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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Ravel à Gaveau

Ravel a Gaveau

  • Maurice Ravel : Valses nobles et sentimentales. Trio avec piano. Le Tombeau de Couperin. Tzigane
  • Denis Pascal, David Lively (piano), Svetlin Roussev (violon), Aurélien Pascal (violoncelle)
  • 1 CD La Musica : LMU 016 (Distribution : PIAS)
  • Durée du CD : 79 min 05 s
  • Note technique : etoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile grise (4/5) 

Belle idée d'avoir réuni quatre œuvres majeures de Ravel qui virent le jour à la Salle Gaveau, haut lieu de la création musicale à Paris au début du XXème siècle. Et de les avoir confiées à un quatuor d'interprètes familiers de ce répertoire, qui leur confèrent une aura particulière.

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Entre 1910 et 1937, Ravel aura connu les honneurs de la Salle Gaveau, singulièrement à l'occasion du Festival qu'il a cofondé durant la saison 1909-1910. Plusieurs de ses œuvres, et pas seulement de musique de chambre, y ont été créées : de Ma mère l'Oye pour piano à quatre mains (1910) au Menuet antique dans sa version orchestrée (1930), en passant par Les Valses nobles et sentimentales (1911), le Trio pour piano ou encore Tzigane. Ravel appréciait les pianos de la marque Gaveau, sur l'un desquels, mis à sa disposition par Étienne Gaveau en décembre 1905, il composa Miroirs. Le disque présente quatre pièces emblématiques dont l'une a été enregistrée live dans la salle même en 2015. 

Les Valses nobles et sentimentales, "miracle de mesure, de pudeur et de goût", qui opposent ou unissent "le rythme pur à l'expression des émois les plus délicats", selon Marguerite Long ("Au piano avec Maurice Ravel", Julliard) font se succéder huit séquences, autant d'instants magiques où, selon Cortot, "l'auditeur charmé peut s'y laisser pendre". Certes, le respect des indications précises et subtiles de Ravel (''lent, ''assez lent'', ''presque lent'',...), n'est pas fixé dans le marbre et laisse une légère marge de liberté à l'interprète, surtout depuis qu'on joue ces pièces dans des salles de vaste gabarit. Denis Pascal s'y conforme pourtant avec une bonne dose d'imagination. Son exécution oscille entre brillance et poétique sensible. Le Tombeau de Couperin, créé par Marguerite Long à Gaveau le 11 avril 1919, mis sur le métier dès 1914, retardé par la guerre, ne sera achevé qu'en 1917, et est dédié à la mémoire d'amis tombés au combat. Il y règne pourtant une atmosphère qui n'a rien de triste, enjouée plutôt. C'est "un hommage qui s'adresse moins au seul Couperin lui-même qu'à la musique française du XVIIIème siècle", dira l'auteur. La vision de David Lively respire une joie lumineuse. Le "Prélude" doit sa dette à Scarlatti, ce qu'il montre dans un jeu vif et très articulé, la partie médiane d'un zest irrésistible. La "Fugue", réputée difficile de par ses accents non uniformes, constitue ici une suite logique du morceau précédent. "Forlane" est avec Lively tout sauf ancré dans un cliché de sensiblerie, gai, "amusant", pour reprendre le qualificatif utilisé par Marguerite Long. La mécanique ravélienne est là, bien huilée avec son lot d'étranges sonorités, proches de la dissonance. Le "Rigaudon" que Paul Dukas voit "à la Chabrier", est sous les doigts de Lively extrêmement articulé, en pleine lumière. La séquence centrale fuit la vraie-fausse demi-teinte qui ne serait que séduction, et la reprise est si possible encore plus marquée, martelée, comme il le faut. Répit avec le "Menuet", mais là encore dépoussiéré de toute velléité de poésie vaporeuse, dont un Trio médian bien différentié. "Toccata" termine glorieusement une exécution de haute volée, qui croît en intensité grâce à un jeu paré de mirifiques couleurs.

Le Trio pour piano, violon & violoncelle, créé le 28 janvier 1915, en plein conflit mondial, fit l'admiration des pairs de Ravel, dont Fauré. Sa facture en quatre mouvements est d'une pureté formelle rare et d'une grande spontanéité. La présente exécution, dans la salle même où il vit le jour, prend un sens tout particulier. Le "Modéré", sur un rythme de zortzico basque, voit les trois instrumentistes chanter sans pathos et doucement, dont le violon de Roussev à la fine sonorité et le cello expressif d'Aurélien Pascal. Où l'on anticipe de manière fugace quelque thème des futures Chansons madécasses. Le "Pantoum" est assez vif, fantaisie étincelante dans sa rythmique pointée et presque sensuelle à la fois. Une vision serrée qui sait se mouvoir dans les différences de tempos et de généreux climats. Marquée ''très large", la "Passacaille", introduite par le piano expressif de Denis Pascal, déploie une cantilène joliment obsédante dans son mouvement imperturbable qui va crescendo puis decrescendo. Une des plus remarquables inspirations de Ravel. Le "Final" se joue d'entrelacs savants, de modulations et d'harmonies lumineuses. Tout ici touche au génie. Les trois interprètes le savent qui en donnent une exécution combien entraînante jusqu'à l'apothéose ultime et sa longue tenue. 

Tzigane qui vit sa première exécution à Gaveau en 1924, "morceau de virtuosité dans le goût d'une rhapsodie hongroise", autorise le violoniste à une grande liberté d'interprétation dans les traits rapides solos du début, qu'il peut achalander à sa guise, préconisait Ravel. Le morceau trouve en Svetlin Roussev interprète imaginatif, même si pas aussi diabolique que sa consœur Patricia Kopatchinskaja. L'accompagnement au luthéal dont le son est proche du cymbalum hongrois, renforce l'impression d'irréalité dans les premières notes de l'entrée de l'instrument en seconde partie. Ailleurs, le son se rapproche de ce qu'on entend dans une version exécutée sur un piano conventionnel.

La prise de son du trio, live à Gaveau, offre une image très immédiate, presque trop, mais l'équilibre entre les trois voix reste satisfaisant. L'effet de proximité est encore plus net pour ce qui est de Tzigane, enregistré au Musée des instruments de Bruxelles. S'agissant des deux suites pianistiques, captées en studio, le son est aéré quoique sans concession sur la dureté de l'instrument, mais d'une lumineuse présence, singulièrement pour le Tombeau.

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Texte de Jean-Pierre Robert

Disponible sur Amazon en CD et MP3



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