Skip to main content
PUBLICITÉ
  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

Opéra : Les Contes d'Hoffmann selon Mr. Warlikowski

Contes Hoffmann 1
Acte I, Eric Cutler/Hoffmann (au centre) ©Bernd Uhlig 

  • Jacques Offenbach : Les Contes d'Hoffmann. Opéra-fantastique en cinq actes. Livret de Jules Barbier
  • Édition critique de Michael Kaye & Jean-Christophe Keck
  • Eric Cutler (Hoffmann). Patricia Petibon (Olympia/Antonia/Giulietta/Stella). Michèle Losier (Nicklausse/La Muse). Gábor Bretz (Lindorf, Coppélius, Miracle, Dapertutto). Sylvie Brunet-Grupposo (La voix de la tombe). François Piolino (Spalanzani/Nathanaël). Sir Willard White (Luther, Crespel). Loïc Félix (Frantz, Andrès, Cochenille, Pitichinaccio). Yoann Dubruque (Schlémil, Hermann). Alejandro Fonte (Wolfram). Byougjin Lee (Wilhelm)
  • Chœurs de La Monnaie, Martino Faggiani & Alberto Moro, chefs des chœurs
  • Académie des chœurs de La Monnaie, sous la direction de Benoît Giaux
  • Orchestre Symphonique de La Monnaie, dir. Alain Altinoglu
  • Mise en scène : Krysztof Warlikowski
  • Décors & costumes : Małgorzata Szcześniak
  • Éclairages : Felice Ross
  • Vidéo : Denis Guéguin
  • Chorégraphie : Claude Bardouil
  • Dramaturgie : Christian Longchamp
  • Théâtre de La Monnaie, Bruxelles, samedi 14 décembre 2019 à 19 h
  • Et les 19*, 20, 22* (15 h), 27*, 29 (15 h), 31* (18 h) décembre 2019 & 2 janvier 2020 à 19 h (*distribution alternative pour les rôles d'Hoffmann -Enea Scala, et des quatre héroïnes -Nicole Chevalier)

L'ultime volet des festivités de l'année Offenbach, il faut le rechercher à La Monnaie. On y présente une nouvelle production de l'opéra-fantastique, Les Contes d'Hoffmann, où il n'avait plus été donné depuis trente ans. Autant dire un événement. Qui se distingue par une direction d'orchestre de haut vol et une distribution fort habile. Mais aussi par une mise en scène déconcertante signée Krzysztof Warlikowski qui comme à son habitude prend toutes sortes de libertés conduisant à modifier la dramaturgie de l'œuvre. 

LA SUITE APRÈS LA PUB

Le Grand œuvre d'Offenbach connaît depuis sa création en 1881 un singulier parcours. On n'en compte plus les versions : pas moins de quatre par l'éditeur d'origine Choudens, puis les tentatives de Oeser, de Kaye, et plus récemment de Keck, sans compter les compilations bâtardes retenues par les scènes les plus prestigieuses. Le choix, cette fois, s'est porté sur les derniers travaux des musicologues Michael Kaye et Jean-Christophe Keck : une version en cinq actes, respectant l'ordre voulu par le compositeur, savoir l'acte dit « de Venise », après celui d'Antonia. Cet acte de Venise est à l'origine des plus folles tribulations, de la suppression pure et simple, lors de la création, à la mutilation plus ou moins consciente, au fil de reprises en France et à l'étranger. Dans celle présentée par La Monnaie, l'entière séquence apparaît transformée, avec, entre autres, la suppression de l'air fameux de Dapertutto, « Scintille, Ô diamant », puis un élargissement des échanges entre les divers protagonistes, dont le duo Giulietta-Hoffmann. Le dernier acte, en forme d'épilogue est lui aussi augmenté : introduit par le chœur a capella, il se poursuit par un récitatif réunissant Hoffmann, Nicklausse et Lindorf, parallélisme des formes oblige par rapport au prologue, pour s'achever par la fin de la chanson de Klein-Zack et un grand finale doublé par le chœur en une sorte d'apothéose sur la phrase « On est grand par l'amour ». Du point de vue musicologique, cette version enrichie des récitatifs de Giraud offre plus de lisibilité à la transmutation du personnage de la cantatrice Stella en trois visages de femmes aimées dans l'imagination du poète Hoffmann, « trois âmes dans une seule âme », comme à la métamorphose de celui de Lindorf en ses trois vils compères. Reste que cette vision complète, ou peu s'en faut, par rapport aux versions ordinairement admises, atteint un gabarit quasi wagnérien de près de 4 heures. Et change de nature l'opéra, son développement substantiel soulignant souvent, quelques tunnels aidant, une dramaturgie improbable, même si la composante fantastique et la facture d'œuvre ouverte peuvent fertiliser l'imagination du metteur en scène et autoriser diverses interprétations.

Contes Hoffmann 2
Acte I Gábor Bretz/Coppélius, Patricia Petibon/Olympia, Eric Cutler/Hoffmann, Michèle Losier/Nicklausse ©Bernd Uhlig

Le régisseur Krzysztof Warlikowski n'y va pas par quatre chemins : cette triple histoire en une d'un jeune poète fou enamouré d'une cantatrice Stella, qui va apparaître sous la forme de trois personnages de théâtre, Olympia, Antonia et Giulietta, il la façonne à son goût. Avec la passion pour le cinéma qu'on lui connaît dans bien de ses précédentes productions, Warlikowski transfère ainsi la trame qui a tant à voir avec l'opéra, dans une salle d'opéra transformée en cinéma. Et l'inscrit dans un cadre imaginé, inspiré du film de George Cukor A Star is Born : où le destin d'un artiste poète à ses heures qu'on voit tout au début, avant que l'opéra commence, tenter de lancer la pellicule, puis plus tard ne pas croire au sort réservé à l'une de ses héroïnes, voire prendre la place de celle-ci lors d'une cérémonie des Oscars, et évoquer alors sa tragique solitude d'artiste, interminable séquence plaquée devant le rideau de scène au beau milieu de l'épilogue. Ce cadre contraint, sorte de camisole, transforme l'esprit de la pièce. Le prologue (acte I) est ainsi situé dans le bar attenant à la salle de cinéma, en guise de taverne, où vont se rencontrer Hoffmann et sa muse comme les autres personnages de l'histoire. Warlikowski use de ses procédés favoris, comme le dédoublement des personnages, singulièrement celui d'Hoffmann qui est à la fois acteur et commentateur de l'action, donnant par exemple le signal d'enregistrement de tel air qui lui paraît bien en main. Autres tics, les rangées de fauteuils de salle de spectacle, façon commode d'aligner les choristes, et surtout le pied de micro systématiquement placé devant le nez du chanteur lorsqu'il doit s'exécuter pour son air.

Contes Hoffmann 3
Acte II Patricia Petibon/Antonia & Gábor Bretz/Dr Miracle ©Bernd Uhlig

Du point de vue de la direction d'acteurs, Warlikowski, soucieux d'animation, s'emploie à ajouter des figures de théâtre, comme cette trilogie de ballerines rose bonbon qui, sans doute, renvoie aux trois figures de femmes. Reste que les projections par vidéo sur l'écran de cinéma disposé en fond de scène, quelques pertinentes qu'elles soient aux yeux du metteur en scène, deviennent vite lassantes, car trop accaparantes, en particulier durant l'acte de Venise dont le contenu dramatique n'en est pas pour autant plus explicite, loin s'en faut. Tout cela conduit paradoxalement à une perte d'intensité. Comme il en va du tableau d'Olympia dont l'air ''Les oiseaux dans la charmille'' est prétexte à une débauche d'incises pas seulement théâtrales, mais empiétant sur le chant proprement dit. Un gimmick qui a peu à voir avec ce qui est écrit tant il est exigé de l'interprète de presque minauder. La seule partie à échapper à ce traitement sera l'acte d'Antonia, qui il est vrai offre une dramaturgie plus resserrée : le déroulement de ses diverses péripéties offre une belle osmose théâtre-musique et on peut dire qu'ici cette dernière reprend ses droits. Sauf que juste après la fin musicale de cet acte, l'ajout d'une séquence parlée en gâte toute la saveur. Au final, cette régie génère pour le moins des sentiments contradictoires : à la fois laudateurs devant un indéniable travail scénique qui ne se contente pas d'un premier degré facile, et irritants par son parti iconoclaste, souvent violent, jusqu'au-boutiste dans la licence prise avec les didascalies, voire tournant le dos à la notion d'esthétisme.

LA SUITE APRÈS LA PUB

Contes Hoffmann 4
Acte III Yoann Dubruque/Schlémil, Patricia Petibon/Giulietta, Eric Cutler/Hoffmann, Michèle Losier/Nicklausse, Gábor Bretz/Dapertutto ©Bernd Uhlig 

Le volet musical est heureusement d'une toute autre nature. Alain Altinoglu ne ménage pas sa peine pour donner vie à une partition foisonnante. Et la réussite est là, patente : son orchestre sonne fin et alerte, les bois distillant de belles couleurs, les cordes unies comme un seul homme, les cuivres mordorés. Il y a là non seulement de la fièvre, mais encore de l'esprit, et aussi de l'émotion à revendre. Les chœurs de La Monnaie, n'étaient quelques décalages, offrent un engagement certain et une parfaite diction. La distribution est sans faille. Dans le double rôle de La Muse et de Nicklausse, Michèle Losier brûle les planches par son volontarisme et un chant admirable. Qu'on apprécie particulièrement dans la romance au IIIème acte, si rarement donnée, ''Vois sous l'archet frémissant'', merveille de cantabile, accompagnée par le violoncelle. Sir Willard White dans Maître Luther et surtout Crespel montre combien il a encore de ressources à l'automne d'une carrière bien menée. François Piolino est un Spalanzani heureusement pas histrion et l'articulation est une bouffée d'air. Tout comme celle de Loïc Félix, qui dans la tradition d'un Sénéchal et autre Fouchécourt, élève à des morceaux d'anthologie les quatre portraits cocasses, et non comiques, d'Andrès, de Cochenille, de Franz et de Pittichinaccio. Les brèves interventions de La voix de la tombe, mère d'Antonia, Sylvie Brunet-Grupposo en fait un moment gratifiant de son timbre flattant le contralto. Gábor Bretz, hier Jokanaan de Salomé à Salzbourg, offre une autorité certaine et un baryton-basse assuré qui libèrent l'effroi d'un sinistre Lindorf, briseur d'amour, d'un inquiétant Coppélius, d'un sardonique docteur Miracle et d'un diabolique Dapertutto.

Le ténor américain Eric Cutler, dont le timbre rappelle celui de John Osborne, est un juste choix pour Hoffmann. S'étant d'abord exercée dans les rôles lyriques voire belcantistes italiens, la voix s'est assombrie dans le registre dramatique. Ce qui lui permet aussi bien d'affronter la vaillance des passages tendus que de parer les traits plus lyriques de mille nuances. La distinction du jeu scénique est aussi au rendez-vous comme une conviction de tous les instants, épousant les demandes extrêmes du metteur en scène. Enfin, le challenge des quatre héroïnes est tenu haut la main par Patricia Petibon, une prise de rôle notable. Comme ses illustres devancières, elle assume avec assurance et aplomb une diversité qui couvre des tessitures bien distinctes, du soprano colorature (Olympia) à celui nettement plus corsé de Giulietta. C'est toutefois dans la partie d'Antonia qu'elle est le plus à l'aise, flattant un médium désormais d'une rare solidité, et se consumant dans ce rôle de chanteuse exaltée. La romance ''Elle a fui la tourterelle!'' qu'elle choisit de livrer très en voix, est d'une poignante émotion. Mais n'est-ce pas la plus sensible incarnation féminine de l'œuvre ?

Texte de Jean-Pierre Robert 

LA SUITE APRÈS LA PUB


Autres articles sur ON-mag ou le Web pouvant vous intéresser


théâtre de la monnaie, Jacques Offenbach

PUBLICITÉ