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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Stéphane Degout et le Lied allemand, en terrain conquis

Epic Stephane Degout Simon Lepper

  • ''Epic''
  • Choix de Lieder et Ballades de Franz Schubert, Carl Loewe, Robert Schumann, Johannes Brahms, Franz Liszt, Hugo Wolf
  • Stéphane Degout (baryton), Simon Lipper (piano)
  • Avec la participation de Felicity Palmer (mezzo-soprano) et de Marielou Jacquard (mezzo-soprano)
  • 1 CD Harmonia Mundi : HMM 902367 (Distribution : PIAS)
  • Durée du CD : 63 min 18 s
  • Note technique : etoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rouge (5/5)

Après ''Enfers'', voici ''Epic'' : Stéphane Degout aime à se confronter aux états paroxystiques tant à l'opéra qu'au concert. Sous ce titre évocateur, il rassemble une poignée de Lieder appartenant essentiellement au genre de la  Ballade, une des catégories du ''Kunstlied'', ou chant d'art, inauguré par Schubert et développé par maints compositeurs du XIXème, de Loewe à Wolf. Un itinéraire passionnant qui côtoie le tragique assumé et la haute voltige vocale.

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Le genre de la ballade, qui « a quelque chose de mystérieux, sans être mystique », selon Goethe, permet souvent l'éclosion d'un petit drame au fil de récits elliptiques mais terriblement signifiants des tortures de l'âme humaine. Le choix de Stéphane Degout s'est porté sur des pièces à haut potentiel dramatique et de durée substantielle. Le parcours débute logiquement par Schubert et ''Der Zwerg''/Le Nain D 771, un conte gothique de nain qui tue son aimée au bord de la mer, et offre une texture dense qui n'est pas sans rappeler celle du Lied ''Erlkönig'', là où cohabitent le drame qui couve et un lyrisme éperdu. De Schumann, ''Belsatzar'' op.57, de l'année faste 1840, sur un poème de Heine, transfigure la terrible histoire du roi de Babylone mis à mort par la foule, horrifiée de ses blasphèmes. Tandis que ''Die beiden Grenadiere'' op.49/1 sur un rythme de marche implacable jusqu'aux accents de La Marseillaise, conte le sort émouvant de deux grognards français de retour de la campagne de Russie, qui à travers l'Allemagne, se lamentent de la capture de leur héros Napoléon. Un Lied où s'illustra naguère Dietrich Fischer-Dieskau, que Degout pourvoit d'accents déchirants. Carl Loewe (1796-1869) est sans doute le vrai créateur du style de la ballade dramatique. Ainsi avec ''Edward'' op.1 N°1, sur un texte écossais ancien, traite-t-il de la rencontre éminemment tragique entre un fils et sa mère, à laquelle il avoue avoir tué son père. Cette pièce pourvue d'une sorte de refrain déverse déchaînement vocal et pianistique. Sur ce même poème, dû à Johann Gottfried von Herder, Brahms écrira plus tard son op.75/1 (1877), sous forme d'un haletant duo où questions de la mère et réponses du fils s'enchaînent en un élan dévastateur. Il y a quelque chose de plus poignant que chez Loewe dans cette joute entre les deux protagonistes et assurément une recherche de paroxysme tragique. Le Lied ''Die Nonne und der Ritter''/ La Religieuse et le Chevalier op.28/1 (1864), sur un texte d'Eichendorff, apporte un contraste intéressant, une des seules pauses dans ce programme ''épique'', quoique la pièce, ici encore en duo, plante un décor inquiétant.

Pas aussi célèbres que sa musique pour piano, les Lieder et mélodies de Liszt, fort nombreuses pourtant, montrent une face intéressante de son génie. Le Lied ''Die drei Ziguener''/ Les trois tziganes, sur un poème de Lenau (1860), se signale par sa belle introduction pianistique et le souvenir pour l'auteur de ses origines hongroises. ''Es war ein König in Thule'', tiré de Goethe, est un bel exemple de ballade sur un récit bien connu de Gretchen chérissant la coupe d'or qui lui a été offerte par son amant. Le style est ici déclamatoire sur un piano soutenant le drame sous-jacent. Liszt a écrit dans plusieurs langues dont l'italien. Le set des ''Tre sonetti di Petrarca, donné ici dans sa Ière version de 1842-1846, plus ou moins contemporaine de celle pour piano seul, montre une vocalité brillante qu'accompagne un piano très virtuose. Les poèmes d'amour de Francesco Petrarca sont portés par le musicien à un point d'incandescence, dans une manière inspirée par le bel canto, d'où des passages très exposés. Ces fiers accents quasi opératiques, on les trouve en particulier dans le 2ème sonnet ''Pace non trovo''/Je ne trouve pas la paix, flattant le haut de la tessiture du baryton. Si le disque se conclut par ces pièces de Liszt, il en est une autre, d'Hugo Wolf, qui marque définitivement le caractère épique de la ballade. ''Der Feuerreiter''/ Le cavalier du feu, extrait des Poèmes d'Edouard Möricke, n°44 (1888) développe l'histoire d'un soldat du feu tentant en vain d'éteindre les flammes allumées par le diable. Dans ce morceau très exigeant autant pour le chanteur que pour le pianiste, le ton adopté par Degout est délibérément frénétique, proche de la transe, et le pianiste Simon Lepper ménage de redoutables cataclysmes de décibels. La fin apaisée, tout en contraste, n'en est que plus effrayante lorsqu'un meunier, plus tard, découvre le squelette du cavalier.

Cette dernière pièce donne le ton de l'entier programme : des interprétations intensément dramatiques, usant du spectre le plus large de la voix de baryton, de ce timbre si attachant qui se coule dans la prosodie germanique par une diction irréprochable. Un timbre qui s'est corsé et revêt une sombre parure, celui d'un Golaud désormais, non plus de l'inoubliable Pelléas qu'il fut. Un ton aussi qu'il noircit à dessein dans l'art de déclamer, car l'interprétation se développe généreusement et se lâche parfois, avec des inflexions proches de l'hallucination et du théâtre, pour une manière « épique » en effet. La flexibilité est encore au rendez-vous dans les passages plus lyriques, les Sonnets de Pétrarque en particulier. Simon Lepper lui donne une réplique à la hauteur du challenge, par un pianisme nuancé et coloré.

L'enregistrement, à la Maison de l'Orchestre national d'Île-de-France, sonne à l'occasion très proche sur la voix, ce qui accentue le côté paroxystique recherché. L'ambiance ménage l'intimisme (Schubert) comme les grandes déclamations (Wolf). Le piano est capté dans toute son ampleur et la balance avec la voix est irréprochable.

Texte de Jean-Pierre Robert

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