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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

Opéra : Comment Offenbach s'approprie Barbe-Bleue

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Ier acte, Yann Beuron, Barbe-Bleue ©Stofleth

  • Jacques Offenbach : Barbe-Bleue. Opéra bouffe en trois actes et quatre tableaux. Livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy
  • Yann Beuron (Barbe-Bleue), Héloïse Mas (Boulotte), Carl Ghazarossian (Prince Saphir), Christophe Gay (Popolani), Thibault de Damas (Comte Oscar), Christophe Mortagne (Roi Bobèche), Jennifer Courcier (Fleurette), Aline Martin (Reine Clémentine), Dominique Beneforti (Alvarez), Sharona Applebaum (Heloïse), Marie-Eve Gouin (Éléonore), Alexandra Guerinot (Isaure), Pascale Obrecht (Rosalinde), Sabine Hwang-Chorier (Blanche)
  • Chœurs de l'Opéra de Lyon, Karine Locatelli, cheffe des chœurs
  • Orchestre de l'Opéra de Lyon, dir. Michele Spotti
  • Mise en scène et costumes : Laurent Pelly
  • Adaptation des dialogues : Agathe Mélinand
  • Décors : Chantal Thomas
  • Lumières : Joël Adam
  • Collaboration à la mise en scène : Christian Räth
  • Collaboration aux costumes : Jean-Jacques Delmotte
  • Opéra de Lyon, dimanche 16 juin 2019 à 16 h
  • Et les 21, 22, 24, 25, 29 juin, 1er & 5 juillet 2019 à 20 h 

L'Opéra de Lyon poursuit son exploration des œuvres d'Offenbach. Cette fois avec Barbe-Bleue, un opéra bouffe qui grâce à la plume experte du tandem Meilhac et Halévy, parodie le conte de Perrault en une délirante pochade. Le regard sans complaisance de Laurent Pelly ne manque pas d'en décortiquer les thèmes porteurs comme les plus infimes recoins. Et la distribution s'en amuse fort.

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Fruit de la prolifique période de Jacques Offenbach au milieu des années 1860, qui a vu naître La belle Hélène, La Grande-duchesse de Gérolstein, La Périchole et La Vie parisienne, Barbe-Bleue (1866) déconstruit gaiement le mythe du conte populaire immortalisé par Charles Perrault. L'œuvre s'inscrit dans la série de celles traitant de ce sujet sur la scène lyrique, depuis Grétry (Raoul Barbe-Bleue) jusqu'à Dukas (Ariane et Barbe-Bleue) et Bartók (Le Château de Barbe-Bleue). Dans une toute autre perspective bien sûr. La veine bouffe inscrit la destinée du personnage de Barbe-Bleue au sein d'une double intrigue loufoque et sans dessus dessous, qui a pour cadre la cour du Roi Bobèche. La fringale de femmes de Barbe-Bleue qui emprisonne et veut occire ses épouses successives pour consommer de nouveau, croise l'histoire de ce roitelet de pacotille qui projette de marier sa fille retrouvée après qu'il en eut perdu la trace. Il en résulte une trame complexe, plus ou moins artificielle, fertile en rebondissements cocasses. L'aspect ogre sanguinaire est contrebalancé par une approche d'un cynisme tellement appuyé qu'il en devient drôle. On rencontre ainsi un alchimiste, Popolani, chargé de mettre à l'ombre les épouses encombrantes, en fait gardés au secret dans un gynécée, un comte, premier ministre en chef empressé à faire les volontés d'un maître pusillanime, un couple d'amoureux bien sûr, Saphir, prince qui ne sait pas forcément qui il est, et Fleurette, jolie paysanne qui se révèle être la fille du roi, et qui seront réunis in fine. Et surtout une autre paysanne au caquet bien affilé, Boulotte, qualifiée de "batifoleuse", qui va occuper le centre des débats, en épousant Barbe-Bleue qui s'est amouraché d'elle, puis en s'échappant de son emprise, après avoir découvert l'existence de ses autres femmes qu'elle appelle à la révolte, et enfin en le faisant venir à résipiscence. Au texte allègre des deux librettistes Meilhac et Halévy répond la verve naturelle d'Offenbach qui l'a doté d'une musique alerte à l'abondante veine mélodique, truffée d'airs à couplets bien ficelés et d'ensembles prolixes en surprises. Si on n'est pas sur le même braquet que dans La belle Hélène, la satire n'est ici pas moins caustique, d'un monde de royaume d'opérette et du tyran vrai-faux sanguinaire.

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Acte II, Héloïse Mas, Boulotte & Barbe-Bleue ©Stofleth

Laurent Pelly, qui se meut avec délice dans ce monde détraqué aux sous-entendus incessants, qui lui a valu tant de succès depuis son Orphée aux enfers, ici même en 1997, jusqu'au Roi Carotte (2015), en passant par La Belle Hélène au Châtelet à Paris, ou La Grande duchesse de Gérolstein, aborde ce nouveau titre avec autant de gourmandise qu'au premier jour. Il y voit "une parodie, avec une dimension un peu scabreuse et en tous cas érotique". Il installe une sorte de thriller, façon boulevard du crime, mais replacé dans un contexte de satire du pouvoir, celui d'un roi "tyran profondément stupide, hargneux, superfétatoirement méchant..." Les frasques de Barbe-Bleue, singé en Kim Jong-un, crâne semi rasé à l'arrière, et barbe plus croque- mitaine que réellement effrayante, parka et lunettes noires, débarquant en bagnole de luxe également noire, croisent celles non moins méchamment loufoques de Bobèche, portant réplique de la St Edward's Crown britannique, qui exige le baisemain et se plaît à faire courber l'échine de ses courtisans. La mise en scène regorge de traits d'un caustique délirant où le décalage est érigé en loi, chaque personnage agissant d'abord par ses travers. Comme Boulotte transformée en nymphomane et Barbe-Bleue en obsédé sexuel, érotomane et noceur, "Landru avant l'heure". La régie égratigne bien des poncifs ou verse volontairement dans le dramatisme exagéré, pour basculer peu à peu dans l'absurde de plus en plus incontrôlable, dans une mécanique à la Feydeau. En particulier dans les finales des actes, à la rythmique bien rodée.

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Acte III ©Stofleth

Tout cela évolue dans un décor naturaliste qui s'inscrit lui-même dans l'univers de la presse à sensation aux unes de magazines alléchantes : d'abord de cour de ferme, dont le design rappelle celui conçu par Pelly pour L'Elixir d'amour, le tas de fumier remplaçant les meules de foin, puis de salle de palais royal grandiloquent où règne un monarque et sa reine hystériques, ou encore d'antre d'alchimiste, façon morgue avec ses placards cachant quelque horrible forfait, mais qui ouverts, laissent entrevoir le joli salon doré des cinq précédentes femmes. Deux touches extrêmement élaborées encore. Le traitement des chœurs d'abord, que Pelly manie de manière étourdissante, réglés dans une mécanique d'horlogerie, tout en souplesse ou au pas de l'oie. Telle la séance hilarante des baisemains où chacun vient effleurer des lèvres l'anneau royal alors que tous, suivant le rythme de la musique, chuchotent le bruit de baisers scandés bien sonores. Le faste des costumes ensuite, dont Pelly signe aussi les maquettes, d'un luxe de détail inouï versant campagne et d'une beauté plastique certaine lorsqu'à la cour.

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Finale de l'Acte III, Barbe-Bleue terrassé par Boulotte ; à l'arrière plan : Christophe Mortagne, Roi Bobèche & Aline Martin, Reine Clémentine ©Stofleth

Galvanisée par la faconde de la mise en scène, la distribution s'en donne à cœur joie. À commencer par Yann Beuron qui offre un Barbe-Bleue de belle stature, mi-sérieux mi-comique, foisonnant d'attitudes emphatiques et de gestes plus vrais que nature. La voix de ténor se taille un beau succès dans les airs courts bien troussés, à la quinte aiguë pas si aisée à négocier. Ainsi du lamento de l'acte III "J'ai perdu ma femme, Ah bien subitement !" De ce polygame incorrigible, qui découvrant Boulotte, s'extasie "C'est un Rubens", voilà un portrait savoureux, mais sans charge, avec un indéniable charme vénéneux. La Boulotte d'Héloïse Mas a de l'abattage à revendre et joue avec un évident plaisir de ces phrases shuntées et délicieusement argotiques, comme "Non ! Alors, j'vais mourir ?". Le personnage, taillé sur mesure par Offenbach pour la fameuse Hortense Schneider, trouve ici interprète solide qui passe de l'enjôleuse à la femme fragile puis vengeresse. Précautionneuse au début, la voix s'enflamme rapidement. Leur duo, au second tableau du 2ème acte, restera un moment fort du spectacle. À leurs côtés, on citera le Popolani de Christophe Gay, doté de cette pointe de préciosité inhérente au genre bouffe et d'une voix de baryton basse bien sonore, la Fleurette de Jennifer Courcier, joli minois, pleine d'esprit et soprano fluide, le Bobèche de Christophe Mortagne, délirant à force de méchanceté exacerbée, la Reine Clémentine d'Aline Martin, risible figure de femme délaissée mais qui n'a pas encore dit son dernier mot. Le chef Michele Spotti, lauréat en 2016 du Concours international de chefs d'orchestre d'opéra de l'Opéra royal de Wallonie, leur apporte une belle fougue, traitant le rythme à la Offenbach et ses cascades endiablées comme celui de Rossini et ses crescendos fulminants. Qui n'évite pas toujours les décalages. Il faut dire que la partition peut y conduire, car la rythmique se veut elle-même décalée par rapport au texte dont certaines phrases sont escamotées et truffées d'onomatopées. Les entractes symphoniques et les ensembles sont ménagés avec un zest certain. 

Texte de Jean-Pierre Robert



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