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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Kaufmann & Damrau interprètent l'Italienisches Liederbuch de Hugo Wolf

Wolf Italienisches Liederbuch

  • Hugo Wolf : Italienisches Liederbuch, d'après des poèmes italiens anonymes et des chants populaires traduits en allemand par Paul Heyse
  • Diana Damrau (soprano), Jonas Kaufmann (ténor), Helmut Deutsch (piano)
  • 1 CD Erato : 0190295658663 (Distribution : Warner Classic)
  • Durée du CD : 76 min 34 s
  • Note technique : etoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleue (5/5)

Hugo Wolf est un immense compositeur de Lieder. En témoigne le Livre Italien de Lieder, son dernier grand cycle. La présente interprétation, captée live lors d'un concert de la tournée européenne qu'ils ont effectuée en 2018, dont étape à la Philharmonie de Paris, on la doit à deux stars, Diana Damrau et Jonas Kaufmann. Sur les traces de leurs éminents prédécesseurs, Elisabeth Schwarzkopf et Dietrich Fischer-Dieskau (sous label EMI), ils livrent une interprétation tout simplement magistrale. Un album à chérir par les amateurs, et les autres bien sûr.

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La composition de l'Italienisches Liederbuch s'étend sur plusieurs années, de 1890 à 1896. Puisée à un recueil de textes italiens traduits en allemand par un spécialiste, Paul Heyse, la thématique est celle des diverses facettes du sentiment amoureux : le désir, la déclaration d'amour, le dépit, la plainte, les piques ironiques aussi, ou encore des attitudes ressortissant aux soucis domestiques. Au fil de courtes mélodies qui, plus que des scénettes, sont des moments où s'épanchent les émotions, les confidences souvent. Une véritable carte du Tendre en musique ! L'économie de moyens est le maître mot : brièveté des morceaux dont le plus long frise les trois minutes et demi. Rarement a-t-on rencontré matériau si concentré. Le chant est plus proche de la récitation en musique, une manière de récitatif, que de la mélodie proprement dite. Car priorité est donnée au texte. La voix ne suit pas la ligne de piano, comme chez Schubert par exemple. Cette partie de piano n'en est pas moins importante. Elle est même le pivot de l'œuvre, assurant l'essentiel du matériau thématique. Le ton est celui de la tendresse ou de la colère rentrée, voire de la résignation. Les épithètes qui viennent à l'esprit : la retenue, l'extase parfois, mais aussi le théâtral, le mordant, même si les grands climax sont rares. Tout réside ici dans la dialectique entre continuité et ruptures. 

Les 46 mélodies sont distribuées à deux voix, d'homme et de femme : si 17 sont destinées au ténor ou au baryton, 19 le sont à la soprano, et 10 autres indistinctement à l'une ou l'autre. L'ordre d'exécution n'est pas gravé dans le marbre et Hugo Wolf n'avait d'ailleurs pas définitivement fixé les choses. Les interprètes ont le choix de l'organiser. Damrau et Kaufmann proposent leur propre combinaison. Elle est intéressante en ce qu'elle tente d'installer une sorte de dialogue. Même si, comme le remarque Dietrich Fischer-Dieskau, à propos de ce cycle, dans son ouvrage consacré au compositeur (Tallandier, 2003), « Toujours davantage, Wolf rapproche son Lied du drame et, en fin de compte, fait du recueil un vertigineux monologue ». Pourquoi pas un soliloque à deux voix ! L'alternance se fait naturellement entre les deux interprètes.

Des pièces chantées par Diana Damrau, on est séduit par la beauté intrinsèque du soprano lyrique au large ambitus. Comme par l'engagement de l'interprète : la vraie diseuse, comme sa prédécesseure Schwarzkopf. Les pièces de genre qui manient le piquant ou l'ironique, là où la grande Elisabeth pouvait donner l'impression de ''minauder'', sont dramatisées avec naturel. Ainsi le Lied N° 25 ''Mein Liester hat zu Tische mich geladen'' (Mon amoureux m'a invitée à dîner) traduit le désappointement de la belle qui n'a rien à attendre de la générosité du bonhomme et finit par en rire avec dédain. Le Lied N° 12 ''Nein, junger Herr'' (Non, cher monsieur) exprime « le mécontentement de la jeune fille qui ne veut plus être seulement 'la fiancée des jours ordinaires' » (ibid.) Le dernier Lied, ''Ich hab' in Penna'' (J'ai à Penna), un des chevaux de bataille de Schwarzkopf, est donné avec humour et une belle bravoure vocale. Pour ce qui est « un caquetage, plein de tempérament méridional » (ibid.). 

La voix de ténor convient idéalement pour lui donner la réplique. Le timbre mordoré de Jonas Kaufmann fait mouche, dont le ténor s'assombrit, là où Fischer-Dieskau allégeait celui de son baryton déjà naturellement clair. Les passages tendus dans le haut du registre bénéficient grandement de cette tessiture de ténor. La déclamation est d'un parfait naturel et le texte toujours d'une grande lisibilité, quel que soit le ton abordé. Comme celui de la douceur, dans le Lied N° 31 ''Wie soll ich fröhlich sein'' (Comment serais-je heureux ), d'une ligne vocale délicate. Ou le N° 33 ''Sterb' ich, so hüllt un Blümen meine Glieder'' (Si je meurs, qu'on m'entoure de fleurs), délivré dans le seul registre ppp, évoquant un sentiment de béatitude. On succombe au charme du beau charmeur pour le N° 8 ''Nun lass uns Frieden schliessen'' (Faisons maintenant la paix), « sur un doux mouvement de berceuse qu'il ne faut pas précipiter » ( ibid.). On découvre un Kaufmann au talent de conteur imitateur, dans le N° 14 ''Geselle, woll'n mir uns in Kutten hüllen'' (Ami, prendrons-nous la bure), pour une caricature allant jusqu'au cynisme, remarque encore Dietrich Fischer-Dieskau. Les pianissimos filés côtoient les aigus brillants, les pppp envoûtants les fières interjections.

En un mot, une paire fort bien achalandée qui se place haut la main dans l'histoire interprétative d'une œuvre qui comptait déjà des tandems légendaires. Et qui avec d'autres atouts, livre une exécution de référence actuelle.

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Mais il faut sans doute parler d'un trio. Car, on l'a vu, la contribution du pianiste est essentielle. Helmut Deutsch, grand connaisseur du Lied allemand, règne ici en maître, épousant les innombrables facettes de l'âme poétique du dernier Wolf. C'est lui qui assure l'épine dorsale de cette interprétation. On ne sait qu'admirer : limpidité du geste, agencement d'une atmosphère alternant délicatesse et trait virtuose. Un piano dont l'écriture qui, non liée à la voix, n'est pas avare de ruptures dans ses figures rythmiques particulières, ses accords parfois dissonants, qui peuvent revêtir un côté presque théâtral. Et peut-être surtout simplicité apparente rendue par un jeu souverainement maîtrisé.

Ils sont magistralement captés en concert, live à la Philharmonie d'Essen. L'acoustique très ''ouverte'' autorise une excellente définition des deux voix et du piano. Celui-ci occupe le centre de l'image et le placement des deux chanteurs suit une trajectoire légèrement théâtralisée, du centre droit à la droite plus extrême, Jonas Kaufmann dans ce cas souvent. On comprend, aux réactions amusées du public, l'intérêt d'avoir enregistré dans une salle en Allemagne, ce qu'un autre lieu non germanique n'aurait pu permettre. Un must ! 

Texte de Jean-Pierre Robert

CD disponible sur Amazon

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