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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Les voix intérieures de Schumann

innere stimmen

  • . ''Innere Stimmen''
  • Robert Schumann : Kreisleriana op.16. Fugue op.72 N°3. Romance op.28 N°2. Humoresque op.20
  • Clara Schumann : Lied ''Geheimes Flüstern hier und dort'' op.23 N°3
  • Margaux Poguet, soprano
  • Jérôme Granjon, piano
  • 1 CD Anima Records : ANM / 190501
  • Durée du CD : 75 min 31 s
  • Note technique : etoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile grise (4/5)

Jérôme Granjon a conçu le programme de ce CD Schumann sur le thème des voix intérieures, omniprésentes dans son œuvre pianistique. Il l'illustre à partir de deux partitions d'envergure qui touchent à la dimension la plus intime de l'inspiration du musicien, les Kreisleriana et Humoresque, qu'il interroge avec une grande probité.

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L'art de Schumann est avant tout celui de l'introspection adossée à l'imaginaire d'un musicien poète se nourrissant de références littéraires. Plus que tout autre, il cultive l'Humor germanique. Bien différente des ''affeti'' italiens ou des ''passions'' françaises, l' ''Humor'' décrit, selon le musicien, « l'heureuse combinaison de Gemütlichkeit et witzig ». Ce qu'on peut traduire comme une association de sérénité, non dénuée de sentiment, et de spirituel, au sens de plein d'esprit. Ce subtil mélange de contemplation et de réalisme peut être aussi le terrain du non-dit, de la voix intérieure. Les Kreisleriana op.16, sous-titrées ''Phantasien'' (Fantaisies), offrent une construction faite de huit volets extrêmement contrastés, opposant climats effrayants, touchant au fantasque, et moments de grâce poétique, proches de l'aveu. Les thèmes y sont souvent malmenés, voire désarticulés, ce qui passe par l'asservissement du rythme aux digressions de la pensée et ses variations d'intensité, et de ce fait un singulier travail sur le contrepoint. Il est significatif que les morceaux se distinguent uniquement par des indications de tempo, comme ''mouvementé'', ''pas trop vite'', ''très agité'', ''très lent' ou ''rapide en se jouant''. Ce qui se traduit encore par d'incessants changements de rythmes à l'intérieur d'une même pièce, autorisant autant de modifications d'éclairage. Pour évoquer le fantastique hoffmannien frôlant quelque hallucination, ou au contraire des instants de lyrisme bouleversant. Cette association d'errance frénétique ou de calme poétique, toute de ruptures, Jérôme Granjon en saisit toute l'énigmatique complexité dans une exécution épurée. Une approche sans affèterie ni grandiloquence qui s'attache à restituer les sonorités combien spécifiques de ce merveilleux cycle comme sa grande instabilité harmonique.

Moins connue, Humoresque op.20 s'approche sans doute encore plus de ces indéfinissables voix intérieures. Cette succession de six morceaux cultive librement le mode de la variation sans thème précis, aux confins de l'improvisation. On est ici au cœur des souverains méandres de la pensée schumannienne. Une coulée qui n'a pourtant rien d'un long fleuve tranquille, même si pas aussi paroxystique que celui des Kreisleriana. On a pu parler à propos de cette œuvre de « création mallarméenne avant la lettre » (Brigitte François-Sappey). C'est sans doute la quatrième pièce, ''Inning'' (intime), qui illustre le mieux ce concept de voix intérieure. Schumann ne s'en cache pas, pour qui l'œuvre « est peu gaie, et peut-être ce que j'ai écrit de plus mélancolique » (lettre à Henriette Voigt, d'août 1839). S'en dégage un discours en apparence monotone, que transfigure l'art de la confidence, du refus de l'éclat, de l'impondérable, et en même temps du construit dans ses revirements. Le pianiste apporte à ces pièces une science aiguë de la nuance pour décrypter les interrogations du musicien dans ce qu'elles comportent de tortueux.

Jérôme Granjon complète sa réflexion sur l'ethos schumannien par deux pièces plus courtes, en forme de transition : la nostalgique Fugue op.72 N°3 en fa mineur, et la Romance op.28 N°2 ou la sérénité d'un clair-obscur, page de journal intime empli d'un climat hypnotique. Enfin, en guise d'hommage à celle qui fut la muse du musicien, il donne avec la jeune soprano Margaux Poguet, un Lied de Clara Schumann, ''Geheimes Flüstern hier und dort'' (Chuchotements secrets ici et là), expression là aussi de voix secrètes.

L'enregistrement, effectué à la Salle Colonne à Paris, opte pour un intimisme de salon, en cohérence avec le propos poursuivi par l'interprète. Le piano, saisi de près dans son large spectre, occupe l'entière image sonore.

Texte de Jean-Pierre Robert

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