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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : les Enfants Terribles de Cocteau-Glass

Glass Labeque

  • ''Glass-Labèque Les Enfants Terribles''
  • Philippe Glass : Les Enfants Terribles, arrangement pour deux pianos réalisé par Michael Riesman. Études pour piano N°17 & N°20
  • Katia et Marielle Labèque
  • 1 CD Deutsche Grammophon : 485 5097 (Distribution : Universal Music)
  • Durée du CD : 63 min 34 s
  • Note technique : etoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleue (5/5) 

Ce CD présente une rareté, la version pour deux pianos de l'opéra de Philippe Glass Les Enfants Terribles, réalisée pour les sœurs Labèque à la demande du compositeur. On y apprécie ce qui fait la manière inimitable du musicien américain. Que prolonge l'exécution de deux de ses Études pour piano. Une nouvelle réussite à l'actif du duo des pianistes françaises. À découvrir.

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On a l'habitude de ranger Philippe Glass (*1937) dans le groupe des musiciens minimalistes et écrivant de la musique répétitive. Les choses sont moins simples, car plusieurs manières traversent sa longue et prolifique production dans les domaines les plus divers, piano, symphonique (quelque onze opus à ce jour) et opératiques. L'opéra Les Enfants Terribles (1996), qui est le dernier volet d'une trilogie consacrée à l’œuvre romanesque de Jean Cocteau, après Orphée et La Belle et la Bête, offre une écriture post minimaliste. Créé ''pour voix et trois pianos'', il a fait l'objet, en 2020, d'un arrangement pour deux pianos par Michael Riesman, à la demande de Glass, pour les Sœurs Labèque, dont celui-ci apprécie tout particulièrement le talent. « They are tremendous. They are great performers, and great interpreters... It was great to work with them », dira-t-il. L’œuvre est en fait un condensé de l'opéra, en douze numéros sur les 20 scènes que compte celui-ci. L'histoire est celle tragique de deux frère et sœur, Paul et Elisabeth, liés par une affection exclusive. Voyant que Paul s'éprend d'une femme, Agathe, Elisabeth provoque sa mort. Sur ce qui est aussi une allégorie sur la fin de l'adolescence, Glass, et le présent transcripteur, ont conçu une partition usant d'une écriture certes répétitive et confinant souvent à un langage lancinant, mais extrêmement différentiée dans le détail. D'où une étonnante diversité de climats. C'est qu'un autre facteur vient se conjuguer, fruit de l'évolution stylistique du musicien : la référence à la musique du passé, en l'occurrence celle du XVIIIème européen.

La musique n'est pas pure répétition mécanique d'un même motif, même décliné de plusieurs façons, comme le thème central des premier et dernier morceaux, ''Ouverture'' & ''La fin de Paul'', très rythmés avec d'irrésistibles progressions. Mais bien aussi source d'expressivité poétique. Comme il ressort de la plupart des autres numéros. Ainsi ''Le Somnambule'' (3) offre-t-il une manière ''liquide'', majoritairement logée dans l'extrême aigu des deux instruments, tel un son de cloche au lointain. Ou ''Perdu'' (8), une sorte de calme cheminement, modéré en dynamique, même si connaissant un réchauffement dans l'extrême grave. Le ''Terrible Interlude'' (6), la plus longue séquence, se déploie sur le ton de la ballade, au sens romantique du terme, expressive et dans le registre ppp. Le rythme ne change pas et l'originalité du morceau est d'en renouveler l'intérêt par le prisme de la répétition d'un même motif travaillé diversement par chacun des deux pianistes : quelque chose de dramatique se produit insensiblement. Et de l'ordre peut-être de l'improbable chez Glass si l'on s'en tient au cliché du minimaliste impénitent répétiteur.

La différentiation spatiale que permettent les deux pianos, disposés tête-bêche, on la perçoit dans le travail sur des apparents unissons, en réalité des formules beaucoup plus complexes. Une technique en répons souvent plutôt, qui voit le leadership passer insensiblement de l'un à l'autre. Enfin Glass manie l'art de moduler inlassablement pour installer des atmosphères poétiques. Ainsi le climat lancinant de ''L'agonie de Paul'' (2) est-il dû à une sorte de balancement dans le grave des deux voix, d'où émerge soudain au piano I un motif vif dans l'aigu, puis plus loin une bombarde de grave, telle une lutte véhémente. De même, dans le morceau ''Ils vivaient leur rêve'' (5), où après de grands accords forte des deux instruments, le piano II se lance dans quelque sarabande, truffée de notes répétées en saccades, tandis que le piano I renchérit et reprend le thème à son compte. Les contrastes entre les morceaux peuvent être extrêmes. Après l'Interlude, la séquence ''Cocon de châles'' (7) laisse éclater des rythmes virevoltant dans le medium et l'aigu du piano II sur une basse obstinée de deux notes graves, avant une progression en intensité sonore.

C'est peu dire que Katia et Marielle Labèque font leur cette musique diablement complexe. Il fallait leur énergie légendaire pour venir à bout de ces pages dont elles vivifient le contenu par un jeu maniant, comme avec raffinement, le côté percussif et usant à volonté de la pédale. Elles donnent encore deux Études, pour piano solo cette fois, jouées par chacune d'elles. Les 20 Études, écrites entre 1991 et 2002, durant des périodes bien différentes de la carrière créatrice de Glass, montrent son intérêt croissant pour un instrument dont il reconnaît avoir peu à peu compris et aimé l'écriture. Elles sont réparties désormais en deux Livres qui suggèrent « a real trajectory that includes a broad range of music and technical ideas », indique-t-il de manière sibylline. L’Étude N°17, jouée par Marielle, débute dans le registre grave puis se loge dans l'aigu, modulant jusqu'à ce que s'établisse un thème franc fait d'une succession d'accords dans une modulation tempétueuse. Puis celui-ci est diversement travaillé dans l'aigu. La fin, plus calme, s'ancre dans le grave. L’Étude N°20, jouée par Katia, est une évocation poétique, presque romantique, schumannienne, dans un allegro retenu. Le discours croît en intensité et dynamique par de grands accords graves et restera partagé entre ces deux pôles. C'est la veine poétique qui finalement l'emportera. 

La prise de son, dans un lieu non précisé, le CD ne comprenant au demeurant aucune plaquette explicative sur ce point non plus que sur les œuvres, offre une image large mais bien intégrée. Le placement des deux Steinway D est satisfaisant.

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Texte de Jean-Pierre Robert   

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