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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Les Essentiels ON-Mag – Karajan dirige la Huitième Symphonie de Bruckner

Anton Bruckner Karajan SymphonieN8

La rubrique CD s’ouvre chaque vendredi à des disques déjà parus que la revue considère comme indispensables pour leur qualité musicale et technique. 

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  • Anton Bruckner : Symphonie N°8 en Ut mineur
  • Version de 1890, Édition Haas
  • Wiener Philharmoniker, dir. : Herbert von Karajan
  • 1 CD Deutsche Grammophon : 479 0528 (Distribution : Universal Music)
  • Enregistrement : novembre 1988 ; remastérisation : 2012 (Collection The Originals)
  • Durée du CD : 82 min 58 s
  • Note technique : etoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleue (5/5) 

Comment mieux illustrer l'immense héritage discographique du chef Herbert von Karajan qu'en réécoutant cette interprétation ultime et devenue légendaire de la Huitième Symphonie de Bruckner. Une formidable cathédrale sonore à laquelle il consacra de nombreuses exécutions tout au long de sa carrière et qu'il enregistrera plusieurs fois. Celle-ci, la 3ème, et son dernier disque, captée à Vienne fin 1988, marque l'aboutissement d'une pensée, le point d'orgue d'une vie dévolue à la musique. Et les Viennois lui pourvoient le plus beau des écrins. Essentiel !

Anton Bruckner écrit sa Huitième Symphonie entre 1884 et 1890, nul doute sa plus ambitieuse composition laissée à l'orchestre. De dimensions colossales, elle requiert un instrumentarium généreux avec quatre tubas, une large section de bois et, pour la première fois chez lui, la harpe. Une œuvre grandiose, mais aussi sombre et parfois tragique. Caractéristiques qui sans doute avaient de quoi enthousiasmer un chef tel qu'Herbert von Karajan. Qui la dirige pour la première fois en 1941, à 33 ans, et n'aura de cesse de la reprendre. Jusqu'à cette ultime et mémorable exécution au Carnegie Hall de New York en février 1989, concert auquel l'auteur de ces lignes eut l'honneur d'assister. Entre ces deux pôles, que d'exécutions en concert à travers le monde avec ses deux orchestres favoris, les Berliner Philharmoniker et les Wiener Philharmoniker, dont pas moins de 9 fois à Salzbourg, et trois enregistrements studio : avec Berlin (1957/EMI, 1975/DG) et celle-ci avec Vienne en 1988. C'est que cette symphonie rencontre sans doute la propre odyssée d'un chef d'orchestre d'exception, tant son achèvement de grandeur résolue s'acquiert au prix d'un cheminement de douleur.

Karajan est donc ici chez lui. Cette ultime version offre cependant quelque chose de plus : le naturel du dernier mot. Plus sombre que ses précédentes interprétations, elle possède un caractère presque inéluctable, singulièrement dans le phrasé, plus encore que dans le rythme. Dans le dosage des silences entre phrases aussi, marque de l'élévation de la pensée. Les écarts dynamiques se sont resserrés. Les attaques n'ont rien de heurté et les moments de paroxysme n'offrent nulle boursouflure. Surtout, la narration de cette musique, si délicate parfois à mettre à portée d'auditeur, prend ici valeur d'évidence. Car le mode de composition de la symphonie est curieusement complexe et limpide à la fois : des pages grandioses bâties sur de vastes crescendos, mais aussi une pléiade de petites cellules, de thèmes se suivant, s'enchevêtrant dans un savant agencement. Ainsi du premier mouvement Allegro moderato. D'un début comme surgi du néant émerge peu à peu un beau thème lyrique que Karajan installe calmement, puis le confronte avec l'autre thématique du destin et ses coups de timbales. Les longues phrases sont soutenues jusqu'à leur maximum de tension. Les crescendos successifs sont patiemment ouvragés, qui s'enflent majestueux pour déboucher sur les plus formidables accords brillamment cuivrés, pourtant sans effet ostentatoire, ou retombent en ressac vers le registre piano et irrémédiablement sombre des cordes assagies vers un point d'orgue pppp. 

Le Scherzo est pris ample et retenu. La cadence répétitive, typiquement brucknérienne, qui progresse sur un thème harmonieux des violons, où l'on a vu l'imitation d'un bruissement de vol d'abeilles, entrecoupé d'appels répétés des cuivres pour atteindre une sorte de plénitude, s'est désormais presque assagie. Les enchaînements ne souffrent aucune aspérité. Le Trio, une des plus belles inspirations poétiques de Bruckner, méditation quasi agreste de laquelle le paramètre de grandeur n'est pas absent, voit le 2ème thème basculer dans quelque rêverie intérieure : on est  proche de la prière, notamment aux cordes graves, tandis que l'entier orchestre plane avec de ravissants traits de flûte.

Avec l'Adagio, marqué ''lent et solennel, mais pas traînant'', on rejoint les contrées les plus rares. La musique est issue là encore des ténèbres, pétrie de douleur, d'une couleur mordorée pourtant dans le grave des cordes et ces tremolos des violons I & II, décuplant un lyrisme qui se fait dramatique. Magie des phrases lancées vers l'éternité, mêlant registres grave et aigu jusqu'aux accords ensoleillés. Puis un sentiment de paix s'installe, non dépourvu d'une secrète inquiétude dans la montée du crescendo qu'interrompt quelque répit à la petite harmonie. Après moult épisodes, la coda laisse entrevoir une harmonie retrouvée et le calme, celui d'une âme rassérénée. Au long de ce vaste mouvement de plus de 25 minutes, on aura expérimenté ces autres ''divines longueurs'' savamment distillées par Bruckner et combien faites siennes par Karajan.

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''Solennel, pas vite'', le finale est le couronnement de l'œuvre, et aussi de l'exécution de Karajan. La vigueur retrouvée, peut-être économisée avant, s'empare de l'orchestre dès le début : une cadence de marche obstinée qui établit un premier thème monumental. Les violons des Viennois sont ici à leur meilleur, d'une remarquable consistance. Puis vient un thème méditatif, presque mystique dans ses envolées, parmi lequel s'incrustent de brèves mélopées des bois. Il est lui-même décliné en plusieurs phases. L'art dialectique du crescendo-decrescendo de Bruckner se déploie alors à l'envi. Que Karajan dispense dans une vision cosmique, combien maîtrisée, et assise sur des contrastes presque chambristes, aux cordes par exemple. Une grande mêlée d'orchestre va assurer l'édification du grand édifice cathédralesque, là où peu à peu les tensions se résolvent, synthèse des mouvements précédents. Un extraordinaire silence précède l'ultime crescendo et la péroraison d'une totale plénitude, d'une force inouïe. Cette exécution d'une rare profondeur de vue, les Wiener Philharmoniker, à leur meilleur, l'auront parée aussi du meilleur, pour leur chef adulé : cordes somptueuses, bois de douceur, cuivres d'une rondeur de ton digne de celle de leurs cousins berlinois. Quelle fête sonore !

De la Grande salle dorée du Musikverein de Vienne, l'enregistrement par l'équipe Glotz-Hermans, les fidèles, capte au mieux l'acoustique aérée. L'étagement des plans, l'intégration de tout un orchestre incandescent, un son chaleureux et d'un vrai lustre, tout ici restitue la luxuriance sonore imaginée par Bruckner. Le présent transfert a encore magnifié l'immédiateté de l'image, notamment des violons I, qu'il est toujours difficile à bien définir spatialement, tout en lui assurant son entier impact en dynamique, sans agressivité aucune, même dans les passages les plus chargés. Autres atouts : des traits ppp et pppp d'une étonnante présence (pizzicatos des cordes, par exemple), des interventions des bois d'un vrai naturel, jamais mis en exergue plus qu'il ne faut. Un modèle de prise de son ''musicale''.
Texte de Jean-Pierre Robert

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