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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : ultime volume de la collection Les Musiciens et la Grande Guerre

Sous la pluie de feu

  • Lucien Durosoir : Funérailles, Suite pour grand orchestre
  • Philippe Hersant : Sous la pluie de feu, concerto pour violon et violoncelle
  • Taurida International Symphony Orchestra, dir. Mikhail Golikov (Durosoir)
  • Hélène Collerette (violon), Nadine Pierre (violoncelle)
  • Orchestre Philharmonique de Radio France, dir. Pascal Rophé (Hersant)
  • 1 CD Hortus : Hortus 736 (Distribution : Harmonia Mundi)
  • Durée du CD : 61 min 03 s
  • Note technique : etoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile grise (4/5) 

L'immense collection mémorielle ''Les musiciens et la Grande Guerre'' s'achève avec ce 36ème volume, chargé de sens. Il met en regard une œuvre essentielle de Lucien Durosoir et une pièce contemporaine (2018) écrite par Philippe Hersant, en hommage au grand violoniste que fut celui-ci et à Maurice Maréchal, son collègue violoncelliste. 

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Célèbre violoniste, Lucien Durosoir (1878-1955) interrompt brutalement sa carrière avec sa mobilisation en 1914. Après la fin des hostilités, il se consacrera à la composition, encouragé par son ami André Caplet. La Suite pour grand orchestre Funérailles, qu'il achève en 1930, ne sera jamais publiée. Retrouvée dans la bibliothèque familiale, elle ne sera créée qu'en novembre 2014. Œuvre d'une rare puissance sonore, de par l'imposant instrumentarium exigé, sa densité impressionne comme sa durée, de quelques quarante minutes. Ses quatre parties sont articulées sur quatre citations du poète Jean Moréas, extraites de ''Cantilènes'' et de ''Syrtes''. Un prégnant sentiment de nostalgie domine cette écriture aussi complexe, faite de ruptures incessantes, que dense dans le recours à des tonalités éloignées et à des formules mélodiques obsessionnelles. Ce qui se traduit par une alternance de tension et d'apaisement, de véhémence et de douceur. Le premier mouvement ''Roses de Damas, où sont vos parfums?'', s'ouvre sur une immense vague mélodique ininterrompue, d'où émergent des bribes de solos de violon ou de cuivres. Le deuxième ''Je me souviens...'' fait contraste : évocation d'une joie de vivre évanouie, celle que procurent les beautés de la nature. L'orchestre est alors habité d'une sorte d'ivresse et les ruptures de rythme sont nombreuses, quoiqu’une sorte de pacification se fasse jour peu à peu. ''Voix qui revenez...'' est un mouvement lent, imposant une écriture chromatique. Les parties solos y sont plus détachées : clarinettes, bassons, sur un soubresaut des cordes. Ce sont des évocations des moments pénibles, des souvenirs des tranchées. Le ton est chargé d'interrogations dans un climat d'une monotonie volontairement soulignée. Le finale ''Toc, toc, le menuisier des trépassés...'' offre une rythmique exubérante et se développe de façon fougueuse. Il en émane un humour sarcastique, notamment dans le recours aux cymbales couronnant de brefs épisodes épiques. La péroraison essaie d'être plus calme jusqu'à un ultime point d'orgue abrupt. Tout au long de cette œuvre difficile, on aura expérimenté une exécution engagée faisant sienne une profusion musicale bien en accord avec le propos de départ, mais qui ne peut éluder un parcours compact, souvent à la limite de l'impénétrable.

Au point que le double concerto pour violon et violoncelle Sous la pluie de feu que Philippe Hersant compose en 2018, pour commémorer l'armistice de 1918, apparaît presque comme une bouffée d'air. Eu égard à une orchestration bien plus ''claire''. Ce concerto veut honorer deux poilus célèbres : le violoniste Lucien Durosoir précisément et le celliste Maurice Maréchal. Un troisième nom y est associé, celui d'André Pézard, spécialiste de Dante. D'où le titre de la pièce, évoquant le chant XV de L'Enfer, ''Dante sous la pluie de feu''. Elle est constituée de trois parties enchaînées. Elle s'ouvre par un prologue lyrique aux cordes dont émergent les deux solistes. La musique y est souvent presque séraphique. L'épisode central, très bref, évoque les combats et massacres sur une rythmique serrée des deux solistes et un contrepoint des contrebasses. Le ton est rageur, obsessionnel, cataclysmique dans les décharges d'un orchestre enfiévré où seuls les solistes apportent quelque humanité. Car le motorique domine pour des effets d'écrasement. Le long postlude tente de résoudre les tensions accumulées, grâce aux deux voix principales qui tentent de se frayer un chemin : en échos assourdis aux précédentes péripéties guerrières, ils dialoguent enfin ouvertement, dont le cello éminemment expressif jusqu'à une mini cadence. Le violon lui emboîte le pas de ses volutes suraiguës. Le martèlement reprend son cours, lancinant, et cela se résout dans le face-à-face violon-violoncelle jusqu'à une ultime section en forme de réminiscence de tout ce qui a tragiquement précédé. On admire chez Hersant une belle écriture transparente, magistralement achalandée dans l'instrumentation. L'exécution est la captation du concert de création donné le 16 novembre 2018 par le Philar et ses deux premiers pupitres, de violon, ténu par Hélène Collerette, et de violoncelle, par Nadine Pierre. Pascal Rophé en est le maître d'œuvre inspiré.

La prise de son de cette pièce, en concert à Radio France, est toute de clarté avec un bel étagement des plans. Ce qui manque à celle de l'autre pièce, captée à Saint-Pétersbourg, dont l'ambiance est plus touffue.

Texte de Jean-Pierre Robert

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