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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

Opéra : Annick Massis est Lucrèce Borgia au Capitole

Lucrece Borgia Capitole
Annick Massis (Lucrezia) - ©Patrice Nin

  • Gaetano Donizetti : Lucrezia Borgia. Opéra séria en deux actes et un prologue
  • Livret : Felice Romani, d'après la pièce éponyme de Victor Hugo
  • Annick Massis (Lucrezia Borgia), Mert Süngü (Gennaro), Andreas Bauer Kanabas (Alfondo d'Este, duc de Ferrare), Éléonore Pancrazi (Maffio Orsini), Thomas Bettinger (Rustighello), Julien Véronèse (Gubetta), Galeano Salas (Jeppo Liverotto), Jérémie Pardailhé (Oloferno Vitellozzo), Jérémie Brocard (Don Apostolo Gazella), Rupert Grössinger (Ascanio Petrucci), Laurent Labarbe (Astolfo), Alexandre Durand (L'Échanson./L'Huissier), Jean-Marc Antoine (Une Voix)
  • Chœur du Capitole, dir. Alfonso Caiani
  • Orchestre national du Capitole, dir. Giacomo Sagripanti
  • Mise en scène : Emilio Sagi
  • Emilio Lopez, collaborateur artistique
  • Llorenç Corbella : décors
  • Pepa Ojanguren : costumes
  • Eduardo Bravo : lumières
  • Théâtre du Capitole, Toulouse, le 29 janvier à 20 h
  • Prochaines représentations : le 1er février à 20 h & le 3/2 à 15 h
    www.theatreducapitole.fr

Toulouse est la patrie du chant et le Capitole son théâtre. Pour sa première saison, Christophe Ghristi, son directeur artistique, se devait de programmer un opéra de bel canto. Et de faire appel à une chanteuse française spécialiste de ces rôles délicats, mais si porteurs : Annick Massis. N'a-t-elle pas débuté ici naguère ? Et quelle meilleure œuvre pour ce faire que Lucrèce Borgia où Donizetti rejoint Hugo.

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Parmi les quelques 70 opéras de Donizetti, Lucrezia Borgia tient une place particulière. C'est un de ses premiers grands succès publics. Il écrit cet opéra, en 1833, dans la foulée de la création de la pièce de Victor Hugo sur la scène parisienne. Il sera créé à Milan peu de mois après. Ce qui n'ira pas sans mal, car le poète français s'offusquera de voir son texte mis en musique, via les bons soins du librettiste Felice Romani, un spécialiste pourtant. Hugo gagnera son procès et l'opéra devra, au début de sa carrière du moins, prendre un autre titre, avant que l'original ne s'impose définitivement. C'est que la pièce, pour devenir opéra, aura dû passer sous les fourches caudines des canons du genre. Encore que Donizetti et son comparse auront sérieusement amodié des règles prétendument intangibles et partant, auront fait évoluer l'opéra de bel canto vers le drame lyrique romantique, le détachant du strict carcan hérité du baroque. C'est ce qui fait toute l'originalité de Lucrezia Borgia. L'action suit celle imaginée par Hugo : une mère coupable d'avoir empoisonné son fils qui ignore sa réelle identité, et tenant tête à un époux pétri de jalousie vis-à-vis de celui qu'il croit être l'amant de sa femme. Un drame aux pays de quelques Atrides du setteciento italien, qui ne laisse personne indemne, puisque le fils, Gennaro, périra après avoir refusé de boire l'antidote que lui tend désespérément Lucrèce, que cette mère se suicidera sur son cadavre, et que l'époux, Alfonso d'Este, comprendra trop tard sa méprise. On a brocardé la façon dont la musique de Donizetti habille cette terrible histoire, sans pour autant dénier ses vertus. Franz Liszt aura ce mot aigre-doux : « Il a fait de la musique agréable, facile, mélodique, qu'on écoute sans effort et retient sans peine ». Il est vrai qu'elle renferme de fort belles pages, ses airs et duos en particulier, qui balaient plus d'une faiblesse.

 Lucrece Borgia Capitole 2 
Annick Massis & Andreas Bauer Kanabas (Alfonso d'Este) - ©Patrice Nin

La mise en scène d'Emilio Sagi est narrative, avec costumes rappelant l'époque du XVIème siècle à laquelle se situe l'action, en particulier à Venise. Elle ne cherche pas à transposer, encore moins à réécrire une trame somme toute très lisible dans ses paramètres premiers : amour, jalousie, mort. Une dramaturgie simple, qui évite toute velléité de grandiloquence, servie par une direction d'acteurs, certes au premier degré souvent, mais d'une belle efficacité dans les confrontations : entre Lucrèce et ce jeune homme dont elle ne comprend pas d'emblée qu'il est son fils illégitime, entre elle et son redoutable époux toujours prêt à en découdre côté jalousie, ou entre Gennaro et son ami Orsini. Ces duos qui sont l'épine dorsale de l'intrigue sont parfaitement ménagés. Les ensembles le sont tout autant, tel celui réunissant les trois protagonistes, au cœur du Ier acte. Dans un décor simple fait de parois évolutives, pour signifier une place, une rue, un intérieur de palais, et évoquer discrètement les splendeurs de Venise ou de Ferrare, les personnages se meuvent avec naturel. Le prologue offre une sorte de carnaval endiablé où tout un chacun est grimé de noir. Cette couleur, Sagi la privilégiera tout au long du spectacle, n'étaient un réchauffement bleuté au début de l'acte I, et un camaïeu doré au IIème acte. Reste que la scène du banquet, pivot de cet acte, est curieusement ''distanciée'', les chœurs placés par-delà des cloisons transparentes ne laissant percevoir d'abord que des ombres, avant qu'ils n'envahissent les lieux. De même une évocation de la cité de Ferrare par une maquette sur laquelle veille Gennaro, laisse perplexe.

Lucrece Borgia Capitole 3
Éléonore Pancrazi (Orsini) & Mert Süngü (Gennaro) - ©Patrice Nin

Tout cela n'est pas gênant. Car l'essentiel et bien sûr le chant. À ce compte, Annick Massis se taille un beau succès. Au premier chef par une expertise du chant orné qui a peu d'exemples actuellement chez les interprètes français. « Un parcours vocal impressionnant », confie-t-elle. En effet, rarement ligne vocale aura-t-elle été si épurée grâce à un sens de l'extrême legato - ce qu'elle appelle les ''legatissimi'' - où celui-ci se fait presque suave à force de lié combiné au pianissimo dans moult ornements, vocalises ouvragées. Le cantabile demeure pareillement toujours intense. Ces nuances qui sont l'essence du chant bel cantiste. Bien sûr, les aigus sont glorieux, couronnant telle phrase éclatante dans la cabalette. Le pathos expressif est vrai dans les récitatifs ou les airs émaillés de ruptures dramatiques pour exprimer la souffrance, le regret, les épanchements, les vaines attitudes suppliantes. Certes, on a affaire ici plus à la femme meurtrie du malheur qui s'abat sur son fils qu'à la terrible empoisonneuse mise en scène par Hugo, et déjà bien édulcorée par Donizetti. Belle réussite pour une prise de rôle ! À ses côtés, le ténor turc Mert Süngü campe un Gennaro ardent, au timbre clair et à la quinte aiguë généreuse, presque trop claironnante au début. Le style s'approfondit au fil de l'action pour atteindre une belle stamina et un poids dramatique certain lors de l'ultime duo avec Lucrezia, qui lui tire des accents d'une vraie émotion. Pour incarner Alfonso d'Este, l'époux intransigeant, Andreas Bauer Kanabas propose une voix de basse bien sonore, à laquelle il manque sans doute le ''grain'' italien ou slave, et un portrait un peu unidimensionnel. Éléonore Pancrazi n'est pas toujours à l'aise avec les roucoulades de la partie d'Orsini. Des nombreux autres rôles, les basses se distinguent plus que les ténors. Le Chœur du Capitole fait du bon travail, et on remarque chez les messieurs de beaux groupements, comme au Ier acte, lors de la scène d'affront à la famille Borgia, dont le nom est amputé de sa lettre initiale pour laisser apparaître le mot ORGIA. Le jeune chef Giacomo Sagripanti s'attache plus à la cohésion d'ensemble qu'au dernier raffinement, et l'accompagnement des chanteurs est un sans faute.

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Texte de Jean-Pierre Robert  

 



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