CD : Vivaldi et ''Les couleurs de l'ombre'' de Venise
- ''I colori dell'Ombra''
- Antonio Vivaldi : Concertos pour violoncelle RV.416, RV.414, RV.424, RV.405
- Concertos pour deux violoncelles RV.531, pour violoncelle et basson, RV.409, pour deux violons et deux violoncelles, RV.575
- Concertos pour violoncelle RV.788 (Larghetto, reconstruction d’Olivier Fouriès), pour violoncelle RV.419 (Allegro)
- Sinfonia pour cordes et basse continue, RV.112
- Arias ''Sovvente il sole'', tirée de Andromeda Liberata, RV.117 & '' Di verde ulivo'', tirée de Tito manlio, RV.738
- Lucile Richardot (mezzo-soprano), Delphine Galou (contralto)
- Atsushi Sakaï (violoncelle), Javier Zafra (basson), Pablo Valetti, Mauro Lopes Ferreira (violons)
- Pulcinella Orchestra, violoncelle et dir. musicale : Ophélie Gaillard
- 2 CDs Aparté : AP226 (Distribution : PIAS)
- Durée des CDs : 53 min + 38 min
- Note technique : (5/5)
C'est un excitant programme que la celliste Ophélie Gaillard a construit avec son ensemble Pulcinella Orchestra autour du thème des ''couleurs de l'ombre''. Pour un vibrant hommage à Venise, cité si spécifique en termes d'atmosphères, dont Vivaldi s'empare magistralement avec un instrument grave et chantant, le violoncelle. Un itinéraire aux mille visages.
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Ophélie Gaillard l'aborde bien sûr d'abord avec les concertos pour violoncelle. Un pan moins connu chez Vivaldi que celui des concertos pour violon, pas moins captivant, car les couleurs moirées de l'instrument autorisent un jeu d'ombres et de lumières au cœur de son propos. Elle en a choisi quatre, appartenant à des périodes créatrices différentes. Ainsi le Concerto pour violoncelle KV.416 aligne-t-il la virtuosité d'un premier Allegro haletant et d'un finale furieux de doubles-croches, comme le chant d'une sarabande médiane. Le Concerto KV.414, écrit pour cello piccolo, un instrument plus petit et à cinq cordes, se signale par un Largo extrêmement lyrique où un écrin de cordes enchâsse le soliste, et un finale qui conduit celui-ci dans des contrées suraiguës. Le Concerto KV.405, plus tardif, fait contraster la vitalité des ritournelles orchestrales et le chant profondément pensé du violoncelle, qui devient ineffable à l'Adagio central. Enfin le Concerto KV.424 unit un premier mouvement mesuré, un Largo épuré et un finale dans le goût théâtral. La fertilité d'écriture pour l'instrument, on la retrouve encore dans le Concerto pour deux violoncelles KV.531 dont se détache un Largo éloquent où les deux voix s'unissent, se répondent, se bercent l'une l'autre. Deux Allegros aux harmonies étranges complètent l'œuvre, dont un finale endiablé aussi bien chez les deux partenaires que dans la ritournelle d'accompagnement.
Alchimiste des sonorités les plus inattendues, Vivaldi a aussi associé le violoncelle à d'autres instruments. Comme le basson : le Concerto pour violoncelle et basson RV.409 est original en ce qu'il offre une combinaison concertante corde-vent peu utilisée dans le catalogue vivaldien, mais aussi de deux instruments graves. Un premier mouvement, d'abord mesuré puis rapide, oppose les deux solistes à de brusques tempêtes orchestrales, étonnante dialectique. Un Allegro suit, ce qui est encore inhabituel, tandis qu'une danse fait office de finale. Autre association produisant d'intéressants effets, celle du violoncelle et du violon. Surtout lorsque les deux se démultiplient en quatre. Ainsi du Concerto pour deux violons et deux cellos, RV.575 : Ophélie Gaillard y voit « une fête à quatre personnages », dans l'effervescence du premier mouvement où les violons se mesurent aux cellos, comme des couples amoureux, puis un Largo, plage de répit sur un ostinato rythmique, et un finale qui reprend la joyeuse équipée.
L'album propose encore la Sinfonia pour cordes et basse continue KV.112. Il s'agit d'une sorte d'ouverture d'opéra en trois parties où le rythme brusque cherche à établir comme une transe par l'accumulation de tension. Ce que le Presto final étourdissant enrichit par la sonorité aérienne du psaltérion, un instrument proche de la cithare. Tandis que l'Andante médian semble chanter démesurément. Ce parcours en compagnie du violoncelle vénitien se devait d'inclure la voix. L'aria ''Di verde ulivo'', tirée de l'opéra Tito manlio (1719) fait la part belle au violoncelle : il prélude à l'entrée de la voix et la soutiendra tout au long. Il soliloque encore avant le second volet et brode à l'envi dans le da capo vocal. L'aria ''sovvente il sole'', extraite de la Pastorale Andromeda Liberata (1726), évoque le soleil brillant au-dessus d'une mer d'huile : de tempo Adagio, c'est un mini concerto à deux voix puisque celle de la mezzo-soprano et celle du violoncelle s'enlacent dans une grande sérénité, celle même de la pure contemplation de la beauté de Venise, entre ciel et mer.
Outre l'inventivité dans la composition de ce programme peu commun, il faut louer la manière dont Ophélie Gaillard lui donne vie : la celliste est vraiment chez elle dans cet univers vénitien que visiblement elle aime, et par le truchement d'un instrument qu'elle chérit, « un violoncelle vénitien à la voix de basse profonde, aux aigus chantants, à la robe patinée, dense et comme illuminée de l'intérieur ». L'articulation et le cantabile, la science des couleurs, qu'il s'agisse de la partie soliste ou de l'accompagnement, tout ici respire le vrai. Les sonorités dispensées par le Pulcinella Orchestra, fort d'une quinzaine de musiciens, sont d'une souveraine beauté, singulièrement celles des autres solistes, Atsushi Sakaï, violoncelle, Javier Zafra, basson et les deux violons de Pablo Valetti et de Mauro Lopes Ferreira. Partout, perçoit-on le vrai bonheur de jouer. Les contributions vocales, de Lucile Richardot et de Delphine Galou, sont à l'unisson.
L'enregistrement, à l'église évangélique luthérienne Saint-Pierre à Paris, privilégie une ambiance chambriste tout à fait en situation et une extrême proximité à laquelle une large distribution spatiale achève de donner du relief. On admire la qualité de la définition instrumentale du violoncelle soliste comme de ses pairs.
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Texte de Jean-Pierre Robert
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