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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

Opéra : Madame Favart dans son écrin naturel, l'Opéra Comique

Madame Favart 1
Acte I ©S. Brion

  • Jacques Offenbach : Madame Favart. Opéra-comique en trois actes. Livret d'Alfred Duru et Henri Chivot
  • Marion Lebègue (Madame Favart), Christian Helmer (Charles-Simon Favart), Anne-Catherine Gillet (Suzanne), François Rougier (Hector de Boispréau), Franck Leguérinel (Le major Cotignac), Éric Huchet (Le marquis de Pontsablé), Lionel Peintre (Biscotin), Raphaël Brémard (Le sergent Larose)
  • Salal Dages-Des-Houx, Enfant, Maîtrise populaire de l'Opéra Comique
  • Chœur de l'Opéra de Limoges, dir. Edward Ananian-Buisson
  • Orchestre de Chambre de Paris, dir. Laurent Campellone
  • Mise en scène : Anne Kessler
  • Dramaturgie : Guy Zilberstein
  • Décors : Andrew D. Edwards
  • Costumes : Bernadette Villard
  • Chorégraphie : Glyslein Lefever
  • Lumières : Arnaud Jung
  • Opéra Comique, Paris, le samedi 22 juin 2019 à 20 h
  • Et les 26, 28 juin 2019 à 20 h & le 30 juin à 15 h

Justine Favart, illustre chanteuse, la salle Favart, berceau du Théâtre de l'Opéra Comique, le genre musical de l'opéra-comique, voilà les symboles que cette nouvelle production de Madame Favart d'Offenbach met en lumière. L'Opéra Comique la monte en coproduction avec le Palazzetto Bru Zane, dans le cadre de son festival annuel parisien, et les Opéras de Limoges et de Caen. Cette page d'histoire du théâtre de la place Boieldieu revit grâce à une mise en scène enlevée et une direction musicale tout aussi explosive.

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Pressé de dettes et au creux de la vague, Jacques Offenbach n'a plus la cote au milieu des années 1870. Pourtant la chance va de nouveau lui sourire grâce à la restauration d'un genre un peu passé de mode, l'opéra-comique. Madame Favart, une de ses toutes dernières œuvres bouffes pour la scène, créée en 1878, est un vibrant hommage aussi bien au genre qu'à l'institution qui le porte. Elle met en scène le couple Favart, lui Charles-Simon, illustre auteur dramatique, elle Justine, chanteuse adulée, aux prises avec une intrigue purement imaginaire où ils apparaissent séparés du fait des entreprises peu militaires du Maréchal de Saxe, épris de la dame, tandis qu'un autre couple de jeunes gens, Suzanne et Hector, voient leurs projets de noces contrariés mais finalement rabibochés par le génie inventif et la générosité de la chanteuse. Un grand hidalgo amoureux transi, Le marquis de Pontsablé, aura un temps été le grain de sable par lequel tout pouvait s'enrailler. Quiproquos à la limite de l'absurde comme chez Feydeau, clins d'œil à l'Histoire et à la géopolitique avant l'heure, changements d'identité et travestissements, un peu comme dans le Beaumarchais des Noces de Figaro, récit à la fois picaresque et d'une tendresse touchante, la pièce est de la meilleure veine offenbachienne. Airs bien ficelés et ensembles d'une verve inépuisable se partagent une musique toujours inventive qui n'a rien perdu de sa verve rythmique valsante et de ses trouvailles instrumentales.

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François Rougier/Hector, Anne-Catherine Gillet/Suzanne, Christian Helmer/Charles-Simon Favart & Marion Lebègue/Madame Favart ©S. Brion

La mise en scène d'Anne Kessler met au centre du propos l'institution de l'Opéra Comique puisqu'elle situe l'action dans les ateliers de couture du théâtre. Fière idée lorsqu'on sait que Justine Favart, outre ses talents vocaux, a inventé le costume de scène ! Alors qu'acteurs et chanteurs jouaient avec leur propre garde robe, et des atours somptueux qui n'avaient souvent rien à voir avec l'état du rôle endossé, Justine Favart va inspirer la pratique du costume de scène réaliste, en lien avec le personnage interprété. Nous sommes donc transportés dans un univers peuplé de mannequins de bois, de rouleaux d'étoffes, de placards en enfilade et de machines à coudre, pour symboliser ce qui dans les didascalies figurent une auberge à Arras, un salon à Douai, voire le camp de l'illustre maréchal. Autre clin d'œil, au IIIème acte, avec la visualisation du foyer de l'Opéra Comique qui voit réuni le couple Favart. Ajouté à des costumes bien entendu de fort belle facture, vêtant gente couturière, invités mondains et soldatesque parodique, voilà un bien savoureux écrin, fort agréable à voir. S'y inscrit une direction d'acteurs raffinée et un mouvement d'ensemble des plus alertes qui croise l'impromptu et la vraie-fausse réalité, ouvre boîte de Pandore pour des chassés-croisés aventureux, des revirements tout sauf prévisibles et autres coups titillant l'absurde, mais non le grotesque. Car si Anne Kessler mise sur un débit rapide, voire frénétique, jamais sa régie ne sombre dans la facilité et le banal.

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Éric Huchet/ Pontsablé & Madame Favart ©S. Brion

S'en détachent quelques individualités fort bien léchées. Comme le marquis bellâtre et infatué qui se prend la tête ou s'aperçoit à ses dépens qu'on le berne, mais parvient toujours à sauver la face. Aux situations improbables répondent des portraits dessinés avec finesse, sans charge. Ainsi la dame Favart sait-elle se tirer d'affaire et des situations les plus ardues, voire perdues. Comme la belle Suzanne saura affirmer haut et court son amour pour un jeune futur lieutenant de police, au nez et à la barbe de son rigoureux et un peu borné de père. Le jeune prétendant à sa flamme n'a rien de convenu et juste la réplique qu'il faut pour se sortir d'un mauvais pas. Le directeur de théâtre Charles-Simon Favart, pas le rôle le plus gratifiant de la pièce, endosse d'amusants travestissements, valet puis cuisinier... Les ensembles fonctionnent au quart de tour, réglés comme du papier à musique, avec leur lot d'effets de surprise, calqués sur le tempo, et autres onomatopées à vous arracher le rire. Ainsi des finales menés comme une revue avec effet d'accélération comme dans une comédie de Feydeau. Et il y a du répondant dans la salle. Surtout, le passage du parlé au chanté, quasi à égalité ici comme il se doit dans tout opéra-comique, se fait naturellement dans une vraie fluidité.  

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Acte III, les Favart enfin réunis ©S. Brion 

Tout aussi brillante, l'interprétation musicale participe de la réussite du spectacle. La direction de Laurent Campellone y est pour beaucoup qui drive son orchestre sans relâche et avec un enthousiasme communicatif, insufflant un rythme soutenu, voire endiablé dans les fins d'actes. L'Orchestre de Chambre de Paris, avec un effectif justement pas trop nombreux, offre des sonorités graciles et colorées. On a assemblé un cast sans faille aucune, qui fonctionne comme une vraie troupe maniant avec brio l'humour et le second degré typique de l'œuvre. Un ensemble de jeunes chanteurs-acteurs qui savent ce que jouer veut dire, que ce soit en parlant ou en chantant. Marion Lebègue a de l'abattage à revendre pour incarner le rôle titre : pétulance et bagout sont au rendez-vous, mais là encore sans charge. La faconde vocale n'est pas en reste et le timbre de mezzo-soprano est haut en couleurs. Christian Helmer, de sa voix de baryton aussi sonore qu'articulée, campe un Favart que son état de victime n'a pas privé de jovialité non plus que de malice. La Suzanne d'Anne-Catherine Gillet a elle aussi du punch à revendre et sait affirmer les droits de la femme un bon siècle avant l'heure. Son ténor de partenaire, François Rougier, issu de l'Académie de l'Opéra Comique, fait montre d'un bel humour et ravit par un timbre avenant qu'il conduit en voix de tête jusque dans les aigus à la Rossini dont est truffée la tyrolienne du dernier acte. Quelques savoureux portraits encore : Le major Cotignac de Franck Leguérinel, un habitué de la maison, aussi rigide militaire qu'inflexible papa, l'aubergiste Biscotin de Lionel Peintre, amusant pastiche du personnage faire-valoir. Et surtout Le marquis de Pontsablé d'Éric Huchet, inénarrable composition de fat, engoncé dans ses certitudes d'invétéré séducteur, mélange magistral de préciosité, de sûreté de soi, d'hyperbole dramatique digne des beaux soirs de la Comédie Française des années 60. Que la sociétaire Anne Kessler fait nul doute revivre ici, dans cet art du second degré où tout le spectacle aura excellé. Le Chœur de l'Opéra de Limoges est à la hauteur du chalenge, très rythmique, au bord de la frénésie même, ce qui n'est pas si aisé à traduire, là aussi assimilant jeu et chant avec un évident plaisir.

Texte de Jean-Pierre Robert



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