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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : John Eliot Gardiner dirige Sémélé et là est toute la différence

Handel Semele

  • George Frideric Handel : Semele. Musical drama en trois actes. Livret d'après celui de William Congreve et d'un adaptateur anonyme
  • Louise Alder (Sémélé), Hugo Hymas (Jupiter), Lucile Richardot (Juno/Ino), Carlo Vistoli (Athamas), Gianluca Buratto (Cadmus/Somnus), Emily Owen (Iris), Angela Hicks (Cupido), Peter Davonen (Appolo), Angharad Rowlands (Augur), Dan D'Souza (High Priest)
  • Monterverdi Choir
  • English Baroque Soloists, dir. John Eliot Gardiner
  • 3 CDs Soli Deo Gloria : SDG 733 (Distribution : PIAS)
  • Durée des CDs : 39 min 07 s + 50 min 55 s + 65 min 47 s
  • Note technique : etoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rouge (5/5)

Quelques 40 ans après une première version (Erato), John Eliot Gardiner remet sur le métier Semele, œuvre sui generis dans la production de Haendel, ni vrai opéra ni oratorio, sans doute les deux à la fois, en tout cas d'une fascinante richesse musicale et dramatique. Enregistrée dans le cadre d'une tournée européenne au printemps 2019, cette interprétation se distingue par un cast de jeunes talents qui frôle l'idéal et surtout une direction musicale dont on mesure à chaque instant combien elle a été minutieusement préparée. 

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Afin de se renouveler et de continuer de plaire au public londonien qui se lassait de l'opéra italien, Haendel eut l'idée, dans les années 1730, de se tourner vers un autre genre, « l'oratorio volgare », dans la manière de l'opéra et chanté en langue anglaise. Sémélé, écrit en un mois et un jour, à l'été 1743, est créé au King' Theater de Covent Garden en février 1744. Inspirée de la mythologie païenne, la destinée de la belle Sémélé, une mortelle aimée de Jupiter qui flirte avec l'adultère sous le yeux horrifiés de Junon, ne saurait la conduire qu'à sa perte. Car l'épouse royale délaissée a juré de faire plier cette incroyable égérie, en flattant son goût immodéré de sa propre beauté. La dramaturgie est suffisamment élaborée pour produire une œuvre solidement construite et d'une extrême richesse musicale. Si les arias sont grandioses, la plupart sur le schéma da capo, et d'une extrême concision, on observe l'importance des récitatifs accompagnés. Les chœurs sont aussi très développés et adornés d'une tournure répétitive, sorte de da capo. Chacun des trois actes dispose de sa propre ouverture instrumentale, prélude à des développements musicaux fastueux.

Pour cette nouvelle version au disque, John Eliot Gardiner, à la tête de son ensemble choral du Monteverdi Choir et de se formation maison des English Baroque Soloists, a choisi de resserrer la trame musicale. En adaptant quelques arias, par exemple le fameux ''Endless pleasure'' de Sémélé (I/4), confié à un Augure, soprano au demeurant, et ce conformément au livret original de Congreve, et en biffant quelques autres à l'acte I, pour plus de concision. Le résultat est proprement irrésistible dans les choix interprétatifs et la conduite d'ensemble. Où l'on perçoit le sens de l'occasion que procure une exécution en concert. Exemplaire est d'abord la façon de varier les tempos, les rapides en particulier, comme il en est de la Sinfonia ouvrant l'acte II, lesquels se voient dotés d'une manière légèrement bondissante (chœur des Amours et des Zephyrs II/3), voire d'un fol élan (chœur des Prêtres au Ier acte). L'art de manier les contrastes rehausse le continuum musical, et partant dramatique : le vif soutenu de l'aria de Sémélé ''Myself I shall adore'', ou l'insistance sur la charge émotionnelle d'une phrase, pour créer un climat de désolation par exemple. Ainsi du prélude au dernier récitatif accompagnato de Sémélé, au climat sombre, de désespérance désabusée, alors que la toute fin et les derniers soupirs de l'héroïne seront d'une immatérielle douceur. Remarquable est encore la façon de souligner tel trait d'instrumentation, comme l'usage des bassons durant la Sinfonia de l'acte III. La clarté du continuo illuminant plus d'un récitatif ne l'est pas moins, libérant la charge dramatique, sa vivacité comme la variété dans l'expression du texte. Car le livret emprunté à William Congreve est souvent d'un impact théâtral certain. Ce qui a fait dire à un autre librettiste favori du Saxon, Charles Jennens, que cette œuvre n'était « pas un oratorio, mais un opéra obscène ». Surtout, la conduite orchestrale de Gardiner révèle comme peu la somptuosité du chant haendélien.

John Eliot Gardiner
John Eliot Gardiner ©DR

À cet égard, l'auditeur est comblé. Car la distribution réunit un ensemble de talents, voire de jeunes pousses plus que prometteuses, maniant haut la main l'art du compositeur. À commencer par Louise Alder, royale Sémélé, ne pâlissant pas devant ses collègues, même les plus illustres, comme Cecilia Bartoli naguère à Zürich. Sensualité, ambition et vanité sont exprimées avec un naturel qui ne fleure pas le calcul. Son soprano agile, corsé et expressif emplit toutes les facettes d'un rôle à vrai dire gratifiant. D'une envoûtante suavité, l'aria ''O sleep'' (II/2) est pris si lent et ppp qu'il en est quasi hypnotique. ''With fond desiring'' (II/3) est ironique dans ses vocalises, là où Sémélé prend Jupiter au mot. ''Myself I shall adore'' (III/3) montre, au fil de ses longues phrases, toute l'aisance d'une guirlande de vocalises liées ou piquées, enroulées dans les moulinets des cordes et à un tempo preste traduisant bien le contentement de soi. ''No, no, I'll take no less'' (III/4) fait assaut de virtuosité dans des vocalises tendues à une vitesse ''infectious'' de la part de Gardiner. Lucile Richardot est impressionnante dans les postures hyperboliques de Junon. Son timbre de mezzo, virant au besoin sur le contralto, colore le côté virago de la déesse, comme à l'accompagnato ''Awake, Saturnia'' (II/1) et l'aria qui suit ''Hence, Iris'', aux accents vengeurs et vocalises assorties sur un tempo haletant. Belle assimilation de cette façon si britannique de déclamation histrion. Dans ''Above measure'' (III/6), Junon savoure-t-elle sa vengeance, ce que Richardot portraiture avec aplomb. Elle est tout aussi en phase avec le rôle d'Ino, la sœur pas si tranquille de Sémélé. Ainsi de l'aria ''But hark !'', qui conduit à un duo des deux femmes à la fois extatique et animé, leurs voix s'enlaçant à l'unisson ou en répons.

Concert Philharmonie de Paris
Lors du concert donné à la Philharmonie de Paris ©DR 

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Hugo Hymas habite avec élégance le dieu Jupiter qui emprunte les habits d'un mortel et ose proclamer ''Love and I are one'' ! La ductilité du timbre, la facilité d'émission enluminent une aria comme ''I must with speed amuse her'' (II/3) et ses cascades de vocalises. Les arias rapides offrent pareille aisance. On citera encore le contre-ténor Carlo Vistoli, Athamas, aux aigus percutants et assurant de belles incursions dans le grave. Le duo avec Richardot au Ier acte, de deux voix d'alto, est un morceau de choix. Ou la basse Gianluca Buratto qui en use d'une manière claire dans Cadmus, et l'assombrit pour incarner Somnus, le dieu du sommeil. Ou encore le Cupido d'Angela Hicks, soprano au ton presque enfantin, donc parfaitement en situation. Le Monteverdi Choir fait montre de l'engagement qu'on lui connaît et des qualités d'un quatuor vocal nourrissant un panel de nuances exceptionnel, dans le chant piano en particulier. Des English Baroque Soloists, on louera encore la finesse de jeu, le caractère idiomatique des attaques et des ponctuations, l'expressivité des cordes et la brillance des cuivres lors de leurs interventions avec les chœurs.

Capté live en concert semi staged au Alexandra Palace Theatre de Londres, l'enregistrement se signale par son immédiateté. L'image sonore est large sur l'orchestre et restitue agréablement la mise en espace. Les voix, quelquefois proches, sont toujours captées dans une perspective naturelle. Comme il en est des chœurs, d'une extrême présence.
Texte de Jean-Pierre Robert 

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George Frideric Handel, Monterverdi Choir, English Baroque Soloists, John Eliot Gardiner

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