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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Le Timbre d'argent de Saint-Saëns ressuscité

Saint Saens Le trimbe dargent

  • Camille Saint-Saëns : Le Timbre d'argent. Drame lyrique en quatre actes. Livret de Jules Barbier et Michel Carré (version de 1914)
  • Edgaras Montvidas (Conrad), Hélène Guilmette (Hélène), Tassis Christoyannis (Spiridion), Yu Shao (Benedict), Jodie Devos (Rosa), Jean-Yves Ravoux (Patrick), Matthieu Chapuis (Un Mendiant)
  • Chœur Accentus, Christophe Grapperon, chef de chœur
  • Les Siècles, dir. François-Xavier Roth
  • 1 Livre-disque de 2 CDs Palazzetto Bru Zane Édition, collection ''Opéra français'', vol. 25 : BZ 1041 (www.bru-zane.com)
  • Durée des CDs : 76 min 46 s + 70 min 43 s
  • Note technique : etoile verteetoile verteetoile verteetoile verteetoile verte (5/5)

Cet album consacre une première au disque, la version intégrale du drame lyrique Le Timbre d'argent. Elle a été enregistrée dans la foulée des représentations données au printemps 2017 à l'Opéra Comique, en coproduction avec La fondation Palazzetto Bru Zane. Voici la (re)découverte passionnante d'une œuvre méconnue de jeunesse de l'auteur du Carnaval des animaux. Qui est dirigée avec maestria par François-Xavier Roth à la tête de son ensemble Les Siècles. Mérite plus que le détour.

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Camille Saint-Saëns n'est pas, au théâtre, seulement l'auteur de Samson et Dalila ! Dès sa jeunesse - il a alors trente ans - ne s'est-il pas attelé à un ''opéra fantastique'', Le Timbre d'argent, après qu'il se soit vu refuser le Prix de Rome. Sur un livret que lui souffle Auber. Certes, l'œuvre va connaître un bien curieux destin puisqu’initiée dès 1864, elle sera remaniée plusieurs fois : pour sa création en 1877 à Paris, et lors de sa reprise à la Monnaie de Bruxelles en 1914, où elle change de statut pour celui de ''drame lyrique''. Depuis lors, plus d'occasion de l'entendre, pas même au disque. C'est pourtant une partition fort originale dont son auteur dira « il y a de tout dans cet ouvrage, qui va de la Symphonie à l'Opérette en passant par le Drame lyrique et le Ballet ». Le sujet a de quoi surprendre : l'histoire hoffmannienne d'un peintre hypocondriaque, Conrad, épris d'une ballerine, Fiametta, qu'il a peinte en Circé - personnage muet dans la pièce. Un objet, une sonnette, de celles qui, dans les temps bourgeois, ornaient les comptoirs des hôtels, va jouer un rôle moteur. Car ce ''timbre d'argent'' procure des monceaux d'or à qui l'actionne mais provoque aussi la mort subite d'une personne proche... Le médecin de Conrad, Spiridion, métamorphosé en mauvais génie et lointain cousin de Méphisto, tire les ficelles de cette étrange affaire qui tient du pacte faustien. Mais, en fait, il ne se sera agi que d'un rêve cauchemardesque et notre peintre, mal en point au début, retrouvera le vrai sens de la vie et pourra épouser celle qui l'aime, Hélène.

Pour ce sujet atypique, Saint-Saëns a commis une œuvre qui l'est tout autant, pourvue d'une musique extrêmement mobile et chatoyante. Selon la belle formule de François-Xavier Roth, c'est « une musique des goûts réunis ». L'orchestre en est le personnage principal dans sa fonction de narrateur. Il est fort coloré, à l'image de l'Ouverture qui débutée allègre, se teinte d'accents plus sombres, voire menaçants, pour terminer par là où tout avait commencé. Lyrique ou éclatante, théâtrale ou intime, la manière ne cesse d'étonner et charme par son constant renouvellement. On y trouve des pépites. Tel le bref entr'acte de l'acte II distribué aux seuls bois, lesquels se voient ailleurs toujours mis en valeur. Ou les sonorités de musette à l'acte III pour accompagner le cortège de noces du compagnon de Conrad, le fidèle Bénédict, musique se muant en une danse bien troussée avec chœurs. Tout comme les tonalités de réjouissances populaires de la fin de ce même acte. Autre morceau d’anthologie, le ''Pas de l'abeille'', au II, dansé par Fiametta sur de sombres tremolos de l'alto joué sul ponticello, cédant la place à une danse plus gaie, un brin exotique au son du hautbois. Ou plus tard, l'intermède orchestral décrivant une fin de représentation à l'opéra qui voit le triomphe de ladite ballerine, devant un Conrad émerveillé.

François-Xavier Roth, qui visiblement aime cet idiome et est à son affaire avec une trame qui se réclame à la fois de l'intime et du fantastique, tire de ses complices des Siècles des sonorités envoûtantes. Celles des instruments d'époque apportent cette pointe d'acidité aux cordes aiguës qui avive le propos symphonique. Comme il en est de la fièvre des percussions. Sa direction est souvent d'un élan irrésistible, comme à la fin du IIème acte. Elle sait aussi précipiter l'allure pour soutenir les situations paroxystiques, tel le délire de la foule du IVème acte. Enfin l'accent porté par Saint-Saëns sur les bois est magnifié par la recherche d'une exécution là encore incisive. Le chœur Accentus n'a rien à envier à un ensemble pratiquant habituellement le répertoire. Ainsi de l'habileté à personnifier des situations ou groupes différents, comme les vaillants appels au Carnaval ou l'invocation susurrée ''Circé, revient à la vie, à l'amour'' (I), ou autres sirènes séductrices.      

La distribution bénéficie nul doute de l'expérience des représentations ayant précédé l'enregistrement. Les deux timbres de ténor sont parfaitement distincts l'un de l'autre, comme il en est des deux sopranos. Dans le rôle de Conrad, exemple du ténor romantique avec son lot d'héroïsme et d'intense lyrisme, Edgaras Montvidas offre un parcours sans faute, d'autant plus méritoire que tout est ici exigeant : endurance, crédibilité, passion refrénée. Tension de l'air ''Dans le silence de l'ombre'', évoquant le désespoir du ''jour funeste où je suis né'', tout comme celle des interventions au finale du II, avec quinte aiguë périlleuse. Mais aussi magistral dit romantique de ''Quel trouble s'empare de tous mes sens ?'' (III). Le rôle de Benedict, dévolu à un ténor lyrique, est tenu avec aplomb par Yu Shao qui orne ses airs d'une belle couleur poétique, comme dans ''Demande à l'oiseau qui s'éveille'' (I). Celui d'Hélène, la pauvre aimante délaissée pour une danseuse, Hélène Guilmette lui offre un chant immaculé. La Romance ''Le bonheur est chose légère'', douce mélodie refrain avec violon solo, s'amplifie au fil des divers couplets. Le duo avec Conrad au IIIème acte est remarquablement traité dans sa simplicité. L'autre soprano, Jodie Devos, Rosa, contraste par son timbre colorature. Une artiste qui fait depuis lors la carrière que l'on sait. Un des joyaux de la partition est le duo entre les deux femmes, la Prière ''O Vierge mère'', du Ier acte, reprise au dernier. La palme de l'abattage vocal revient au baryton Tassis Christoyannis qui possède à la fois la verve et le naturel diabolique du protéiforme Spiridion, médecin, marquis, personnage de commedia dell'arte et autre cocher. La romance, relevée de sous-entendus ''de Naples à Florence'', sur un rythme à l'ancienne avec colorature finale, frôle le morceau d'anthologie. La ''Ballade de Spiridion'' (IV) avec contrepoint du chœur et concertino de la petite harmonie est délivrée mezza voce, visualisant une sorte de ballet agité où brille la belle Circé-Fiametta. La composition sait ne pas tomber dans le piège de la facilité. Au final, une belle réussite, à la hauteur de la hardiesse du pari engagé.

L'enregistrement, au Studio de la Philharmonie de Paris, pourvoie une habile mise en scène dans la disposition des solos et ensembles. Les voix solistes comme le chœur sont placés dans une agréable perspective vis-à-vis de l'orchestre. L'image sonore, large et ouverte tout en étant synthétique, offre une spatialisation vaste de l'orchestre, restituant la riche orchestration de l’œuvre.

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Texte de Jean-Pierre Robert 

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