CD : Philippe Cassard joue les Sonates pour piano D.845 & D.850 de Schubert
- Franz Schubert : Sonates pour piano N°16 en la mineur D.845, & N°17 en ré majeur, D.850
- Valse noble N°8 en la majeur D.969. Valses en fa majeur, D.365 Nos35 & 36
- Philippe Cassard, piano
- 1 CD La Dolce Volta : LDV 72 (Distribution : PIAS)
- Durée du CD : 76 min 24 s
- Note technique : (5/5)
Philippe Cassard a mis au programme de son nouveau disque Schubert les deux sonates pour piano D.845 et D.850 écrites en 1825. Car il voit là une singulière association par delà leurs différences : « L'hiver avant l'été ». Ce qui transparaît dans une interprétation limpide.
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Pour le pianiste, la sonate D.845, écrite en mai 1825, figure ''un hiver musical traversé de bourrasques glaciales et d'appels à la mort sinistres'', là où la suivante D.850, d'août de la même année, est ''un grand bol d'air, d'énergie et de joie''. Intéressante manière de prendre en compte les données autobiographiques qui indéniablement baignent les œuvres : en l'occurrence le départ de Vienne et de sa vie trépidante pour un long voyage durant l'été 1825 à travers l'Autriche et singulièrement la région de Salzbourg. La Sonate N°16 en la mineur D.845 est parcourue d'une énergie résolue et tragique. À l'image de son premier mouvement Moderato, dont le thème initial nerveux nanti de quelque accent fatal va jouer un rôle déterminant dans le développement polyphonique et modulant. Une manière quasi orchestrale innerve ce mouvement qui s'achève dans une vaste coda ponctuée d'accords massifs. L'Andante poco moto, de forme thème et variations, offre un thème de Lied travaillé avec moult appogiatures, décliné par cinq fois. Les deux premières variations sont très ornées dans une grâce toute schubertienne. La troisième offre un épisode dramatique où l'on entend comme sonner un glas. La quatrième, plus rapide, coule telle une eau de source. La cinquième revient au thème et à un rythme plus central, avant une coda toute de sérénité. Bardé d'accents presque rageurs avec d'âpres scansions, le Scherzo est vif, et son trio, tout en contraste, bascule dans une rêverie d'une extrême douceur, surtout dans le tempo retenu et expressif adopté par Philippe Cassard. Du Rondo final, sorte de perpetuum mobile, fiévreux, inquiet, presque fuyant, il fait contraster les pages d'abord douces, devenant vite nerveuses, notamment dans leurs accords fiévreux.
Après ces sombres contrées, la Sonate N°17 en ré majeur D.850, d'août 1825, offre un parcours presque euphorique, « une expérience sensorielle jubilatoire », selon Cassard, et « une motricité en perpétuelle régénération ». Cette différence de ton avec la sonate précédente opère plus dans l'idée musicale que dans la forme proprement dite. Car l'Allegro introduit un climat tourmenté dans la répétition d'accords serrés, peut-être plus marquée que dans la sonate D.845. Le rythme est ici véhément d'un mouvement ordonné en « une course frénétique qui se termine dans l'essoufflement de la joie et de la liberté retrouvées ». Un climat apaisé et intime s'établit au Con moto qui oppose deux éléments : une musique contemplative ornée d'accords majestueux fff, criant de force chez Cassard, figurant les montagnes entourant Salzbourg, et une rythmique vive et dansante, à l'image de la vie agreste. Ces deux aspects s'unissent à la coda dans un sentiment de paix retrouvée. Allegro vivace, le scherzo installe une sorte de chevauchée épique faite de notes pointées, dont va éclore soudain un innocent Landler : magie souveraine de l'inspiration schubertienne. Le trio est une rêverie qui elle aussi sait prendre des accents fiers dans ses transformations harmoniques. Le Rondo moderato final s'articule autour d'un « thème simple et bon enfant sorti d'une boîte à musique », selon la jolie formule de Brigitte Massin. Il y a là comme une manière improvisée, même si la rythmique se fait de nouveau assurée, parallélisme des formes oblige avec le premier mouvement.
Ce cheminement d'une sonate à l'autre, qu'interrompent brièvement trois valses en guise de pause, Philippe Cassard le défend en portant un soin extrême aux contrastes. L'interprétation combine vigueur et douceur pour embrasser toutes les différences d'éclairages, les transitions si magiques de la puissance vers l'élégiaque. La limpidité du débit dégage une étonnante ampleur sonore. Et le lyrisme est empreint d'élégance toute française. On est au cœur de la vraie poétique du piano de Schubert et de ses infinies variations d'atmosphères.
L'enregistrement, dans la Grande salle de l'Arsenal de Metz, offre une large acoustique de concert et une image d'un relief certain avec une fine définition des divers registres du Steinway.
Texte de Jean-Pierre Robert
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