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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

Concert : Ravel, entre Orient et contes...

Ravel Orchestre Champs Elysees
L'Orchestre des Champs-Elysées et Louis Langrée ©DR 

  • Maurice Ravel : Shéhérazade, ouverture de féérie. Shéhérazade, trois poèmes pour voix et orchestre sur des vers de Tristan Klingsor. Ma mère l'Oye, cinq pièces enfantines. La Valse, poème chorégraphique pour orchestre
  • Anne Sofie von Otter, mezzo-soprano
  • Orchestre des Champs-Elysées, dir. Louis Langrée
  • Théâtre des Champs-Elysées, Paris, le 20 mai 2019 à 20 h

Enfin un programme de concert entièrement consacré à Ravel, par un orchestre rompu à ses sonorités subtiles et envoûtantes ! C'est ce que le Théâtre des Champs-Elysées offrait grâce à la direction intuitive de Louis Langrée, qui accueillait aussi pour la partie vocale la grande cantatrice suédoise Anne Sofie von Otter. Une soirée de vraie musique.

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Elle débutait par Shéhérazarde, ouverture de féérie. Avatar d'un ambitieux projet d'opéra chéri par le jeune Ravel, autour d'une des héroïnes des Contes des Mille et une Nuits, en vogue à l'époque dans la musique européenne, cette composition restera longtemps méconnue. Son auteur ne voulut pas la faire publier, et elle ne le sera que bien longtemps après, en 1975. Conçue à l'origine pour piano à quatre mains, elle devait être orchestrée à la demande de Fauré. Y est conté un Orient imaginaire, aux mélismes singuliers, modulant dès les premières pages où concertent le hautbois et la flûte. Cette dernière sera très sollicitée par la suite, tout comme le contrebasson, un instrument que Ravel réutilisera souvent. La rythmique est constamment changeante, débouchant sur des grands climax. Comme le relate Pierre Lalo, lors de la création en 1899, il s'agit "d'une série de petits fragments très courts reliés les uns aux autres par des liens extrêmement légers", lequel fustige "l'incohérence dans le plan d'ensemble", malgré "de piquants effets de timbres". De fait, le caractère agréable de cette musique ressort de son étonnant mariage de couleurs. Faire suivre cette ouverture du poème chanté Shéhérazade, à moins que l'idée ait été d'introduire ainsi le sujet, relève d'une sorte d'évidence. Avec ces ''trois poèmes pour voix et orchestre" (1903), Ravel offre une manière désormais affirmée et se libère de toute influence, en particulier debussyste, par une orchestration raffinée, mais toute de lumière. Une œuvre à propos de laquelle on a parlé de fauvisme tant les couleurs en sont franches, et d'une extrême concision à la fois dans l'accompagnement orchestral et dans la ligne de chant qui exploite toutes les possibilités du mot. Les poèmes de Tristan Klingsor, pseudo d'un certain Léon Leclère, poète, peintre et compositeur, consistent en trois vignettes là encore d'un Orient puisé aux Mille et une Nuits quoique s'en détachant quelque peu. On est au-delà du cliché, ne serait-ce que dans la manière naturelle de traiter le texte. Anne Sofie von Otter en visite les recoins les plus secrets par sa diction du français légendaire, dont on peut dire qu'elle charme les mots. Le premier poème "Asie", pris très lent par Langrée, comme la plupart des pièces au cours de ce concert, mais traduisant le sentiment d'espace si consubstantiel ici, exhale un parfum empreint d'une douce langueur, évocation exaltée du voyageur épris de sensations fortes ou étranges. "La flûte enchantée" renchérit de sa douce cantilène bercée par l'instrument de Pan, magistralement sous les doigts d'Alexis Kossenko. Quant à "L'indifférent", qui s'éloigne de l'oriental et voit l'allègement de l'orchestre, la chanteuse le vit voluptueux, comme une expérience intimiste et sensuelle, en particulier sur les derniers vers : "Et la hanche légèrement ployée/ Par ta démarche légèrement féminine et lasse". Ici comme dans les deux autres pièces, la fusion de la voix et de l'orchestre est à son meilleur.

Anne sofie Von Otter
Anne Sofie von Otter ©DR 

Les qualités plastiques de l'Orchestre des Champs-Elysées, jouant sur instruments anciens, se distinguent encore et peut-être plus dans Ma mère l'Oye. Ces "cinq pièces enfantines", créées à la Salle Gaveau en 1910, à partir des pièces pour piano à quatre mains (1808), sont un modèle d'orchestration raffinée. Ce qui fera dire à Reynaldo Hahn "tout cela est d'un goût suprême, tout cela est simplifié, synthétisé, stylisé, épuré, dépouillé... avec la plus artificielle absence d'artifice". L'œuvre trouve avec Langrée exécution d'une vibrante poésie, où tour à tour brillent les premiers pupitres, la flûte de Kossenko, le hautbois d'Emmanuel Laporte, le contrebasson d'Antoine Pecqueur, pour ne citer qu'eux. Le parti adopté d'un tempo retenu confère une intensité rare, souligne la transparence et magnifie les alliages de timbres. La "Pavane de la belle au bois dormant", toute frémissante, offre une jolie langueur. "Petit Poucet" est pure douceur dans le babil des bois. ''Laideronnette impératrice des pagodes" fait office de miniature chinoise avec ses gongs et traits de célesta, mais ne sonne nullement comme une pacotille, annonçant plutôt L'enfant et les sortilèges. "Les entretiens de la Belle et de la Bête" et ses combinaisons instrumentales inouïes, atteignent une sorte de sensualité traversée d'un sourire amusé. Et "Le jardin féérique" conclut en apothéose un parcours enchanté que Langrée et ses musiciens parent d'immenses diaprures. Il en sera de même, à une plus grande échelle, de La Valse (1920). Hommage revendiqué au roi de la valse viennoise, à Johann Strauss, sa virtuosité exacerbée annonce le pyrotechnique du Boléro, par ses "nuées tourbillonnantes qui laissent entrevoir par éclaircies des couples de valseurs", selon l'auteur. Il y a aussi du fantastique dans l'expression sonore, qui peut confiner à la laideur, ce que Langrée ne cherche pas à minimiser, frôlant le côté danse macabre dans les traits graves des vents, les lambeaux de thèmes énoncés et aussitôt contrecarrés, sans liant. Les effets chaloupés, qui transparaissent dans sa direction très dansante, la rythmique convulsive mais obstinée, en bourrasque, et tout le ressort démoniaque des dernières phrases confinant au délire, tout cela distingue une exécution de la plus haute tenue, extrêmement pensée, magistralement exécutée. En bis, ils reviennent à des cieux plus calmes, avec le "Menuet" tiré du Tombeau de Couperin, d'une grâce infinie.

Texte de Jean-Pierre Robert  

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