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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : L'intégrale des Quatuors à cordes de Beethoven par les Ébène, autour du monde

Beethoven Quatuor Ebene

  • ''Beethoven around the World''
  • Ludwig van Beethoven : Intégrale des Quatuors à cordes
  • Quatuor Ébène
  • 7 CDs Erato : 0190295339814 (Distribution : Warner Music)
  • Durée des CDs : 71 min 39 s + 77 min 58 s + 82 min 25 s + 66 min 57 s + 77 min 53 s + 80 min 33 s + 72 min 17 s
  • Note technique : etoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rouge (5/5) 

Il aura fallu rien moins qu'un tour du monde pour parcourir la somme titanesque que réalisent les Quatuors de Beethoven. Juste hommage au génie universel du maître de Bonn. Le Quatuor Ébène s'est assigné le défi d'en enregistrer live l'intégrale en sept étapes, à travers les cinq continents, de mai 2019 à janvier 2020. Les disques suivent la configuration des concerts et présentent ainsi cet ensemble, non sous forme chronologique, mais par association d’œuvres selon le schéma retenu par les quatre musiciens. Jetant ainsi un regard essentiel sur les différences existant entre les trois périodes créatrices du compositeur. Cette entreprise audacieuse, ils la réussissent avec un rare bonheur. Car voilà bien des interprétations qui se hissent sans mal aux côtés des plus grandes. Ajouté à cela, dans le livret de l'album, un journal de bord de ce périple hors norme, à propos des rencontres, du travail de répétitions, du ressenti des concerts, comme des réflexions d'une belle intelligence et sans fard sur les œuvres. Une mine !

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Beethoven a écrit ses Seize Quatuors à cordes entre 1800 et 1826. On a coutume de les classer en trois périodes, selon la définition initiée par de Lenz en 1909, ''Beethoven et ses trois styles''. Ainsi, comme repris par Joseph de Marliave (in ''Les quatuors de Beethoven'', 1925), celle de l'imitation, regroupant les six premiers, puis l'époque de « la création à l'intérieur des cadres anciens, mais de libération progressive » (quatuors op.59, 74 & 95), enfin « la période de la conquête des formes nouvelles », de l'op.127 à l'op.135. En fait, et plus justement, on peut les regrouper en deux phases opposant les onze premiers aux cinq derniers. La première, antérieure à 1817, marquant déjà une manière bien personnelle, alliant objectivité et nouveauté, avec l'apparition du scherzo, remplaçant le menuet de Haydn et de Mozart ; puis la seconde, où la thématique est plus développée, avec une succession de mouvements plus ou moins proches, l'emphase portée sur le rythme et surtout l'utilisation de la forme de la variation. Et, il faut le reconnaître, un certain « hermétisme jaloux », fruit des déchirements intérieurs du musicien. Pour leur cheminement planétaire, les Ébène (4e) retiennent un schéma plus transversal. Qui rend souvent plus crue la différence entre périodes créatrices. On suivra leur méthodologie géographico-musicale, même si, tout en restant à l'intérieur de la boucle Philadelphia-Paris, on se détache quelque peu de l'ordre des concerts.

La première étape (CD1) est Philadelphia et un concert associant les op.18/1 et 131, ''l'alpha et l'oméga du maître'', selon les 4e. De l'op.18 N°1, écrit par un jeune Beethoven aux alentours de 1800, les Ébène saluent une ''œuvre percutante'' : un Allegro con brio d'une extrême virtuosité sur un même motif, puis un Adagio affettuoso ed appassionato, inspiré de la scène du tombeau de Roméo et Juliette, étalant une douce plainte, précurseur des grands adagios beethovéniens, mais opposant une seconde partie plus véhémente où ils font montre de toute leur pugnacité. Le bref scherzo les voit ne rien lâcher, non plus qu'une dose d'humour au Trio déhanché. Comme dans la fulgurance des ritournelles du finale où jaillit le Ier violon charmeur et solaire de Pierre Colombet. Tout autre est le Quatuor op.131, ''œuvre révolutionnaire'' ou les dernières pensées de Beethoven, ''le plus significatif de la dernière manière'', selon les 4e. Pas moins de sept mouvements. L'entame Adagio espressivo, plainte résignée, mélodie infinie initiée par le violon I, évoluant dans le style fugué, les Ébène lui confèrent une intensité quasi religieuse traversée d'accents de douleur. L'Allegro molto introduit un saisissant contraste, une pulsion sans relâche, à laquelle ils apportent dramatisme et force. Le court intermède Adagio introduit le mouvement lent cantabile et surtout le procédé de la variation. Cœur de l’œuvre, cet ensemble a priori disparate dans ses divers tempos et climats, les Ébène lui insufflent toute son unité. Le Presto qui suit, sorte de scherzo, ils le prennent lumineux, débordant de vie dans ses enroulements sans fin. Nouveau contraste avec l'Adagio qui pour Wagner, parlant de Beethoven, dira qu'il « s'enfonce dans le rêve profond de son âme ». Le finale est fougueux, musique visionnaire où les quatre voix des français cravachent ou s'apaisent.

Beethoven
Le jeune Beethoven ©DR 

Si l'on continue à décliner l'op.18 avec le N°2, nous voilà à Melbourne (CD5) ! Ce quatuor dit ''des révérences'', à l'image de son mouvement initial d'une élégance toute mozartienne comme si on se trouvait en belle compagnie, se poursuit par un second de forme tripartite, là où pour la première fois Beethoven use d'une formule alternant lent-vif-lent et un changement de tonalité, tout ceci de manière fort alerte par les Ébène. Qui jouent l'Allegro suivant pas si éloigné d'un menuet de Haydn, c'est-à-dire plein d'esprit, nanti d'un Trio original où le violon I disserte, et Colombet itou. Le finale retrouve l'atmosphère du début, en plus libre et une allure franche, notamment chez le violoncelle. Le jeu presque malicieux des 4e fait le reste. Ils donnent ensuite le Quatuor op.95 ''serioso'' (1810), le plus concis des 16, où ''tout est compact, efficace, extrême, affirmé et martelé''. En effet, le con brio offre une rythmique implacable, notamment à l'alto et au cello. L'Allegro ma non troppo est une méditation où le violoncelle pianissimo dialogue avec le violon I : Raphaël Merlin et Colombet sont de classe. À l'Allegro assai ma serioso, le combat reprend et les Ébène s'avèrent farouchement rythmés. Le Larghetto final, ''une tempête émotionnelle'', alterne calme et agitation dans un thème dansant, aux frontières de l'héroïque, voire de l'épouvante. La plastique des français est remarquable jusqu'à un prestissimo ultime à frémir. Le concert australien comptait encore le Quatuor op.74 ''les harpes'' (1809) - le dixième, un tournant chez le maître. De l'effusion à la vigueur, le premier mouvement se partage ces contraires dans un travail particulièrement relevé des Ébène. Ils pensent, sans rire, que la conclusion a inspiré ''sans le savoir des générations de batteurs de rock'' ! L'Adagio tresse comme une mélodie infinie qu'on trouvera dans le dernier Beethoven, mystérieuse, doucement plaintive ; immédiatement chantante sous les archets des 4e, dont l'alto coloré de Marie Chilemme. Le Presto est en revanche presque batailleur, ce qu'ils montrent dans une allure haletante. Et une faconde à couper le souffle. L'Allegretto con variazioni marque une rupture, paisible cette fois, de son thème lumineux et ductile, décliné en 6 variations elles-mêmes contrastées. La 5ème emportée par le violon I bondissant joyeusement de Colombet, la dernière quasi symphonique annonçant Schubert et sa 9ème Symphonie ''La Grande''.

Avec les 4ème et 5ème quatuors de l'op.18, nous sommes à Nairobi (CD6) ! Le Quatuor op.18 N°4 est une des créations les plus avancées de la première période : ''cheveux au vent'', il ''chevauche vers l'abîme''. L'Allegro plein d'énergie passionnée est également pathétique, bardé de traits staccato du cello. L'Andante scherzando traité en canon offre une exécution enjouée des Ébène, avec un développement flattant les pôles extrêmes, violon I et cello. Le Menuetto contraste, d'inspiration mozartienne, vif et discrètement voilé. L'humour marque le finale qu'ils conçoivent dans la même lignée, à la fois raffiné et bien architecturé. Hommage à Mozart encore (son Quatuor K 464) avec le Quatuor op.18 N°5, sage mais vigoureux. L'Allegro coule de source sous l'archet de Colombet. Suit un Menuetto aimable et rêveur, tendre et réfléchi. Sur le schéma thème et variations, l'Andante cantabile tresse une suite de morceaux ayant chacun son individualité, à partir d'un thème conçu comme une pure construction harmonique. Dont la 4ème chuchotée ou la 5ème qui annonce par son souffle le Quatuor ''La jeune fille et la mort'' de Schubert. Les Ébène enchaînent avec le Quatuor op.135, le 16ème et dernier, plus concis que les autres de l'ultime période, de portée peut-être moins forte. Le motif espiègle de l'Allegretto n'est que le premier d'une multitude d'autres avec leur lot d'imprévus, fort bien domestiqués par les français. Le Vivace bondit dans une aérienne sonorité et un magistral raffinement jusqu'au pppp le plus ténu. Le Lento, ''livrant une méditation dépouillée, d'une plénitude surhumaine'' semble sortir du néant. Ils le jouent avec retenue, telle la phrase du violon I doucement rêveuse. Le finale, ou le fameux théorème de ''la résolution difficilement prise'', sur le schéma question-réponse ''Muss es sein ? Es muss sein !'' (Le faut-il ? Il le faut), est ''comme une injonction à rassembler enfin tout notre sens moral''. Belle formule. Il compte lui-même quatre sections enchaînées, grave-allegro-grave-allegro, posant l'interrogation dont procède une réponse presque soulagée dans un thème de marche populaire joyeuse. Puis vient une phase presque symphonique opposant voix supérieures et inférieures. Les Ébène soulignent quoique sans excès, esprit français oblige ! L'ultime allegro s'avance joyeux.

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Quatuor Ebene
Le Quatuor Ébène ©DR 

Le Quatuor op.18 N°6 nous transporte à São Paulo (CD4). L'Allegro con brio, ''une ouverture opératique mozartienne et joyeuse'', mais aussi insouciante dans le sillage de Haydn, est mené de main de maître par nos quatre mousquetaires. Qui conçoivent le thème onduleux de l'Adagio sereinement et non tragique. Le Scherzo ''tout en ébullition'', le plus original de tout l'opus 18, est impétueux comme un appel de fanfare. Le trio renchérit capricieux. Le finale ''la Malinconia'' exige d'être joué avec grande délicatesse. Les 4e y voient une ''saudade brésilienne'' ! Une plainte comme suspendue prenant un ton amer qu'ils ne cherchent pas à éluder, grâce à un son d'une intensité inouïe, conférant à cette œuvre un statut annonçant celles des autres périodes. À cette mélancolie s'oppose une section Allegretto en forme de danse virevoltante. L'une et l'autre inspiration luttent et c'est la seconde qui l'emportera dans une fulgurante coda emplie de joie. Les Ébène soulignent la ''splendeur harmonique'' du Quatuor op.127, le 12ème. Qui se manifeste dès le Maestoso, dans la majestueuse introduction où le violon I ''murmure avec une sorte de câlin féminin'', et qui se poursuit Allegro par un thème élancé et les accords robustes des quatre voix. L'Adagio cantabile est ''un long fleuve qui s'élargit subitement'', une large effusion déclinée en 5 variations. Les contrastes abondent : la 2ème nerveuse, le chant contemplatif de la 3ème, la dernière enluminée par les longues tenues du violon I. Le Scherzando vivace, pure fantaisie beethovénienne, et même ''une blague'' selon les français, donne du fil à retordre à tout quatuor : pour eux, qui l'ont travaillé à l'orée de leur carrière avec György Kurtág, rien de tel et l'énergie impétueuse est ici au service d'une pensée innovante. Le finale, ils le conçoivent dans un tempo mesuré. Ce mouvement ''proclame, déclare, déclame toutes les raisons d'une joie solaire'', jusqu'à la coda où ils voient ''un moment d'égarement dans lequel l'architecture de l’œuvre joue à nous perdre''.

Retour à Vienne, capitale musicale s'il en est, pour les op.59 1 et 2, les deux premiers Razumovsky (CD2). Ces œuvres de 1808 sont le manifeste de la maturité esthétique de Beethoven, marquée en particulier par l'importance du développement. Le Quatuor op.59 N°1 s'ouvre par un Allegro solaire, évocation de ''la voluptueuse chaleur des jardins d'Arcadie'' ! Il emprunte un caractère plus affirmé, que les 4e restituent avec force dans les triolets du violon I et ses incursions dans le registre le plus aigu. Le Scherzo vivace, qui ''annonce Mahler'' par ses modulations inattendues, les Ébène le parent d'une étonnante spontanéité et d'une énergie haletante au développement dans le dialogue des violons I & II et des cordes graves. Et que dire de la coda récapitulative d'une telle abondance motivique. L'Adagio, ''à ensevelir son auditoire'', est ici beau à pleurer dans sa simplicité : le 1er thème joué sotto voce par Colombet sur l'accompagnement discret des trois autres est combien profond dans l'expression de douleur. Le discours évolue dans une tension presque insoutenable. Le finale attaca déborde de joie voilée de mélancolie dans son thème de mélodie russe. Décliné là aussi en multiples combinaisons mêlant vivacité et imprévu. Les Ébène se font une fête de ses vagues sauvages d'un remarquable brio instrumental. Le Quatuor op.59 N°2 est bien différent. L'Allegro, qui selon eux a ''l'élan dramatique de Mendelssohn'', ouvre un combat, presque haché ici, alternant souffle et tendresse contenue, éclat fff et murmure. L'Adagio se vit comme un hymne religieux, un épisode céleste annonçant Bruckner et sa mélodie infinie. L'Allegretto préfigurerait quant à lui une mazurka de Chopin : ''bancal et enivrant'', exalté telle une chevauchée prise très vive par les français, qui ménagent les différences rythmiques à l'appui d'une thématique changeante. Le finale Presto ''respire une vigueur terrestre'', là où la fin de l’œuvre précédente étalait une vision lumineuse.

Statue de ludwig van beethoven a bonn
La statue de Beethoven à Bonn ©DR 

Le troisième volet des Razumovsky, les Ébène le jouent à Tokyo (CD 3). Ce Quatuor op.59 N°3 est le plus héroïque, le plus ''symphonique'' aussi. Après l'Introduzione, l'Allegro vivace est lancé par le violon I dans une manière rappelant un quatuor de Haydn. Les 4e privilégient une poussée rythmique savamment maîtrisée, notamment aux violons I & II. L'Andante con moto quasi Allegretto se distingue par l'étrange pizzicato forte du violoncelle ouvrant une longue phrase douloureuse. Les 4e préfèrent le charme à la sentimentalité, celui de la confidence intime. Le Menuetto voit la résurgence d'un type qu'on croyait disparu chez Beethoven, et le trio tranche par son volontarisme. L'Allegro final atteint une extrême puissance sonore : son thème fugué passionné, ils le prennent prestissimo, comme bien de leurs confrères. C'est tant inexorable, orageux, ininterrompu dans l'exaltation, qu'on en perd son souffle ! Le concert japonais se poursuit avec le Quatuor op.130, le treizième, de 1825, auquel est ajouté le mouvement intitulé ''Grande fugue'' op.133. Monument d'idées antagoniques et de combinaisons techniques inédites, il est constitué de six parties. Dès le premier mouvement, s'impose l'audace des idées : de l'effusion à une ruée inextinguible, succession de courtes séquences, dont certaines interrogatives, et de dialogues héroïques, d'harmonies d'une étonnante modernité, même à l'aune d'oreilles d'auditeurs du XXIème. Le bref Presto est conçu tumultueux par les Ébène, telle une ronde fantastique. L'Andante con moto est à la fois humoristique et ému, mais encore porteur de couleurs mystérieuses dans la cantilène qu'introduit le violon de Colombet. L'Alla danza tedesca, autre scherzo, renchérit sur l'humour : c'est ici une danse sans prétention, immédiatement séduisante. La Cavatina (adagio molto espressivo), ardente supplication, finement tricotée par les quatre voix, l'est avec émotion par les français. Qui concluent l’œuvre, non par le finale que Beethoven adoptera finalement, mais par le morceau auquel il avait songé au départ, la Grosse Fuge op.133. ''Un ultime défi au monde moderne''. C'est une fugue à deux sujets, elle-même faite de six parties. Dans ce parcours jusqu’au-boutiste, d'une incroyable complexité, ''moderne'' on ne peut plus, les Ébène sont remarquables de clarté et d'acuité instrumentale.

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Il fallait bien terminer par Paris ! Le CD7 réunit les opus 18/3 et 132. Le Quatuor op.18 N°3, achevé en premier, fait la part belle au violon I. L'Allegro initial, en écho au Quatuor op.76 N°4 ''lever de soleil'' de Haydn, offre spontanéité et raffinement sous les archets des 4e. Cœur de l’œuvre, l'Andante con moto se distingue par la rêveuse mélodie du violon I, prélude à un riche développement. L'Allegro qui suit se rapproche d'un menuet du fait de son écriture à l'ancienne, et son trio possède un charme caché, avec ''un parfum de passacaille''. Le finale Presto possède la verve d'une tarentelle, bien énergique ici. Le Quatuor op.132, de 1823, est constitué de cinq parties : ''une épure et une science de l'écriture qui déroutent encore le public''. Et ce dès l'Allegro assai sostenuto où le violon I décoche des traits fiévreux ou assagis. Des contrées rares sont explorées avec flair par les Ébène qui nous permettent de nous y retrouver dans ce concentré de la pensée beethovénienne. L'Allegro ma non tanto, truffé de son ''sempiternel retour du bête motif à trois notes'', découvre l'étrange tension de ce quatuor de la dernière période. Le trio sonne comme une musette, d'un bel humour avec les présents musiciens. Dans le vaste Molto adagio, les 4e voient une musique qui ''ouvre les portes de l'éternité'', un hymne d'actions de grâce en deux parties : d'une part, une section Adagio sostenuto qu'ils nursent du tréfonds, avec des unissons des quatre voix d'un cantabile magique. D'autre part, l'Andante qui voit chacun se déployer dans un rythme syncopé ou s'apaiser dans une atmosphère céleste, où l'on a pu voir une préfiguration du Parsifal de Wagner : là où tout semble se figer, mais progresse imperceptiblement vers un tout. Les sonorités des 4e sont ''cathédralesques'' ou évanescentes et les silences autant de musique. Il faut ici tout donner. Les Ébène s'y emploient, ô combien. Ce mouvement annonce, selon eux, les ''Louanges'' du Quatuor pour la fin du temps de Messiaen. L'Alla marcia alterne forte et piano, et de belles interventions de Colombet. Enfin l'Allegro appassionato renoue avec le bonheur de chanter, par un thème d'un superbe mélodisme. Le long développement ppp, les 4e le travaillent intensément, qui conduit à un épisode presto puissant où le cello s'envole dans son registre aigu. La coda est lumineuse. Comme la fin de ce voyage initiatique à travers l’œuvre de Beethoven et la planète terre.

Partition Beethoven op132 1a
Début du Ier mouvement du Quatuor op.132 ©DR 

Quelques mots encore pour conclure sur l'interprétation : d'abord, la formidable aisance pour gravir cet Everest, le fabuleux poli instrumental, la générosité du son, l'intensité du trait, le raffinement du geste. La cohésion ensuite, et le dosage des voix, au prix d'un dépassement de chacun. L'usage d'une palette large en termes de couleurs et de dynamique jusqu'à des bouffées dramatiques assumées. Le sens de la pulsation et le marquage des accents par le respect scrupuleux des innombrables indications de tempos qui fleurissent chez Beethoven. L'art du silence aussi. Voilà des interprétations marquées au coin d'une élégance toute française, mais pas froide, et d'une tendresse non affectée. Par quatre musiciens hors pair : le ton solaire du violon I de Pierre Colombet, son éblouissante maîtrise en toutes circonstances. Et on sait le caractère névralgique du premier violon dans un quatuor à cordes, comme naguère chez les Amadeus ou les ABQ. Le violon II de Gabriel Le Magadure, le vrai soutien, l'indispensable complément, qui aussi dispense une sonorité distinguée. L'alto flamboyant de Marie Chilemme, coloré et expressif, cette voix médiane cruciale dans la formation de quatuor. Le cello de Raphaël Merlin, enfin, profond, chaud, aussi raffiné dans la basse que l'est dans le registre aigu le violon de Colombet à l'autre extrémité du spectre.

Cette somme interprétative se double d'une réussite technique. Et le challenge était grand là aussi. Car enregistrer live et en répétitions dans des lieux aussi différents que le Suntory Hall de Tokyo ou le Konzerthaus de Wien, le Kimmel Center de Philadelphia ou le Recital Centre de Melbourne, sans parler d'endroits peu propices comme l'Alliance française de Nairobi, ''un auditorium plus proche d'une salle de cinéma que d'une salle de concert'', était redoutable. Les prises de son (Fabrice Planchat) sont pourtant d'une étonnante cohésion d'un endroit à l'autre, en termes d'immédiateté, de relief et de clarté. Le montage a été opéré sous le contrôle de Pierre Colombet. Est privilégiée une image large qui permet de distinguer parfaitement chacune des voix, de savourer le travail d’échange d'un instrumentiste à l’autre, la multitude d'accents et d'indications agogiques, la variété inouïe de couleurs, les différences d'intensité, du plus extrême pianissimo au forte le plus franc. La plasticité du rendu sonore est exemplaire : un son chaud, raffiné et naturel. Une mine !

Texte de Jean-Pierre Robert 

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