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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Cecilia Bartoli rend hommage à ''Farinelli''

Cecilia Bartoli Farinelli

  • ''Farinelli''
  • Extraits d'opéras de Nicola Porpora (Polifemo. La festa d'Imeneo. Semiramide Regina dell'Assiria ), Johann Adolph Hasse (Marc'Antonio e Cleopatra), Riccardo Broschi (La Merope), Geminiano Giacomelli (Adriano in Siria), Antonio Caldara (La morte d'Abel)
  • Cecilia Bartoli, mezzo-soprano
  • Il Giardino Armonico, dir. Giovanni Antonini
  • 1 CD Decca : 485 0214 (Distribution : Universal Music)
  • Durée du CD: 75 min 30 s
  • Note technique : etoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleue (5/5) 

Pour son nouvel album, Cecilia Bartoli a choisi d'honorer Farinelli, le fameux castrat qui déchaînait l'enthousiasme des foules au XVIIIème siècle. Elle a pour ce faire réuni une sélection d'arias d'opéras écrits par des compositeurs amoureux de cette voix qui passait pour extraordinaire. Avec le brio qu'on connaît à l'illustre diva, voici une immersion dans le monde envoûtant de la vocalité de l'extrême. 

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Né Carlo Broschi, Farinelli (1705-1782) est le plus mythique des castrats, de par ses capacités vocales exceptionnelles et le souci de briller aussi bien par la virtuosité que par l'expression. Sa carrière connut un début fulgurant en 1720 en Italie et se poursuivit pendant 17 ans. Sa popularité dépassa vite les frontières et installa sa gloire partout en Europe. Jusqu'à Vienne où l'empereur Charles VI sera lui-même à l'origine, en 1731, d'un virage décisif de sa carrière publique au profit d'une expressivité plus intense. Farinelli restera l'instigateur de pages mémorables, bardées de traits d'une étonnante pyrotechnie vocale, écrites par les compositeurs les plus en vue de l'époque. Comme Nicola Porpora, son professeur à Naples, ou son propre frère Riccardo Broschi. À partir de 1737, et pour une bonne vingtaine d'années encore, il entrera au service du Roi d'Espagne, ne se produisant que pour lui en tant que chanteur et organisateur de spectacles.

La sélection retenue par Cecilia Bartoli alterne, comme dans ses albums précédents, arias agitées de bravoure et pages de lyrisme élégiaque. Elle les a puisées non chez le seul Porpora, comme l'avait fait Philippe Jaroussky pour son propre CD consacré à Farinelli (Erato), mais aussi chez d'autres musiciens qui, tels Giacomelli, Broschi, Caldara ou Hasse, ont écrit pour la scène des pages tout aussi significatives. Nicola Porpora est illustré ici par des morceaux de ses opéras Polifemo, La festa d'Imeneo, et Semiramide. Ces musiques écrites pour son illustre élève sont extrêmement abouties, d'exigences grandes et variées : foisonnement de l'ornementation qui, à travers les plus folles acrobaties, traite la voix tel un instrument, technique de chant en ''messa di voce'' (son tenu longuement dans son volume, crescendo et decrescendo), notes tenues en fin de phrases, vocalises tendues au large ambitus, portées par un accompagnement orchestral brillant. Ainsi du fabuleux cantabile débutant et terminant l'aria ''Alto Giove'' (Puissant Jupiter), tirée de Polifemo, mené dans un legato qui semble sans limite sur un orchestre bruissant pppp. Et encore plus caressé dans la reprise, proche de l'étreinte. Dans tel autre air, l'agilité se situe dans le dialogue avec un instrument, le hautbois en l'occurrence, jusque dans une cadence à deux où la voix s'y mesure avantageusement.

Les pages de Broschi, de Hasse et de Giacomelli sont toutes aussi impressionnantes. Du premier, une aria extraite de La Merope (1732) livre une douce complainte exprimant la douleur, mesurée aux contrées les plus extrêmes de la voix, tandis qu'une autre, menée à train d'enfer avec fanfares de cuivres sur un orchestre haletant, déroule moult trilles et les plus folles vocalises. Tout aussi démonstrative est l'aria tirée de l'opéra Marc' Antonio e Cleopatra de Hasse, au débit haché, vindicatif, truffé de vertigineuses descentes dans le grave. Au contraire, avec celle empruntée à Adriano in Siria de Giacomelli, la voix caresse la musique dans la plus pure émotion.

Cecilia Bartoli
Cecilia Bartoli ©DR 

Cecilia Bartoli apparaît sans doute comme une des rares artistes aujourd'hui à pouvoir donner une idée de ces fastes vocaux inouïs. Défiant toute catégorisation vocale, mêlant les tessitures de mezzo et de soprano, de la colorature suraiguë aux accents sombres flirtant avec le contralto, elle distille une ligne de chant d'une intarissable beauté. La maîtrise du souffle est stupéfiante, dans les tempos lents en particulier, dispensant un généreux chant lié. Un art inné de la scène lui permet de dramatiser les affects et de différencier les diverses séquences des morceaux, notamment dans le da capo, ménagé avec des alternatives souvent encore plus étourdissantes lorsqu'il s'agit du mode rapide. On reconnaît là la musicienne qui, sur les planches, se donne à fond : que ce soit dans les accents guerriers ou la joie malicieuse, l'amour passion, qu'on a rarement perçu livré avec une telle force, ou l'abandon quasi hypnotique. C'est peut-être dans le registre de l'élégiaque, au fil de longues phrases comme murmurées, qu'on apprécie par dessus tout la diva, car ces vocalises ménagées pianissimo d'une seule tenue, ces trilles vibrants coulés sur une phrase, voire sur un mot jusqu'à frôler quelque harmonie séraphique, ont quelque chose de sensuel.

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Toutes ces musiques, la chanteuse les ennoblit avec la complicité de Giovanni Antonini, dont on connaît aussi l'engagement. Comme il en fut de leur précédent album dans la même thématique, ''Sacrificium'' (Decca). Dirigeant son Il Giardino Armonico, le chef italien procure plus qu'un accompagnement. Avec ses fins musiciens, il façonne pièce après pièce le plus évocateur des écrins, faisant éclore des couleurs mirifiques et dispensant des ambiances magiques, d'une aura sonore à nulle autre pareille.

Dès lors, on passera sur le ''gimmick'' entourant le CD, et ses photos de couverture et incluses dans le livret, montrant Cecilia Bartoli sous un déguisement pseudo masculin, au-delà du travesti, un costume qu'elle aime endosser, comme dans son incarnation du rôle titre de Rodelinda de Haendel à Salzbourg.

Les enregistrements, effectués en 2017 dans la salle de concert Rosey à Rolle, en Suisse, privilégient une ambiance naturelle, l'orchestre enchâssant bien la voix, elle-même parfaitement mise en valeur, sans être trop en avant. À noter qu'il n'existe pas de différence quant à la prise de son de la dernière aria (''Alto Giove'' de Porpora), captée à Salzbourg, l'été dernier, avec Les Musiciens du Prince-Monaco et Gianluca Capuano, à la faveur des représentations d'Alcina.  

Texte de Jean-Pierre Robert

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