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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Sept Quatuors à cordes de Philip Glass

philip glass CD String Quartet by Tana

  • Philip Glass : Quatuor à cordes N°1 (1966). Quatuor N°2 ''Company'' (1983). Quatuor N°3 ''Mishima'' (1985). Quatuor N°4 ''Buczack'' (1989). Quatuor N° 5 (1991). Quatuor N° 6 (2013). Quatuor N°7 (2014)
  • Happy birthday Mr Glass
  • Quatuor Tana
  • 2 CDs Megadisc classics : MDC7880
  • Durée des CDs : 65 min 07 s + 59 min 52 s
  • Note technique : etoile verteetoile verteetoile verteetoile verteetoile verte (5/5)
    www.megadisc-classics.com

Au sein d'une production pléthorique (huit opéras, douze symphonies, à ce jour !), la musique de chambre de Philip Glass occupe une place importante. Le présent album présente ses sept premiers quatuors. Pour une commémoration, puisque l'enregistrement a été achevé en 2017 à l'occasion de son 80ème anniversaire. Ils sont interprétés par une formation rompue à l'idiome moderne. Une immersion dans la musique minimaliste, mais pas seulement car une nette évolution stylistique traverse ce singulier parcours.

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On considère souvent Philip Glass (*1937) comme un des représentants du minimalisme, aux côtés et à la suite de Steve Reich. Ce qui est en partie exact. Si le style d'écriture dit minimaliste est au cœur de ses compositions jusque dans les années 1980, il s'en détache ensuite pour élargir sa manière et s'ouvrir à un classicisme désormais revendiqué. Ses sept premiers quatuors (un 8ème a déjà vu le jour, en 2018), sont un bon exemple de cette évolution stylistique. L'art de la petite forme les caractérise en tout cas, ce qui est nul doute le commun dénominateur des sept pièces. Et ce sous une apparence qui dépasse le cliché communément admis de musique exclusivement répétitive, alors qu'elle est de facture très variée. Autres caractéristiques : le phénomène d'amplification sonore, s'appliquant à une rythmique très travaillée, de façon souvent imperceptible dans les dernières pièces. Le sérialisme, mais traité de manière très personnelle. Et toujours la volonté de s'inscrire dans la tonalité. « Musique manifeste, chacune, d'une évidente mélancolie » enfin, selon les Tana, où l'on ne sait comment cela commence, souvent in media res, et où cela finit, les arrêts en milieu de phrase pouvant créer la surprise et suspendre le temps. 

Le Quatuor N°1, de 1966, est fait de deux parties séparées par une ''Temporal Pause'' dont il est précisé qu'elle doit durer deux minutes d'horloge. Un silence éloquent au milieu d'une pièce plutôt brève puisque d'un quart d'heure. Qui présente une succession de courtes séquences, elles-mêmes séparées de pauses, et dont la concentration d'écriture renvoie à Webern et ses Bagatelles ou aux Trois Pièces pour quatuor à cordes de Stravinski. Le 2ème Quatuor (1983), titré ''Company'', est constitué de quatre mouvements qui là encore utilisent la formule répétitive et la polyrythmie. Le 2ème mouvement est plus rapide que le premier et très allant dans une sorte de spirale. Le 3ème, plus calme, est rêveur. Comme le dernier qui poursuit le même flux et introduit un semblant de mélodie. Le Quatuor N°3 '' Mishima'', de 1985, écrit pour le film éponyme, offre un matériau plus complexe que celui des deux œuvres précédentes. Il est traversé de forts contrastes et s'ouvre à des couleurs nouvelles. Ses six séquences narrent quelques moments de la dernière journée du personnage titre avant son suicide par hara-kiri, une sorte de réminiscence de sa vie. La première, d'une extrême fluidité, laisse place à une élégie rêveuse. La 5ème fait la part belle à une écriture saccadée. La dernière, plus développée, semble vouloir instaurer un chant, hommage d'une grande douceur.

Le Quatuor N° 4 '' Buczack'' (1989), en trois mouvements, signe l'évolution citée. Un langage plus fleuri s'incruste dans la manière habituelle du développement continu, et des essais de mélodisme tentent de se frayer un chemin dans un univers dont le système répétitif forme encore le soubassement. Le discours devient très diversifié, comme le mode de jeu, dont des pizzicatos aux cordes graves. Le Mouvement 2 introduit un climat lyrique. La mélodie prime chez les deux violons, la formule répétitive assurant le contrepoint aux deux autres cordes, dans un tempo andante et ppp. Puis cela s'inverse : le cello et l'alto tiennent le discours, les violons I & II assurant le contrepoint. Enfin violon I et cello unissent leurs deux voix. Le dernier mouvement réalise la synthèse des deux précédents, la texture se corsant et la dynamique s'amplifiant. On perçoit des réminiscences d'auteurs classiques. Le Quatuor N° 5, de 1991, est composé de 5 mouvements, pour ce qui est le plus développé des sept. Comme dans le quatrième, ce quatuor manifeste la volonté de Phil Glass de s'inscrire dans l'histoire de l'évolution du quatuor à cordes, en particulier de la Première École de Vienne (Mozart, Beethoven, Schubert). Au Mouvement 1, il inaugure une nouvelle formule : un soliste, le violon I en l'occurrence, est accompagné par le trio de cordes restantes. Le 3ème mouvement est presque dansant dans les traits des cordes aiguës, versus cordes graves. Le langage se complexifie dans une incessante progression sonore. On découvre au détour d'une phrase un beau trait lyrique du violon I. Le 5ème tourbillonne dans un tempo soutenu, sorte de scherzo ? Des passages en trio interrompant la course pour une phase de réflexion. 

quatuor tana
Quatuor Tana ©DR

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Les quatuors 6 et 7 forment un couple comme les 4 et 5, mais développant une approche stylistique très différente. Le Quatuor N° 6 ( 2013) ouvre encore un nouveau langage. Il s'agit d'une œuvre créée pour la scène. Et on y décèle l'influence des compositeurs américains de la jeune génération. Le langage se fait encore plus dense car chaque instrument est traité de manière indépendante. Le Mouvement 2 est lyrique quoique traversé d'accords martelés et de beaux aplats conduisant à des climats passionnés. Le Mouvement 3, dansant, évoque un exercice savant de composition où le procédé de la répétition est comme dépassé, en un discours unifié. On est loin désormais du minimalisme pur et dur des débuts. Cela est extrêmement vivant et d'une verve communicative. Le Quatuor N° 7, de 2014, est d'un seul tenant pour quelques 17 minutes. C'est de nouveau une pièce faisant la part belle au lyrisme, organisée selon les canons glassiens mais métamorphosés comme il en est dans le sixième opus. Les quatre voix ''sonnent'' comme dans un quatuor ''habituel''. La petite forme est transcendée. Les différences dynamiques sont larges et la rythmique moins serrée pour un vrai sens de la couleur. L'originalité de la dernière manière de Phil Glass est là, presque paradoxale si on compare aux premiers quatuors : un post-minimalisme désormais. Mais est-ce la ''dernière manière'' du musicien ? Point d'aboutissement ou étape ?

Une telle assimilation au style particulier de Phil Glass et à ses divers langages successifs est remarquable de la part des Tana. Leur fréquentation assidue du répertoire contemporain, en particulier de celui de Jacques Lenot, constitue un indéniable atout. Leurs propres spécificités font le reste : extrême flexibilité du jeu, flair pour appréhender une grammaire si originale, ou l'art du silence côtoie celui de la vibration, que seule permet une vraie fusion des voix. 

Utilisant la technologie NAGRA, l'enregistrement offre une image d'une grande proximité, avec un équilibre parfait des quatre voix. Un effet de présence sonore comme peut en produire une bonne prise de son en studio, avec très peu d'écho. Et une certaine sécheresse qui ne messied pas en l'occurrence. 

Texte de Jean-Pierre Robert

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