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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : une brassée de chansons d'amour

Chanson dAmour Sabine Devieilhe Alexandre Tharaud

  • ''Chanson d'Amour''
  • Gabriel Fauré : Notre amour, op.23/2. Au bord de l'eau, op.8/1. Chanson d'amour, op.27/1. Après un rêve, op.7/1. Les Berceaux, op.23/1
  • Francis Poulenc : Voyage à Paris, Hôtel (extraits des Banalités, 2 & 4). Deux Poèmes de Louis Aragon
  • Maurice Ravel : 5 Mélodies populaires grecques. Sur l'herbe. Trois beaux oiseaux du Paradis. Manteau de fleurs. Chanson française. Ballade de la Reine morte d'aimer
  • Claude Debussy : Nuit d'étoiles. Romance. Apparition. Ariettes oubliées
  • Sabine Devieilhe (soprano), Alexandre Tharaud (piano)
  • 1 CD Erato : 01900295224271 (Distribution : Warner Classics)
  • Durée du CD : 64 min 07 s
  • Note technique : etoile verteetoile verteetoile verteetoile verteetoile verte (5/5)

Il y a des rencontres qui font sens. Une jeune soprano en vue et un pianiste de renom s'unissent pour chanter la mélodie française. Au fil d'une brassée de pièces sur le thème immanquable de l'amour, illustré par Fauré, Ravel, Debussy et Poulenc. Un programme pertinemment construit, mêlant pièces connues et pépites plus rares, interprété avec sincérité et bon goût. Que demander de plus. Allons les écouter.

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« La mélodie française sait offrir des couleurs infinies » souligne Sabine Devieilhe. Pour chanter l'amour, la soprano et le pianiste Alexandre Tharaud ont choisi quatre musiciens qui ont si bien su le faire. Fauré bien sûr d'abord, qui a ouvert la voie à tant d'autres. Avec des pièces de ses premières années créatrices. Ainsi de ''Chanson d'amour'' op.27/1 et son rythme berçant, ou de ''Au bord de l'eau'' op.8/1, magnifiée ici par une ligne mélodique sans affectation, libérant la subtile nuance de nostalgie contenue dans le texte de Sully Prudhomme. La célébrissime mélodie ''Après un rêve'' op.7/1, le rêve de la mélodie fauréenne, modulant tant à la voix qu'au clavier, les présents interprètes la prennent avec tant de naturelle simplicité qu'on semble la découvrir comme à la première fois. Même si le timbre aigu du soprano apporte un ton bien différent de celui du baryton. Dans ''Les Berceaux'' op.23/1, le balancement monotone de la musique épouse la prosodie de triste résignation du texte de Sully Prudhomme.

Élève de Fauré, Ravel sut vite trouver sa propre voie dans ce genre en particulier. Sa première mélodie connue, ''Ballade de la Reine morte d'aimer'', de 1893, conte le destin tragique d'une sœur du Roi de Thulé en des pages opposant murmure et éclat sur une écriture pianistique presque symphonique. Dans ''Manteau de fleurs'', le piano semble flotter, s'étirant dans le registre aigu pour créer un écrin à la voix jusqu'à un climax puis une fin d'une tristesse résignée sur une calme péroraison instrumentale. ''Trois beaux oiseaux du Paradis'' (1915) est une forme d'invocation, proche d'une vieille romance. La diction naturelle de Sabine Devieilhe et la clarté du timbre compensent ici l’exigence d'un soprano plus corsé. Dans les 5 Mélodies populaires grecques (1904), on mesure d'emblée ce qu'apporte l'expertise d'un pianiste rompu à la musique de Ravel. Par exemple pour ''Chanson de la mariée'' qui se distingue par la faconde de la partie de piano. Le timbre d'argent de la soprano fait siennes ces courtes pages si chargées de sens, d'émotion (''Là-bas, vers l'église''), ou d'abandon (''Chanson des cueilleuses de lentisques'' et son orientalisme raffiné). Dans les pièces plus exposées, comme ''Quel galant m'est comparable'', la voix s'épanouit, ou ''Tout gai !'' et son tempo allant, le sourire sur les lèvres. Il en va de même de ''Sur l'herbe'' (1907), pièce aux accents légèrement moqueurs, proche des Histoires naturelles.

De Debussy, ils proposent un florilège choisi. Dans ''Nuit d'étoiles'', sa première mélodie (1880) sur un poème de Théodore de Banville, on savoure la ligne finement ouvragée d'une future Mélisande et un piano virevoltant au long d'un joli refrain. ''Romance'' se coule dans la poétique mystérieuse et évanescente de Paul Bourget, avec des cadences souvent interrompues. Mallarmé offre le texte de ''Apparition'' : un piano bondissant dans la partie aiguë, la voix se promenant d'abord calme, puis plus libérée, comme il en est de l'accompagnement. Cette pièce, écrite pour Marie-Blanche Vasnier et sa voix aiguë, offre des envolées presque opératiques et là encore préfigure la musique de Pelléas et Mélisande. Sabine Devieilhe est ici à son affaire. Un des sommets du disque, et de l'ensemble des mélodies de Debussy, est le set des Ariettes oubliées. Créé par Mary Garden, illustre interprète de Mélisande précisément, ce cycle de six mélodies l'est sur les poèmes de Verlaine. On se délecte ici de la manière proche du murmure de ''C'est l'extase'', de la fluidité de ''Il pleure dans mon cœur'', du calme presque inquiétant de ''L'ombre des arbres'' et sa magistrale coda pianistique, du beau contraste que crée ''Chevaux de bois'', là où tout tourne d'un seul élan, de la poétique de ''Green'', où texte et musique ne font qu'un, et de ''Spleen'', une fin digne de celle de la malheureuse Mélisande.

Poulenc enfin se voit honoré de quelques mélodies typiques, entre extase et agitation, et toujours d'une rythmique un brin dégingandée. Ainsi de deux pièces extraites des Banalités (1940), sur des textes de Guillaume Apollinaire. Avec ''Voyage à Paris'', c'est la faconde et le côté ''voyou'' du compositeur des Dialogues des carmélites. Là où ''Hôtel'' exploite le suprême abandon dans un tempo paresseux, que Tharaud nurse avec gourmandise et que sa partenaire dit de façon si joliment désabusée. Les Deux poèmes de Louis Aragon (1943) font tout autant mouche : ''C'', tout de légèreté est un exemple des ''chansons-scies'' de Poulenc. Avec ''Fêtes galantes'', on s'encanaille, mais pas trop, à la différence de la version de Régine Crespin. Enfin et ultime salve du CD, ''Les chemins de l'amour'', concluent sur une note délicieusement nostalgique qui fond dans une valse au parfum doucement suranné.

C'est peu dire que l'entente est totale entre chanteuse et pianiste. Comme le dit justement Sabine Devieilhe, « l'intimité entre les deux instruments est palpable... Tantôt complices, complémentaires, le jeu du chant et piano est sans fin ». Chez lui, le pianisme poétique, transparent, toujours savamment dosé et adapté à l'idiome de chaque musicien. Chez elle, la vocalité accomplie sans afféterie ni sentimentalité, une diction parfaite quel que soit le registre, qui domestique l'éclat du soprano familier de la scène d'opéra, particulièrement dans le mezza voce, enfin le sens apporté à la phrase poétique. Et bien sûr la fraîcheur du timbre qui sait se parer de mille nuances et de « couleurs infinies ».

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L'enregistrement, à la Siemensvilla de Berlin, offre un parfait équilibre entre voix et piano, les deux enveloppés dans un halo naturel. L'image sonore est idéalement centrée. Un modèle de prise de son pour ce genre de musique (Cécile Lenoir).

Texte de Jean-Pierre Robert 

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