CD : Un piano méconnu de Liszt, en hommage à Chopin
- ''Black Liszt''
- Franz Liszt : Mazurka brillante. Polonaises N° 1 ''mélancolique'' & N° 2. Liebestraüme (3 Nocturnes). Ballades N° 1 & N° 2. Berceuse
- Guillaume Vincent, piano
- 1 CD Naïve : V 5450 (Distribution : Believe Group)
- Durée du CD : 73 min
- Note technique : (4/5)
L'idée de ce disque est d'explorer les œuvres pour piano composées par Liszt au tournant des années 1850, en « hommage inconscient » à Chopin récemment disparu. Un visage peut-être moins connu du compositeur virtuose. Et l'illustration du lien musical existant entre les deux musiciens.
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La relation entre Chopin et Liszt les a fait aussi bien amis que rivaux. Alors que Liszt abandonne sa carrière de pianiste en 1847, il fera paraître un essai consacré à Chopin en 1850. On peut penser que les pièces de piano seul écrites dans les années entourant la mort de Chopin sont dédiées à ce dernier. Ne serait-ce qu'eu égard à leurs titres, de Polonaises, Nocturnes ou Ballades. On en est rendu aux conjectures, car il n'existe pas de claires dédicaces. Du moins la sélection soigneusement opérée par Guillaume Vincent est-elle intéressante. Elle met aussi en lumière le fait que le genre choisi pour une pièce n'est pas nécessairement en adéquation avec le contenu qu'on lui assigne. Comme c'est souvent le cas chez Chopin d'ailleurs. S'il est un type de pièce que s'est bien approprié Chopin, c'est celui de la Polonaise. Liszt en a écrit deux. La Polonaise mélancolique N° 1, de 1851, doit nul doute son appellation à sa partie médiane qui déroule une profonde réflexion, un développement à la fois énergique et élégiaque et un final grandiose. La Polonaise N° 2, écrite l'année suivante, est nettement plus tonique, asservissant le rythme de cette danse à une manière fière. Le 2ème thème se fait d'ailleurs encore plus décidé, presque déclamatoire dans ses grands accords en aplats, ses arpèges fiévreux et autres trilles aigus. Poussant le morceau vers la pure démonstration. Chassez le naturel... ! Car comme le souligne Guillaume Vincent, on y trouve « L'ange et le démon à la fois ». Il en va de même des deux ballades. La Ballade N° 1, écrite dans les années 1849-1853, offre un climat élégiaque, un peu mystérieux, orné d'une profusion de notes aiguës. Le second thème, proche d'une marche, élargit le spectre dans des contrées dont l'humour n'est pas absent. La Ballade N° 2 (1853) est de facture virtuose : introduction en rafales de graves grondants, puissantes vagues déferlantes. Le fantastique domine ici jusque dans la péroraison aussi brillante que démonstrative. La Mazurka brillante (1850) est un morceau fantasque à souhait, bondissant généreusement.
Les trois Nocturnes que sont Liebesträume (rêves d'amour) réinventent un genre chopinien s'il en est, et ce dans le sens de l'improvisation. ''Hohe Liebe'' livre une touchante cantilène que réchauffe une progression héroïque, chère à l'auteur. ''Seliger Tod'' installe un climat assuré et quelque angoisse. Et ''Oh Lieb'' revient à l'atmosphère du début, magnifiée par le thème lyrique bien connu de ''Rêve d'amour'', exprimé à la main gauche, qui se développe en une cascade fulminante, éloignant le morceau du pur statut de nocturne. Là encore le talent d'improvisateur de Liszt transcende l'idée de base. La Berceuse, composée en 1854 et remaniée en 1862, offre pareille impression : une longue digression savante initiée par le bercement de la main gauche sur des trilles de la droite, qui module à l'envi dans une atmosphère apaisée, quasi nocturne décroissant jusqu'au silence.
Guillaume Vincent aborde ces pièces avec une sûre maîtrise et un jeu tout en nuances où la puissance n'envahit pas le discours. Opposition entre ombre et lumière plutôt. La captation, à la MC2 de Grenoble, dans une acoustique très ouverte comme en salle de concert, rend bien compte du jeu très pédalé du pianiste.
Texte de Jean-Pierre Robert
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