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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : les mélodies de Franz Liszt

Liszt OLieb

  • Franz Liszt : choix de Lieder et de mélodies françaises et italiennes
  • Cyrille Dubois (ténor), Tristan Raës (piano)
  • 1 CD Aparté : AP 200 (Distribution : PIAS)
  • Durée du CD : 82 min 31 s
  • Note technique : etoile verteetoile verteetoile verteetoile verteetoile grise (4/5)

Les mélodies et Lieder de Liszt constituent un pan méconnu de sa production, éclipsé peut-être par le répertoire pianistique. Ils sont peu abordés au concert aussi bien qu'au disque. D'où l'intérêt de ce programme qui en propose une brassée significative. Elle est déclinée par un tandem de jeunes musiciens qui a déjà fait ses preuves dans ce genre si délicat, le ténor Cyille Dubois et le pianiste Tristan Raës. Une intéressante immersion.

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Franz Liszt s'est beaucoup intéressé à la voix, singulièrement dans le domaine de la mélodie. Outre quelques œuvres de jeunesse, il s'y consacre pleinement à partir des années 1840. Il en composera une centaine au long de sa carrière, en remaniant certaines à plusieurs reprises. Ces pièces sont comme des miroirs de sa vie créatrice et certaines ont même un aspect autobiographique. Les thèmes traités sont ceux habituellement privilégiés par les romantiques : la nature, les sentiments intimes, dont l'état amoureux, la solitude. Mais à travers un panel d'expressions très variées, jusqu'à la passion ou l'exacerbation pour certaines. Tout à fait remarquable est la modernité de leur écriture musicale. La partie de piano, toujours extrêmement ouvragée, dépasse de loin le rôle d'accompagnateur pour se montrer comme un partenaire à part entière, dont l'écriture se distingue souvent de la ligne vocale. De nouvelles perspectives, comme il en sera plus tard chez Hugo Wolf. C'est que Liszt cherche à traduire une expressivité complexe, qui se démarque de la simplicité d'un Schubert par exemple, ou de la poétique de Schumann, aux fins d'une symbiose texte-musique qui soit au final toujours au service du premier. Ces pièces soit brèves, soit plus développées, sont habiles à planter un décor et construire une petite scène, non sans ruptures marquées, offrant à la voix un vaste nuancier, ce qui se caractérise par un large spectre dynamique. Liszt a composé majoritairement des Lieder en allemand. Mais il existe aussi des mélodies en français, puisées chez Hugo, et en italien, inspirées de la Dante comédie.

Parmi les Lieder, où Liszt traite le thème de l'amour, si cher à son cœur, la présente sélection retient quelques joyaux. Comme ''Liebestraum 'O lieb' '' (Chant d'amour, 'Ô aime') sur une mélodie bien connue, ou comment décrire l'extase amoureuse. Ou ''Freudvoll und Leidvoll'' (Plein de joie, plein de peine), sur un poème de Goethe, comble de l'exaltation. Dans ''Morgens steh' ich auf'' (Le matin, en me levant), sur un texte de Heine, ce sont les soupirs de l'amoureux transi en quête de la bien-aimée. Auquel répond ''Bist du'' (Ainsi es-tu), là où la fiancée pure et douce peut aussi céder à la froideur, ce sur un rythme alternant deux modes, doux et plus soutenu. On trouve aussi la petite scène dramatique comme dans ''Die Loreley'' de 1856, qui appartient au genre de la ballade et recherche l'essence poétique d'un texte mythique, celui de la sirène du Rhin. La scène bucolique, on la trouve dans ''Der Fischerknabe'' (Le garçon pêcheur), lied introduit par un piano quasi aquatique pour laisser place à une voix aux mélismes envoûtants. Le thème de la nature, on le trouve encore dans ''Lasst mich ruhen'' (Laissez-moi me reposer) évoquant les souvenirs et les rêveries de l'homme dans la forêt au son du rossignol, métaphore pour traduire les secrets de l'âme.

Plusieurs des mélodies françaises sont tirées de textes de Victor Hugo. Et particulièrement du recueil Les rayons et les ombres. Où Liszt se montre si proche du genre de la romance française. Ainsi de ''O quand je dors'', sur un rythme de berceuse jusqu'à un climax fulgurant. ''S'il est un charmant gazon'' est introduit par un prélude pianistique serein, comme parfumé, pour enchâsser la voix. Du recueil hugolien Feuilles d'automne, Liszt a choisi ''Enfant, si j'étais roi'', où le piano se fait plus présent, notamment dans le registre grave. Le CD offre encore quatre mélodies composées en italien, dont les Trois Sonnets de Pétrarque, de 1846. Plus connues dans leur transcription pour piano, ces pièces ont d'abord été conçues pour voix et piano. Ces mélodies sont au cœur de l'idéal romantique. Voix et piano sont traités de manière exigeante et le spectre est large dont des montées en puissance stupéfiantes jusque dans l'extrême aigu. On admire la beauté modulante de la mélodie pianistique soutenant la voix, spécialement dans la troisième pièce ''I'vidi in terra angelico costumi'' (J'ai vu sur terre d'angéliques manières). La mélodie ''Angiolin dal biondo crin'' (Petit ange aux cheveux blonds), de 1839, remaniée en 1856, a une connotation autobiographique. Car Liszt évoque dans cette berceuse sa propre fille aînée Blandine alors âgée de quatre ans.

Il est particulièrement original d'entendre ces pièces chantées par un ténor léger. On les a connues surtout par des voix de femmes, Behrens, Damrau, voire chez les hommes, par Kaufman. Sans doute très à l'aise dans ce qui réclame une haute maîtrise de la déclamation. Cyrille Dubois dont la toute jeune carrière est éclose dans le répertoire de l'opéra-comique (Les pêcheurs de perles, dont il existe un CD chez Pentatone [envoi du 15/9/2018], ou Le Domino noir joué à l'Opéra Comique), se consacre également à celui de la mélodie, ce qui est singulier à ce stade de son parcours. Il forme avec le pianiste Tristan Raës un duo qui a déjà à son actif plusieurs belles réalisations. La beauté solaire du timbre est indéniable, conférant une belle aura aux tonalités voilées de certaines pièces, notamment dans le registre pianissimo. Et les fils de voix sont extatiques. Le large spectre, truffé de sauts d'intervalles vertigineux dans plusieurs Lieder, est maîtrisé avec doigté même si au prix de quelque dureté dans l'aigu lorsque sous pression, ou d'un effet détimbré dans l'extrême grave. Sans doute une plus grande fréquentation de ce répertoire exigeant conduira-t-il à une approche plus affirmée. De la partie de piano, Tristan Raës restitue toute la poétique par un toucher sensible, jamais heurté. La complicité entre les deux artistes ne saurait être discutée non plus que leur sincérité.

La prise de son, à l'église Saint-Pierre à Paris, ménage un équilibre satisfaisant entre piano et voix, même si l'image sonore a tendance à placer cette dernière un peu trop à droite du spectre.

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Texte de Jean-Pierre Robert    

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