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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Semiramide de Rossini

Rossini Semiramide

  • Goachino Rossini : Semiramide. Mélodrame tragique en deux actes. Livret de Gaetano Rossi d'après la tragédie de Voltaire "Sémiramis"
  • Albina Shagimuratova (Semiramide), Daniela Barcellona (Arsace), Mirco Palazzi (Assur), Barry Banks (Idreno), Gianluca Buratto (Oroe), Susana Gaspar (Azema), David Butt Philip (Mitrane), James Platt (L'ombra di Nino)
  • Opera Rara Chorus, Madeleine Venner, chef des chœurs
  • Orchestra of the Age of Enlightenment, dir. Sir Mark Elder
  • 4 CDs Opera Rara : ORC 57 (Distribution : Warner Music)
  • www.opera-rara.com
  • Durée des CDs : 66 min 48 s + 65 min 18 s + 63 min 16 s + 36 min 21 s
  • Note technique : etoile verteetoile verteetoile verteetoile verteetoile verte (5/5)

Les intégrales d'opéra sont si rares ces temps, répertoire baroque excepté, qu'on ne peut que se réjouir de cette nouvelle version de la Semiramide. Surtout que les interprétations du dernier opéra italien de Rossini ne sont pas légion, depuis celle mettant en vedette Joan Sutherland et Marilyn Horne dans les années 60. La présente parution, due au label Opera Rara, qui s'est fait une spécialité de la redécouverte de l'héritage opératique négligé du XIXème siècle, relève le gant avec bien des atouts. Elle livre une exécution qui s'installe comme une solide alternative moderne, grâce à une équipe de chanteurs talentueux et à une direction d'orchestre passionnante.

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Rossini compose Semiramide en 1823 pour le théâtre de La Fenice de Venise, qui avait dix ans plus tôt vu le triomphe de son précédent opera seria, Tancredi. Comme celui-ci, il est basé sur une tragédie de Voltaire, Sémiramis (1748). À la relative simplicité de cette première œuvre, celle-ci oppose une belle abondance : ses vastes proportions, pourtant contenues en deux actes, et son style très fleuri, voire fébrile pour ses détracteurs, la rattachent au Grand Opéra comme le connaîtra le XIXème. Grandiose, l'intrigue croque un moment d'histoire ancienne : la reine de Babylone Semiramide a naguère assassiné son époux le roi Nino, avec la complicité de son amant d'alors, le prince assyrien Assur, et a tenté de tuer son propre fils Ninias. Mais celui-ci a survécu sous le nom d'Arsace et est devenu un talentueux chef militaire. Il revient à Babylone car épris de la belle princesse Azéma, également courtisée par Assur. Mais aussi pour venger son père car il apporte avec lui une cassette contenant l'épée de celui-ci et des papiers compromettants pour Semiramide et l'usurpateur Assur. Séduite par la fougue de ce beau soldat, Semiramide décide de l'imposer comme nouveau roi et de le prendre pour époux. La rivalité amoureuse entre celui-ci et Assur conduit ce dernier à vouloir le supprimer. Mais Semiramide s'interposant, reçoit le coup fatal. D'autres intrigues secondaires pimentent cette histoire, somme toute classique, et comme l'on dit ''bien ficelée" dramatiquement. C'est en tout cas un formidable véhicule pour les voix et un haut lieu du bel canto. Où planent l'ombre de célèbres chanteuses et chanteurs du passé. Les trois personnages essentiels sont distribués à des types de voix caractéristiques : soprano, mezzo soprano et basse, avec un ténor et une autre basse dans les rôles secondaires. C'est aussi un passionnant morceau de musique où l'on retrouve la patte de Rossini, ses inventions rythmiques et thématiques qui se déploient non seulement en des airs et duos pour ces voix d'or, précédés de récitatifs singulièrement dramatiques, mais encore au sein d'ensembles fastueux et de morceaux orchestraux d'une grande richesse harmonique.  

Semiramide libretto
Frontispice de la partition

Le grand soin apporté à la présente exécution saute vite aux yeux. S'agissant du style vocal, de l'authenticité bel cantiste dans les trilles et autres ornementations, mais aussi dans la traduction dramatique par un réel souci apporté à la diction pour donner à la pièce tout son indéniable impact théâtral. On a réuni une équipe de jeunes chanteurs aussi investis dans l'interprétation qu'impressionnants dans la faconde vocale. La soprano Albina Shagimuratova est une Semiramide d'envergure, au large timbre dans le medium, à la quinte aigüe aisée avec colorature brillante. Sa vision traduit toute la complexité du personnage, l'autorité royale mais aussi la fragilité de la mère. Daniela Barcellona, dans le rôle travesti d'Arsace, montre pareil engagement et vaillance. Elle déploie un timbre de mezzo grave d'un bel éclat dans le haut du registre et d'un legato enviable. Les timbres des deux chanteuses se marient avec bonheur lors des sommets de l'opéra que sont les duos réunissant ces personnages hors normes, là où le mode bel cantiste atteint sa forme la plus achevée. La première rencontre du jeune soldat et de la reine, où chacun évoque des sentiments contradictoires, à l'acte I, la confrontation de la mère et du fils, au IIème, atteignent une magnifique intensité dans l'union magique des deux voix se caressant l'une l'autre : roucoulades d'abord calmes puis plus agitées, et s'envolant vers les cimes jusqu'à une péroraison prestissime dont Rossini a le secret. 

Autre révélation de cette exécution, la basse Mirco Palazzi, dans la partie d'Assur. Ce jeune chanteur italien qui a déjà à son actif plusieurs parties bel cantistes, offre un timbre séduisant, une belle ductilité, en particulier dans la scène de l'acte II où le personnage dialogue avec Semiramide qui lui rappelle leur commun forfait. La scène ultime où prêt à commettre le meurtre d'Arsace, Assur perd ses esprits, avant de se ressaisir, est un modèle de théâtre bien compris. Il est dans cette œuvre un autre rôle grave, confié à une basse profonde, celui d'Oroe, grand prêtre sentencieux. Le timbre de Gianluca Buratto se différencie bien de celui de son confrère. Barry Banks, qu'on n'attendait pas forcément dans un rôle de ténor di grazia, enfile avec aplomb le costume du roi indien Idreno, cet autre prétendant au cœur de la princesse Azema et au trône balylonien. Les trilles ont une belle assurance et la quinte aiguë avec ses roulades obligées et ses notes "explosées" est plus qu'irréprochable. Les chœurs d'Opera Rara sont d'une vaillance et d'une rectitude de diction qui n'ont rien à envier à un vrai chœur de maison d'Opéra.

Rossini
Rossini 

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L'autre incontestable atout de cette réalisation, on le doit à la direction d'orchestre. Sir Mark Elder, spécialiste de ce répertoire italien, veille au moindre détail comme à la cohésion d'ensemble, apportant à la partition une aura dont on ne soupçonnait pas l'ampleur : une italianitá à l'œuvre dès l'Ouverture fastueuse qui installe un climat à la fois héroïque et profondément poétique. La manière de bâtir un climat gracile ou dramatique, comme il en est de l'introduction au Ier air d'Arsace, l'art de monter en puissance les crescendos, là où il sait à l'occasion instiller une once d'accélération pour leur donner encore plus de zest, sont magistraux. Comme le sens de l'architecture des grands ensembles concertants. Ainsi du finale du Ier acte, un monde d'ambiances différentes, au fil de ses six séquences et de leurs multiples rebondissements, dont la survenance de la voix d'outre tombe du roi défunt, tel le fantôme du vieil Hamlet réclamant vengeance. Tout ici constitue le plus magnifique écrin pour le chant. Elder dispose avec l'Orchestra of the Age of Enlightenment d'un ensemble de musiciens rompus à l'exercice opératique de par leurs prestations régulières au Festival de Glyndebourne. Et des intéressantes couleurs que procure le jeu sur instruments anciens, en particulier des bois. Si leur effectif est nombreux, la flexibilité reste exemplaire et cela ne sonne jamais épais. C'est là un autre bonheur de cette exécution qui lui assure sa primauté, comparée aux autres versions discographiques de l'ouvrage, y compris celle dirigée par Richard Bonynge pour la paire Sutherland-Horne (Decca). 

Capté au Henry Wood Hall de Londres, l'enregistrement offre une image d'un grand naturel quant à l'étagement des plans instrumentaux, en particulier pour ce qui est de l'équilibre bois-cordes, et une agréable balance voix-orchestre. Le rendu sonore est clair même dans les passages les plus exposés, singulièrement des finales. Les voix sont présentes mais non trop mises en avant. La mise en espace est intelligente sans excès artificiel de distance au sein de l'espace stéréophonique gauche-droite. Les duos, par exemple, voient les deux voix placées côte à côte, comme enlacées, créant un indéniable impact, notamment lors des moments de réflexion des personnages dans leur quant à soi. Voilà un indéniable travail réussi (Jeremy Hayes) de prise de son studio.

Texte de Jean-Pierre Robert

Disponible sur Amazon en CD et MP3

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