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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

Concert : Daniel Barenboim et le piano de Beethoven

Barenboim Zaragoza

  • Ludwig van Beethoven : Sonates N° 13 op. 27 / 1, ''Quasi una fantasia", N° 7 op. 10 / 3, N° 27 op. 90 & N° 21, op. 53 "Waldstein"
  • Daniel Barenboim, piano
  • Philharmonie de Paris, Grande salle Pierre Boulez, Jeudi 2 mai à 20 h 30

Daniel Barenboim et Beethoven, voilà une longue et belle histoire d'amour, avec les symphonies, l'opéra Fidelio et bien sûr les 32 sonates de piano. Ces dernières, il les joue depuis quelques soixante ans, avec la même affection. Il vient d'entamer un nouveau marathon depuis janvier 2019, à l'approche des 250 ans de la naissance du génie de Bonn. Ce récital qui en marque la 4ème série, donné aussi à Vienne et à la Pierre Boulez Saal de Berlin, réunissait quatre pièces, dont la fameuse sonate "Waldstein".

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Le piano est sans nul doute l'instrument privilégié de Beethoven parce qu'il lui permet, tout en respectant la forme et ses rigueurs, de jouer sur la liberté qu'il lui inspire, en en repoussant les limites. "Plus qu'aucun autre musicien, il demande à son piano de sous-entendre et de suggérer", remarquent Jean et Brigitte Massin (in "Recherche de Beethoven", Fayard). Daniel Barenboim, en fin musicien, le sait qui met l'emphase à la fois sur cette rigoureuse architecture et l'esprit de liberté dont il pare ses interprétations. Au point d'aller loin dans le contraste, en opposant des moments de densité épique quasi martelée à des plages de lyrisme presque évanescents, et pas seulement dans les premières sonates. Il débute son récital par la Sonate N° 13 en mi bémol majeur op. 27 n° 1 "Quasi una fantasia", composée en 1801, comme sa jumelle, la sonate op. 27/2. L'intitulé de ''fantasia'' ne doit pas induire en erreur, car ce n'est pas de fantaisie dont il s'agit ici, mais bien de geste proche de l'improvisation. Quoiqu’une improvisation au sens beethovénien, qui implique une composante d'imagination chimérique créatrice. Celle-ci s'impose dans l'achalandage des quatre mouvements et son entame Andante, que Barenboim joue doucement, ppp, comme sorti d'un rêve. La section allegro sera impétueuse. Il imprime à l'Allegretto molto e vivace un rythme marqué, le tempérant d'une allure dansante par endroits, dans ce vrai faux menuet et son trio mêlé. Le chant de l'Adagio con espressione est simple, mesuré, auquel s'enchaîne directement la course effrénée du finale Allegro vivace. Et tout se résout en un presto irrépressible. On aura mesuré combien Daniel Barenboim creuse les écarts dynamiques et use d'une palette de couleurs très large.

Les deux sonates qui suivent, moins connues, ne donnent pas moins une juste idée de cette manière contrastée. Ainsi de la Sonate N° 7 en ré majeur op. 10 n°3, à laquelle on associe souvent le nom de " Mélancolique", suite à l'interprétation donnée par Schindler, l'ami et premier biographe de Beethoven. Cette appellation s'explique essentiellement par le Largo e mesto qui donne à l'entière sonate sa couleur profonde, et sous les doigts du pianiste, atteint une intériorité abyssale. Il ne cherche pas à opposer ce mouvement au suivant, un Menuetto qu'on a souvent décrit comme presque banal après tel sommet, alors qu'il possède un vrai charme, une naturelle fraîcheur qui en fait une sorte de transition heureuse. Le contraste, on le trouve plutôt avec le Rondo final, assemblage de questions et réponses dans la grande tradition beethovénienne, lutte entre animation et répit, entre mélancolie et force pour aller de l'avant. Il n'en est que plus étonnant que la coda soit proche du chuchotement, dans une touche pianissimo. Conclusion sans conclusion ? La Sonate N° 17 en mi mineur op. 90, de 1814, est contemporaine du remaniement de l'opéra Fidelio, et tient beaucoup de sa composante autobiographique : les amours contrariés de Beethoven, ceux aussi de Leonore et de Florestan. Elle constitue un diptyque dont le premier volet, ''avec vivacité, et toujours avec sentiment et expression", exprime "un combat ente la tête et le cœur", selon l'indication donnée à Schindler par le musicien. Il est résolument volontariste dans la vision de Barenboim qui en ménage avec aplomb toute la dialectique. Le second, ''pas trop vite et très chantant", tranche par son côté modulant, qui le fait apparaître moins ''moderne'' que le précédent. 

Le concert s'achevait sur la grande Sonate N° 21 en do majeur op. 53 "Waldstein". Un monument, certes, mais peut-être mal apprécié, car comme le remarque Romain Rolland, "la surabondance pianistique, qui l'enveloppe d'un brillant réseau de virtuosité, a souvent empêché de saisir son intimité ". Contemporaine des grandes pages épiques que sont la Troisième symphonie ''Héroïque", ou les premières esquisses de Fidelio, voire du Quatrième concerto pour piano, voilà une œuvre puissante, que sa tonalité d'ut majeur embellit de vaillance, d'une force presque musculaire, en même temps distillant la joie et des épanchements autrement plus discrets. Triomphe aussi de l'instrument, sollicité dans toute sa mécanique, exigeant puissance de réponse et élasticité. Et les pianos modernes, comme celui joué par Barenboim, le montrent avec encore plus d'évidence. Son interprétation déborde d'élan et de vigueur sonore dès le premier mouvement, d'une ampleur presque orchestrale. Cet Allegro con brio, après un début ondoyant et retenu ici, explose littéralement, avec le sentiment d'une chevauchée forçant le rythme, au risque de donner raison à l'auteur de Jean-Christophe. Mais il ne refuse pas la part d'humanité qu'il renferme dans ses thèmes lumineux. Le résultat d'une telle énergie indomptable, et de la manière dont le pianiste libère le flot des arpèges, est que les derniers accords déchaînent spontanément les applaudissements de l'auditoire. L'étonnante ''Introduzione'' médiane, sorte de pont jeté entre deux vastes ensembles, apporte un bénéfique moment d'apaisement, presque une confidence, et son lot de mystère, dialectique de nouveau entre souffrance et joie. À laquelle s'enchaîne le Rondo final par ses premières mesures presque sereines et lumineuses. Le mouvement bascule vite dans une tempête où le pianiste a choisi de précipiter le débit, voire de bouler tel trait ou de déplacer certains accents. Est-ce l'influence du chef d'orchestre sur le pianiste ? Et le maniement des différences de dynamiques qu'on lui connaît à l'opéra ? La coda Prestissimo est prise dans un accès de volubilité quasi frénétique, avec ses rythmes déhanchés, ses bribes de thèmes, ses trilles d'une vitesse incroyable. 

Au terme de ce récital, donné sur les talons de ses toutes récentes prestations à Berlin comme chef pour ses Festtage, et avant deux soirées en cette même ville, l'ovation est grande. Le pianiste salue longuement un public qui visiblement l'aime. 

Texte de Jean-Pierre Robert    

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