Skip to main content
PUBLICITÉ
  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : La Sixième Symphonie de Mahler par Simon Rattle pour un départ... mais aussi une arrivée !

Mahler Symphonie6 disque Rattle

  • Gustav Mahler : Symphonie N° 6 en la mineur
  • Berliner Philharmoniker, dir. Sir Simon Rattle (concerts live du 20 juin 2918 et du 14 novembre 1987)
  • 2 CD + 2 DVD : Berliner Philharmoniker recordings : BPHR180231 (en un coffret 24,5 x 15,5 cm)
  • Durée des CD : 82 min 15 s (2018) + 79 min 31 s (1987)
  • Note technique : etoile verteetoile verteetoile verteetoile verteetoile verte (5/5)
    www.berliner-philharmoniker-recordings.com

Ces CD sont le reflet fidèle de deux concerts qu'on peut qualifier d''historiques'' : celui qui marquait les adieux de Sir Simon Rattle en tant que directeur musical du Berliner Pilharmonisches Orchester, donné le 20 juin 2018, et celui par lequel le même chef avait débuté avec cet orchestre quelques trente-et-un ans auparavant, le 14 novembre 1987. Avec la même œuvre, la Sixième Symphonie de Mahler. Fascinante comparaison entre deux interprétations qui ne sont finalement pas si différentes l'une de l'autre. Jouées par un musicien de la classe que l'on sait et un orchestre qui passe pour être une des trois ou quatre meilleures phalanges au monde, et ce depuis des lustres. Ces CD sont assortis d'un DVD du film du concert récent et d'un autre DVD retraçant la belle histoire entre le chef et ''son'' orchestre.

LA SUITE APRÈS LA PUB

Ce n'est sans doute pas le fruit du hasard de terminer une collaboration de plus de trois décennies par une même œuvre et pas n'importe laquelle : la formidable Sixième Symphonie de Mahler. La fin d'un cycle sans doute, qui rappelle aussi le fait que Mahler aura été un compositeur particulièrement honoré durant l'ère Rattle à Berlin. Il avait en effet donné l'intégrale des symphonies en deux saisons successives, 2010/2011 et 2011/2012 et les avaient jouées à peu près toutes lors des diverses autres saisons, dont plus d'une restera gravée au disque (chez EMI, Warner désormais, en particulier). La Sixième Symphonie, composée en 1903 et 1904, et créée en 1906, dont Alban Beg dira que c'est « la seule 6ème, malgré la Pastorale » (de Beethoven), est un univers inouï. Au lieu de ''tragique'', qualificatif souvent donné à la partition, mais non approuvé par Mahler, il faudrait parler de symphonie du désastre, de la mort et du destin. Et il est remarquable de constater combien le pessimisme du message tranche avec la période faste que traversait alors Mahler dans sa vie personnelle et professionnelle. On analysera les interprétations de Simon Rattle à partir de la version la plus récente, de 2018.

Simon Rattle
Sir Simon Rattle ; ©DR

L'introduction de l'Allegro energico est prise avec une certaine sécheresse. Dans cette marche du destin énergique, il y a chez Rattle quelque chose d'irrémédiablement résolu : les arêtes de la marche militaire sont franches, à laquelle se frotte un thème de choral aux cordes puis aux bois. Un mélange de naturalisme et de métaphysique va teinter cette première phase, comme le reste de la symphonie, à travers des éclairages que Rattle diversifie largement. Comme il en est du développement d'abord lyrique, presque extatique, dans un contraste saisissant, avec les cloches de troupeau, atmosphère pastorale, mais aussi mystique. Qu'interrompent des ruptures pour une course follement rythmée, péripéties aux effets de pantomime grinçante. Dans l'exécution de 1987, d'une durée un peu plus courte, le travail contrapuntique est tout aussi résolu, sans doute plus tranché que dans la vision plus récente. On mesure combien Rattle ''tient'' son orchestre (dont le trompette solo est plus agile ici qu'en 2018). La coda est aussi plus boulée. Pour ce qui est de l'Andante, Rattle le place en deuxième position (contrairement à Herbert von Karajan), tranchant ainsi le fameux débat sur le point de savoir qui du Scherzo ou de l'Andante doit suivre le Ier mouvement. C'est une halte heureuse, bucolique, où domine l'impression de solitude de l'artiste plus que le sentiment de beauté de la nature, surtout après les déferlements du mouvement initial. Rattle le prend doucement, gorgé d'un lyrisme intense, mais sans s'appesantir sur ce qui pourrait paraître comme langoureux. Un Lied où le son du hautbois berce l'oreille, que rejoignent les autres bois et les cordes. À ce tempo, la musique livre tout son potentiel idyllique et prend un aspect presque hypnotique. Ce qui au concert devait être magique devant la beauté intrinsèque de l'orchestre. En 1987, le flux est tout autant d'une merveilleuse souplesse, grâce à une petite harmonie d'une belle pureté, le climat baigné de douceur pastorale. Les transitions sont déjà frappées au coin de la fluidité. La succession des épisodes du développement est peut-être moins ''calculée'' que dans la version ultérieure.

Le Scherzo introduit, comme toujours chez Mahler, un élément fantasque, mais aussi d'une fantaisie lugubre, voire macabre. La rythmique qu'insuffle Rattle et là encore implacable, piaffante, sauvage presque. Le Trio la transforme en une danse gracieuse, un peu vieux style, qui basculera vite dans un épisode de nouveau funèbre, combinant les deux aspects. Le retour du premier mode conduit à une vision fantomatique, hoffmannienne, quasi démoniaque. Tout aboutit à une sorte de danse de pantins désarticulés. Rattle y aura pris son temps pour nous faire savourer des moments étonnamment fantastiques. Par comparaison, en 1987, les contrastes lent-rapide sont plus nettement dessinés. Le côté grimaçant est plus tranché dans les passages rapides avec le xylophone et on observe des effets d'écrasement intéressants.

Simon Rattle 1987
Concert du 14/11/1987 ; ©DR 

LA SUITE APRÈS LA PUB

Au finale, Allegro moderato, immense et colossale fresque, Rattle déploie des contrastes d'une confondante ampleur, laissant s'exprimer un orchestre d'un exceptionnel raffinement. Pour une vision ''cinématographique'' d'une musique qui a rarement été aussi ''visuelle''. Les divers épisodes sont introduits au son d'un accord massif qui amorce un allegro véhément, que le chef pulse magistralement. Suit l'exposition avec ses rebondissements, dont les trémolos des cordes et les cloches de vaches, conduisant au développement et ses divers climats, dans un cheminement que l'on perçoit incroyablement solitaire, non pittoresque. Dans un tempo incisif, poussé jusqu'à l'effervescence jusqu'aux deux fameux coups de marteau. La véritable dramaturgie de ce mouvement est mise en valeur dans un flot inextinguible, telle une mêlée furieuse qui va jusqu'à la saturation sonore. Et que dire des ultimes moments, non pas de répétition mais de variations sur la même thématique : du fantasque au lyrique, du doux impalpable au fortissimo cataclysmique, au fil d'enchaînements souverainement ménagés. Et une fin extatique où tout ralentit, s'arrête, avant un accord gigantesque, asséné, qui vous transperce des pieds à la tête. On a le souvenir de semblable état de vertige lors d'une exécution de Karajan à Londres avec le même orchestre. Se tournant vers l'autre disque, on mesure, en 1987, combien le jeune chef de 32 ans possède déjà son Mahler et la science de l'architecture de cette audacieuse symphonie. La battue est plus ardente, volontariste, tranchée, et l'enroulement des figures très serré. Là où dans le concert de juin 2018, les choses viennent plus naturellement mesurées, pacifiées, si l'on peut dire de ces instants fiévreux. Le sens de l'urgence est déjà très marqué en cette première exécution berlinoise, et le résultat captivant, se résumant dans une coda d'une indescriptible furia. Le chef aura ce mot après ce concert : « J'ai l'impression d'avoir trouvé ma voix ce jour-là » !

Simon Rattle 2018
Concert du 20/06/2018 ; ©DR

Que de bonheur à écouter ces deux interprétations l'une après l'autre. La vision de 1987 apparaît ''moins ronde'', et légèrement plus rapide, un brin plus anguleuse, jeunesse oblige, que celle de 2018. Si la différence de tempos la plus notable se situe au finale (29'53 en 2018 pour 28'33 en 1987), ceux-ci sont proches pour ce qui est des autres mouvements, à une poignée de secondes près. Les caractéristiques de la direction de Simon Rattle sont déjà là en 1987 : fluidité, science des transitions, rapport dynamique naturel, légère tendance au ralentissement, qui s'est creusée au fil des ans, refus de la dureté, soin de la note de fin de phrase, soulignement des basses pour user d'un spectre d'une grande profondeur de champ. Et bien sûr indéniable empathie avec l'idiome mahlérien, qui se manifesta tant durant les années berlinoises. Une autre chose est certaine : la fabuleuse patine des Berliner Philharmoniker. En 1987, alors que l'ère Karajan touchait à sa fin - lequel en invitant le jeune chef anglais, avait subodoré la classe de celui qui sera un de ses successeurs - l'orchestre est à son meilleur niveau. La ''révolution'' dans la manière de jouer introduite par Claudio Abbado modifiera sans nul doute le galbe sonore, mais non la qualité intrinsèque, et en 2018 on ne peut que s'émerveiller du fini sonore de cette phalange d'exception. S'il ne fallait citer qu'un musicien : le hautbois solo de la formation de 2018 rejoint celui de 1987 au panthéon des grands solistes berlinois. 

L'enregistrement live du concert de 2018 offre un son moelleux sans dureté, un spectre large et une image ''ouverte'', sans focaliser sur tel ou tel instrument, enfin d'une grande immédiateté. On note un bel étagement des plans et un rapport naturel entre cordes, vents et percussions. En un mot, une vraie ''présence'' des diverses sections de l'orchestre pour un son toujours synthétique. La prise de son du concert de 1987 est d'un étonnant mordant et d'une grande clarté pour l'époque. Même si les violons I et II sont un peu trop confinés sur la gauche de l'image et les bois un peu sollicités comme l'environnement des graves moins directement palpable. Deux prises du son du state-of-the-art de leur époque respective. 

Texte de Jean-Pierre Robert

LA SUITE APRÈS LA PUB


Autres articles sur ON-mag ou le Web pouvant vous intéresser


PUBLICITÉ