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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Michele Campanella joue Les Années de Pèlerinage de Liszt

Michele Campanella annees de pelerinage

  • Franz Liszt : Années de Pèlerinage. Première année : Suisse. Deuxième année : Italie. Troisième année
  • Michele Campanella, piano
  • 3 CDs Odradek : ODRCD 391 (Distribution : UVM)
  • Durée des CDs : 53 min 32 s + 51 min 13 s + 49 min 53 s
  • Note technique : etoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rouge (5/5)

Voici une occasion idéale d'écouter les Années de Pèlerinage de Liszt dans leur intégralité, en particulier la troisième, si peu jouée, ''Les Jeux d'eaux de la Villa d'Este'' exceptés. Le pianiste italien Michele Campanella en livre une exécution hautement pensée, mûrie à une longue expérience de la musique du compositeur hongrois.

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La genèse de ce cycle pianistique emblématique du romantisme a été longue et sa composition s'étale sur quelque 35 ans. L'idée de Liszt était le « renouvellement de la Musique par son alliance plus intime avec la poésie », l'union des harmonies à la Weltlitteratür (littérature universelle). Ainsi convoque-t-il aussi bien Schiller que Dante, Goethe que Byron, Pétrarque que Hugo. Il s'attache aux correspondances avec les Beaux-Arts : toutes les impressions ressenties à la contemplation des toiles de Raphaël, Doré, Delacroix ou Ingres, sont là. Aussi les Années de Pèlerinage sont-elles plus que de la musique de piano, mais bien une œuvre d'art total, magnifiant une pensée universelle. Michele Campanella voit chez Liszt « un compositeur qui évoque l'image... soit d'un paysage, d'une peinture, d'un poème, d'un personnage, d'une histoire, d'un pays et de sa musique ». C'est qu'au-delà du cliché réducteur du virtuose démoniaque, le musicien hongrois est un homme curieux de tout.

La ''Première année, Suisse'' (1835-1838), évoque essentiellement la nature et ses multiples paysages, telle la grandiose ''Chapelle de Guillaume Tell'' ou l'ondoiement de ''Au lac de Wallenstadt''. Cette impression picturale, on la perçoit encore dans les délicieuses miniatures que sont ''Pastorale'' ou ''Au bord d'une source''. Mais on y trouve aussi des pages plus structurées, comme ''Orage'' et ses déchaînements tempétueux, ses envolées chromatiques. Le morceau central, ''Vallée d'Obermann'', conte un récit à plusieurs épisodes où l'on passe de l'élégiaque au déclamatoire. Campanella le considère comme « l'un des plus grands chefs-d’œuvre du romantisme », là où « Liszt a créé son propre son chantable indubitable ».

La ''Deuxième année, Italie'' (1838-1861) marque le triomphe de la culture et des évocations poétiques. « Le beau m'apparaissait sous ses formes les plus pures et les plus sublimes », dira Liszt dans une lettre à Berlioz. Cette partie « atteint un degré d'organicité plus élevé », remarque Campanella. S'y trouvent des pièces contrastées comme ''Sposalizio'', évocation d'un tableau de Raphaël, ou ''Il Pensieroso'', là « où le timbre et l'harmonie vont de pair pour construire une image ». Avec les ''Sonetto del Petrarca'', triptyque conçu d'abord pour voix et piano, « mieux qu'un italien, le compositeur hongrois a capturé la splendeur du chant italien ». Dans ''Après une lecture de Dante'', qui en est l'antidote par son énergie, c'est tout le drame au sens théâtral du terme, avec son thème à deux notes répétées qui parcourt le morceau.  

Dans la ''Troisième Année'' (1870), Campanella voit « une musique écrite non plus pour un public enthousiaste, mais pour un besoin intérieur ». Par ses recherches harmoniques, souvent étranges, la dernière manière de Liszt offre un son plus austère, dépouillé des fastueuses harmoniques des années précédentes. Une « musique déconcertante », côtoyant le mystique. Non que le compositeur renonce aux torrents sonores. Si ''Angelus !'' est une prière céleste, les cloches sonnent à toute volée dans ''Marche funèbre'' et ses graves effrayants de Jugement dernier comme sa progression inexorable. Ultimes feux des arpèges tonitruants dont Liszt a le secret. Les deux étranges ''Thrénodies : Aux cyprès de la Villa d'Este'' hésitent entre harmonies encore flatteuses, mais dans une atmosphère plus raréfiée, et évocation de quelque souffrance par leurs accords désormais moins brillants. Enfin les miroitements de ''Les jeux d'eaux à la Villa d'Este'', qu'on a dit précurseurs des impressionnistes français avec la sollicitation des notes extrêmement aiguës, sont pour le pianiste italien d'un autre ordre, savoir de nature symboliste. Car induits par la citation par Liszt à leur propos, d'une phrase de St Jean. Et d'en conclure que « l'eau à laquelle se réfère le compositeur hongrois est celle dont parle Jésus-Christ ».

MichelleCampanella
Michele Campanella ©DR

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Le napolitain Michele Campanella est considéré comme un des spécialistes de Liszt dont il a donné moult interprétations des œuvres en concert et bien sûr au disque, ce qui lui a valu de nombreux prix internationaux. C'est pourtant sa première version des Années de Pèlerinage. Il dit avoir attendu la grande maturité et de « progresser avec l'âge, pour comprendre le grand saut psychologique que Liszt a ressenti ». Et d'ajouter avoir « consciemment essayé de souligner le côté introspectif d'un compositeur qui est toujours considéré aujourd'hui comme quelqu'un d'exclusivement théâtral ». Son art, celui dispensé par les plus grands, comme son compatriote Arturo Benedetti Michelangeli, est précisément de ne pas chercher à le montrer : l'anti virtuose en somme, qui prend le temps de ''jouer''. Ce que traduisent des tempos relativement plus lents que ceux de bien de ses jeunes collègues, comme Bertrand Chamayou (dans sa magistrale intégrale de 2012 chez Naïve), un usage modéré de la pédale. Surtout un spectre sonore cohérent, non excessif : douceur du toucher dans le registre ''piano'', comme chez l'autre grand pianiste italien, refus d'étalage percussif comme d'exubérance dynamique dans l'extrême registre ''forte'', même dans les traits les plus ébouriffants. Le tout couronné par un sens inné de l'architecture, comme dans ''Après une lecture de Dante'' qui libère une vraie dramaturgie avec ses séquences confinant tour à tour au déluge sonore ou à l'épure lyrique.

La poétique peut paraître austère, plus perceptible que dans d'autres exécutions brillantes et souvent ''extérieures''. Rien de ces derniers qualificatifs ici. Car la symbiose est naturellement assurée entre la transparence (''Il Pensieroso''), la vigueur (''Orage''), l'ampleur (les vagues de ''Le mal du pays''/Suisse), la couleur du peintre (''Sposalizio''), la fluidité (''Les jeux d'eaux à la Villa d'Este''). L'esprit aussi (''Canzonetta del Salvador Rosa''/Italie). Au final, Michele Campanella offre une interprétation se refusant à l'effet et d'une grande sensibilité. Un artiste peu connu ici, qui rejoint ces grands noms pareillement ignorés comme l'espagnol Joaquin Achúcarro ou la canadienne Angela Hewitt.

L'instrument joué est pour beaucoup dans la réussite sonore. Michele Campanella choisit toujours ses pianos avec soin. Il joue ici un Steinway D de 1892 dont il souligne qu'il a conservé tout son matériau d'origine et loue « l’extrême vitalité de sa table d'harmonie ». Autrement dit un instrument ayant de la personnalité : un son chaud et naturel, aux aigus nets et joliment percussifs dans l'extrême, au médium naturel et non brillant, aux graves sonnant non caverneux, bien ancrés dans le spectre sonore. 

En parfaite adéquation avec l'interprétation, la prise de son, au Studio Odradek The Spheres à Pescara Montesilvano, en Italie, se signale par son immédiateté : une image large mais proportionnée, l'instrument étant bien centré. Voilà un son studio naturel qui ne cherche pas à reconstituer artificiellement une ambiance de concert.

Texte de Jean-Pierre Robert 

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