre Dullin de Chambéry ménage immédiateté de l'instrument, un piano Yamaha, et suffisante impression d'espace.
Texte de Jean-Pierre Robert
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