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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Don César de Bazan, opéra-comique méconnu de Massenet

Massenet Don Cesar de Bazan

  • Jules Massenet : Don César de Bazan. Opéra-comique en quatre actes. Livret d'Adolphe Philippe d'Ennery, Dumanoir et Jules Chantepie
  • 2ème version (1888), réalisée par Mathieu Romano
  • Laurent Naouri (Don César de Bazan), Elsa Dreisig (Maritana), Marion Lebègue (Lazarille), Thomas Bettinger (Le roi Charles II d'Espagne), Christian Helmer (Don José de Santarém), Christian Moungoungou (Un capitaine de la garde)
  • Ensemble Aedes
  • Orchestre des Frivolités Parisiennes, dir. Mathieu Romano
  • 2 CDs Naxos : 8.660484-65 (Distribution : Outhere Distribution) www.naxos.com
  • Durée des CDs : 74 min 18 s + 37 min 47 s
  • Note technique : etoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleue (5/5)

Au sein de l'importante production opératique de Massenet, il est un titre curieux, Don César de Bazan. Un opéra-comique de jeunesse dont l'intitulé ne reprend pas le nom d'une femme, comme souvent chez lui. Et un sujet de veine ibérique. Cette intéressante partition tombée dans l'oubli peu après sa création en 1872, est ressuscitée dans une interprétation de classe, dirigée par Mathieu Romano à la tête de son Orchestre des Frivolités Parisiennes et d'une distribution de choix. Qui enrichit singulièrement la discographie de l'auteur de Manon. À découvrir.

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On sait peu que Jules Massenet a débuté sa carrière pour la scène par deux œuvres empruntant au genre de l'opéra-comique, La Grand' Tante (1867) et Don César de Bazan. Ce dernier est créé à la Salle Favart en 1872. Suite à l'incendie de celle-ci, et la partition ayant été perdue, Massenet la reconstitue et la réorchestre. La seconde version sera créée en 1888 à Genève, avant d’atteindre les rives de la Seine en 1912. Le sujet s'inspire indirectement du Ruy Blas de Victor Hugo, et directement de la pièce éponyme de Dumanoir et d'Adolphe Philippe d'Ennery, donnée en 1844 au Théâtre de la Porte Saint-Martin. Le sujet narre les aventures du Grand d'Espagne désargenté Don César de Bazan. Il met en scène aussi une jeune chanteuse de rue, Maritana dont les charmes font tourner bien des têtes, Bazan bien sûr, et même le roi d'Espagne Charles II. Don César est arrêté et condamné à la pendaison pour s'être battu en duel durant la Semaine Sainte. En prison, Il reçoit la visite d'un certain Don José de Santarém, ministre du roi, et épris de la reine. Celui-ci projette de faire épouser Maritana par Don César peu avant son exécution, ce qui fera d'elle la comtesse de Bazan. Dès le mariage célébré et l'exécution effectuée, la jeune veuve est conduite au palais royal pour y apprendre les bonnes manières. Le roi la reçoit, se faisant passer pour Don César, et lui déclare sa flamme, mais est repoussé. Don César survient, pas mort puisque les balles lui ont été enlevées par le jeune et attentionné Lazarille. Et tout finit bien : César épouse, pour de bon cette fois, l'égérie Maritana et le roi le nomme Gouverneur de Grenade en récompense de ses bons et loyaux services.

La présente exécution est le fruit d'une reconstitution, effectuée par Mathieu Romano pour Les Frivolités Parisiennes et une représentation donnée au Théâtre Impérial de Compiègne en 2016, puis enregistrée en 2019. Elle révèle les richesses de la seconde version de 1888. Une musique alerte qui annonce déjà le Massenet de la maturité et paie tribut au qualificatif de charme qui lui est associé : aisance mélodique - facilité lui aura-t-on souvent reproché - technique imparable, innovation dans ses choix éclectiques, mélange habile de naturalisme et de la veine espagnole, qu'on retrouvera plus tard, sous une forme plus héroïque, dans Le Cid (1885). Enfin, une intensité rare pour un opéra-comique, bien proche à vrai dire de l'opéra, surtout lorsque comme ici, privé de ses dialogues parlés. Ce qui est, dans la présente interprétation, une succession d'airs et d'ensembles, peut donner une impression de léger disparate, mais n'est nullement rédhibitoire. L'orchestration est raffinée, avec un soin particulier quant à l'écriture pour les bois. Elle fait une large part au symphonisme. Comme au fil de l'Ouverture guillerette et nimbée d'un bel élan lyrique, ou durant les trois entractes : nocturne pour celui du IIème acte, d'un bel élan s'agissant de celui du III, ''Sevillana'', annonçant le ballet de l'opéra Le Cid, avec ses effluves ibériques et castagnettes obligées, méditation feutrée enfin à l'entracte du IV, d'une suave inspiration, préludant au ''Duo Nocturne'' entre Lazarille et Maritana. Les ensembles sont complexes, comme il en est, au Ier acte, d'un quatuor avec chœur ou du finale à épisodes du II. L'écriture vocale est souvent brillante, conçue pour des chanteurs éminents de l'époque (Jacques Bouhy, futur Escamillo de Carmen, Paul Lhérie, bientôt Don José, et Célestine Galli-Marié, créatrice de la gitane de Bizet).

L’œuvre comporte bien des traits originaux. Outre sa couleur espagnolisante, il faut louer ses duos. Dont celui ''Me marier ?'' entre Don César et Don José (II), opposant deux barytons, aux caractères bien différents, dans une vocalité piquante, truffée d'effets cocasses, comme dans la ''musique de la tentation'' de la part de Bazan qui n'hésite pas à contrefaire sa voix pour exprimer un vent de folie. Le duo ''Qui je suis'' (III) entre le roi et César est un morceau type du quiproquo d’opéra-comique : vocalises fleuries, orchestre au rythme soutenu, ''sans y toucher'', au fil de répétitions hilarantes. Ou encore le duo d'amour entre Maritana et César, grand moment d'épanchement, annonçant les futurs chefs-d’œuvre massenétiens : un lyrisme éperdu avec de superbes unissons dans des épisodes fiévreux, préfigurant ceux de Manon. Il faut encore citer le grand concertato au cours du IIème acte, mêlant sonorités militaires, chanson à boire, rythmes bien scandés, bardés d'effets de surprise, comme le son soudain de l'orgue dans le lointain sur un passage parlé et un orchestre en sourdine. Le tout se conclut par un ''Madrigal'' de César d'une réussite vocale et orchestrale indéniable.

L'exécution est immaculée, grâce à la direction agile de Mathieu Romano qui dirige l'Orchestre des Frivolités Parisiennes, une formation qui sait l'art de mettre en valeur ces pages oubliées et leurs trésors méconnus. La battue combine fièvre et retenue et le débit peut s'avérer crépitant comme d'un lyrisme somptueux. On y croit. Les couleurs orchestrales, notamment des bois, sont magistrales. La distribution est un sans faute. Elle est menée par le Don César de Laurent Naouri qui se fait une fête de ce rôle de bellâtre comique. Son air d'entrée est hâbleur à souhait, mais non sans un arrière-plan profond. Et les vocalises de haut vol maîtrisées. Les ''Couplets'' du II et la ''Ballade de Matalobos'' montrent une faconde désormais bien connue chez un chanteur qui habite régulièrement le Falstaff de Verdi. Avec une articulation légendaire et une sûre générosité vocale, communiquant un sentiment de jeu gourmand, comme encore lors du ''Madrigal'' qui termine le grand ensemble de l'acte II. De son timbre radieux et sa parfaite énonciation française, Elsa Dreisig campe une Maritana de stature, ménageant les facettes coloratures de l'air d'entrée. La Romance du IIIème acte offre quelques tragiques pensées de la femme se sentant délaissée, qu'enjolive la sonorité de la clarinette solo, alors que le chœur cherche à détendre l'atmosphère. Une belle prise de rôle à l'actif d'une artiste sensible qui enthousiasme au fil de ses prestations, depuis sa Micaela à Aix en 2017.

Dans le rôle travesti de Lazarille, Marion Lebègue offre un timbre de mezzo-soprano qui s'achalande bien avec celui de soprano de d'Elsa Dreisig. Sa ''Berceuse'' du II, ''Dors, ami'', avec cor solo dans le deuxième couplet, est un modèle de legato, comme plus tard la ''Romance'' avec clarinette, laquelle fait penser au personnage de Siebel du Faust de Gounod. Thomas Bettinger, le roi Charles II, possède une voix de ténor dotée de fines échappées bel cantistes. Ainsi de la cavatine de l'acte III à la vocalité tendue. Ajoutée à la distinction d'un Yann Beuron. Christian Helmer est un Don José de Santarém roublard et un peu méphistophélique d'opérette. La contribution de l'Ensemble Aedes ajoute au raffinement et à l'élégance de l'exécution, par une limpidité du chant et un engagement total.

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L'enregistrement, dans la magnifique acoustique du Théâtre Impérial de Compiègne, louée par bien des musiciens, offre clarté des plans et indéniable relief. Une discrète mise en espace apporte une agréable respiration et la balance orchestre-voix est des plus réussies.

Texte de Jean-Pierre Robert 

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