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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

Concert : Chopin, Debussy, Pollini...

Pollini

  • Frédéric Chopin : Nocturnes op. 62, nos 1 & 2. Polonaise op. 44. Mazurka op. 59 n° 3. Berceuse en ré bémol majeur op. 37. Scherzo N°3 op. 39
  • Claude Debussy : Préludes (Livre I)
  • Maurizio Pollini, piano
  • Philharmonie de Paris, Grande salle Pierre Boulez, le 26 février 2019, à 20h30 

Pour son traditionnel récital parisien, Maurizio Pollini revenait à son cher Chopin, avec des œuvres tardives, et jouait Debussy, un compositeur qu'il affectionne particulièrement. Une moisson d'instants de bonheur sous les doigts d'un magicien du clavier dont les ans ne semblent pas atteindre la vigueur non plus que le statut iconique. Les génies n'ont pas d'âge. 

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Chopin a toujours été au cœur des musiques jouées par Pollini. Depuis peu, il revient à ce maître du piano en s'intéressant de plus près aux œuvres de la dernière période créatrice. Le programme du concert en est une parfaite illustration. D'abord avec les deux Nocturnes de l'opus 62, composés en 1845/1846. Pollini insiste sur leur étonnante modernité, fruit de la complexité harmonique et contrapuntique des dernières années. Préludant par un arpège, dans le premier cas, et bardé de trilles, pour un discours tout sauf chopinesque de premier degré. Raffinement des arabesques dans le second, quelque peu inquiet dans sa cantilène. La Polonaise op. 44 déploie sous les doigts de Pollini sa grande fresque, épique presque. On est plus proche d'une fantaisie, là encore très évoluée dans le langage, bien plus que dans les précédentes pièces du genre. Un des épisodes centraux laisse entrevoir un rythme de mazurka. Le souffle, Pollini le dispense à l'envi. La Mazurka op. 59 N° 3, la 38éme d'une série de 41, n'est que lointain souvenir de cette danse traditionnelle d'Europe centrale, car tout ici se détache d'un tel rythme. À moins que ce ne soit une sorte d'absolu, de transfiguration. Moderne en tout cas, au point qu'on frôle l'elliptique. Rien de tel avec la Berceuse op. 57, un des morceaux les plus fascinants de la poétique de Chopin. Écrite en 1844-1845, voilà pur chef d'œuvre de tendresse, de son apparente simplicité, sa clarté de langage : une suite de variations, en fait, savamment agencées que tresse une dentelle à la main droite tandis que la gauche égrène une note grave lancinante. Procédé de ressassement que Ravel utilisera dans son fameux Boléro. Puis éclate à la dernière mesure, comme chez le français, un accord presque dissonant : effet de surprise garanti, modification subite d'éclairage. Pollini est ici prodigieux d'empathie avec le texte poétique, et on admire la douceur infinie de ces tierces et quintes aiguës et un immuable bourdon grave. Un joyau. Il achève son parcours avec le Scherzo N° 3, opus 39, de 1840. Orageux, presque tumultueux, jeux d'arpèges inouïs, coda grandiose. « Ce sont des jeux, cependant, mais terrifiants ; des danses, mais enfiévrées, hallucinantes », dira Cortot. Quelle profondeur chez Pollini, même si la vélocité n'est plus aussi infaillible. Le jeu est désormais plus central, plus intériorisé, comme dans toutes ces pièces de Chopin.

Pollini piano

Il joue ensuite le Livre I des Préludes de Debussy. Douze pièces « d'une alchimie tout à fait personnelle », confiera le musicien. Une sorte de poème à 12 entrées, qui va bien au-delà des titres qui les accompagnent. Et donc du programme qu'ils sont censés suggérer. On a d'ailleurs pensé que lesdites pièces « sont moins des préludes que des impressions toujours visuelles enfermées dans un cadre quelconque » (lettre de Roger-Ducasse à Nadia Boulanger). Ou que « les titres des Préludes sont surtout des prétextes et des alibis ; fixant en gros les idées, Debussy brouille aussi les pistes...» (Vladimir Jankélévitch). Debussy les a-t-il conçus comme un ensemble cohérent ? La question reste ouverte. Même si l'histoire de l'interprétation les a toujours considérés comme devant être joués d'un seul tenant. Comme il en est du Livre II au demeurant. Celle de Maurizio Pollini est de l'eau la plus pure. Car c'est la musique qui prime. Plus que le climat particulier de chaque pièce, il en dissèque l'esprit profondément suggestif. Et leur succession ne cesse d'étonner, tant elles sont différentes les unes des autres : sorte de sérénade à l'ancienne de ''Danseuses de Delphes'', gamme par tons envoûtante et mystérieuse de ''Voiles'', transparence de ''Vent dans la plaine'' et sa façon de mouvement perpétuel. Rythme de tarentelle de ''Les Collines d'Anacapri'' et ses pianissimos troublants. Un des plus beaux préludes, ''Des pas sur la neige'', Pollini en fait un instant de poésie inouïe, par une rigoureuse rythmique immuable, une lente progression qui envoûte, entrecoupée de silences combien évocateurs, « un fond de paysage triste et glacé », notait Debussy. ''Ce qu'a vu le vent d'ouest '' est justement tumultueux sur tout le spectre du piano, mais aussi immatériel, le « presque rien » qu'y voit Jankélévitch. La ''Sérénade interrompue'', aux relents hispanisants, il en dessine les traits presque humoristiques. Dans l'imitation d'une musique qui fait penser à quelque autre maître espagnol. ''La Cathédrale engloutie'', morceau à l'esprit médiéval, bercé d'une « brume doucement sonore », Pollini en livre le halo, les contours estompés. ''Minstrels'' conclut une exécution proprement magique où le grand Pollini prouve qu'il est toujours lui-même et tutoie les sommets à ce stade de sa longue et belle carrière. 

Sous les ovations d'une salle comble, il donne en bis Debussy et Chopin : ''Feux d'artifice'', du Livre II des Préludes, d'une beauté plastique à faire silence, et la Ballade N° 1, op. 23, simplement magistrale, qui emporte la salle debout.

Texte de Jean-Pierre Robert     

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