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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Les Études-Tableaux de Rachmaninov

Rachmaninov Etudes Tableaux 

  • Serge Rachmaninov : 8 Études-Tableaux op.33. 9 Études-Tableaux op.39
  • Alberto Ferro, piano
  • 1 CD Muso : MU-036 (Distribution : Outhere Distribution)
  • Durée du CD : 60 min 59 s
  • Note technique : etoile verteetoile verteetoile verteetoile verteetoile verte (5/5)

Ce disque est une sorte de tour de force. Le jeune pianiste italien Alberto Ferro se lance pour son second CD dans l'intégrale des Études-Tableaux de Rachmaninov, un ensemble phare dans la production pianistique solo du compositeur virtuose russe. Que peu de ses confrères ont abordé sur ce médium. Le résultat est pour le moins captivant.

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Serge Rachmaninov, lui-même pianiste virtuose, a écrit de nombreux recueils de pièces pour piano solo. Il a même créé un genre à part entière, les Études-Tableaux, somme de 17 morceaux réunis en deux cahiers, les op.33 et 39. Qui passent pour être un des sommets de sa création artistique pour l'instrument, à côté des divers cahiers de Préludes. Ce sont des morceaux brefs qui, à la différence de ce que pratiqueront des musiciens comme Debussy, ne comportent pas de sous-titre, Rachmaninov n'ayant jamais donné de nom à chaque pièce, laissant à l'auditeur le loisir de se forger son propre imaginaire. En tout cas, elles exigent de la part de l'exécutant une technique éprouvée alliée à un sens inné de l'interprétation en termes de lyrisme.

Les 8 Études-Tableaux, op.33, de 1911, écrites juste après les Préludes op.32, sont illustratives mais plus ou moins au second degré. La dette de Rachmaninov envers Chopin est bien présente, rappelant notamment le style des Ballades du polonais. Elles reconstituent des paysages imaginés. Certaines sont d'atmosphère élégiaque, comme la N°2, d'une grande richesse harmonique. Une autre, la 3ème, marquée ''Grave'', la plus longue du recueil, est construite en forme d'arche : une succession d'accords en début et fin, un passage plus tranquille au médian. Deux sont d'une extrême brièveté. Ainsi de la N°6, Allegro con fuoco, figurant une course haletante avec sauts d'octaves à la main droite, non sans esprit, et traitant l'extrême aigu du clavier. Ou de la 7ème ''con fuoco'', de pareille allure soutenue, très rythmée, évoluant dans le registre fortissimo jusqu'à une coda très brillante. Partout présente, la virtuosité demeure cependant mesurée dans les pièces de ce premier cahier. Comme il en va de l'Étude N°1 et de sa scansion martiale marcato dont se dégage une mélodie simple à la main droite, ou de la N°5 ''Moderato'', d'un étonnant modernisme. La huitième et dernière est dramatique de par ses contrastes dynamiques et rythmiques accusés. Les accords de la main droite, les arpèges de la gauche viennent comme des rafales.

Toutes autres sont les 9 Études-Tableaux op.39, écrites en 1916-1917 et marquées par une situation personnelle éprouvée, la perte d'êtres chers, et un contexte général plus tendu, la Guerre mondiale dans laquelle est engagée la Russie. Plus développées que les précédentes, elles présentent une manière plus affirmée en terme de brillance : un pianisme démonstratif qui se teinte d'un dramatisme affirmé, et voit fleurir des indications comme ''Agitato'' ou ''Appassionato''. Car le panel des sentiments exprimés est différent. Ainsi du pathétique, avec l'Étude N°6, inspirée du conte ''Le petit chaperon rouge'', en forme de course poursuite, son début dans le grave, entrecoupé de cascades de notes aiguës, sa continuation avec une scansion rigoureuse allant jusqu'au martèlement. La N°8, Allegro moderato, offre une séduisante ligne mélodique, sa section staccato médiane requérant une grande agilité. Celle-ci, proche de la violence, on la trouve dans l'Étude N°3, d'une extrême fluidité, usant de l'entière palette de l'instrument, ou à la N°4, entraînante dans la répétition d'un même module. L'élégiaque est encore présent, mais en plus torturé que dans l'op.33, comme dans la 2ème, qui use du thème du Dies irae et évolue entièrement dans un registre méditatif et le jeu ppp. Deux pièces sont des hommages à Scriabine. La 5ème Étude ''Appassionato'', reprend le style des Études de ce compositeur, mais fait penser tout aussi bien à celui caractéristique de Rachmaninov lui-même dans les fameux concertos de piano, son romantisme exacerbé, ses vastes phrases hyperboliques, ses accords un brin pompeux. L'Étude N°7 ''lento lugubre'' évoque les funérailles de Scriabine : succession d'accords initiaux d'une gravité appuyée, puis digression plus calme dont le thème porté par la main droite est d'une immense tristesse, prolongé par la main gauche dans le grave du piano. L'ultime Étude, un ''Tempo di marcia'', résolue, triomphante, très différentiée dans son flux, constitue une sorte de résumé de l'idiome de ces pièces tant originales.

Autant dire que pour donner vie à ces pièces il faut un pianiste d'envergure. L'italien Alberto Ferro (*1996), déjà lauréat de quelques concours prestigieux, depuis sa révélation au Reine Elisabeth 2016, est de ce braquet là. Un jeu d'une étonnante maturité et d'une maîtrise confondante, qui sait trouver le ton juste de morceaux au contenu exigeant, pour faire émerger un monde imaginaire et toutes les émotions et subtilités distillées par le compositeur aristocrate et virtuose. Il rejoint au disque les Richter, Ashkenazy et autre Melnikov, grâce à une palette inouïe, triomphant des accords complexes, du jeu staccato, du contrepoint chromatique dont fait usage Rachmaninov, mais aussi de tout l'éventail de nuances d'un lyrisme sans mièvrerie. Sa virtuosité n'est pas étalage de démonstration et sa poétique est celle d'un musicien qui sait penser ce qu'il touche.

L'enregistrement, au Fazioli Concert Hall de Sacile, en Italie, offre un rendu sonore chaleureux et d'un beau relief, dans une ambiance modérément aérée. Il restitue à merveille la beauté plastique du piano Fazioli Concert Grand.

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Texte de Jean-Pierre Robert

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