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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Il primo Omicidio de Scarlatti

Alessandro Scarlatti Cain Abel

  • Alessandro Scarlatti : Il primo Omicidio overo Cain. Oratorio à six voix, en deux parties
  • Bernarda Fink (Caino), Graciela Oddone (Abele), Dorothea Röschmann (Eva), Richard Croft (Adamo), René Jacobs (Voce di Dio), Antonio Abete (Voce di Lucifero)
  • Akademie für Alte Musik Berlin, dir. René Jacobs
  • 2 CDs Harmonia Mundi : HMM 931649.50 (Distribution : PIAS)
  • Durée des CD : 138 min 14 s
  • Note technique : etoile orangeetoile orangeetoile orangeetoile orangeetoile orange (5/5)

Parmi la trentaine d'oratorios d'Alessandro Scarlatti, il en est un, Il primo Omicidio, qui traite un sujet biblique particulièrement porteur : le meurtre d'Abel par Caïn. L'auteur du livret est resté inconnu pour six personnages qui chantent une action quasi opératique, dite ''divertissement sacré en musique''. L'interprétation est conduite par un maître du baroque, René Jacobs, qui s'est entouré d'un brelan de chanteurs émérites, dont lui-même dans la partie de contre-ténor. Une version à écouter alors que l'oratorio est ''créé'' à l'Opéra Garnier, scénarisé par Romeo Castellucci.

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L'oratorio Il primo Omicidio, créé à Venise en 1707, est conçu en deux parties traitées chacune en continu, et une succession d'arias da capo et de duos, précédés de récitatifs. Le tout sur la basse continue et le ripieno d'orchestre. À partir d'un passage bien spécifique de la Bible, on tient ce qui pourrait constituer un bon livret d'opéra, n'était que l'action y est fort réduite. En tout cas rien du thriller que d'aucuns ont voulu mettre en avant. Le meurtre d'Abel, autrement dit le premier homicide de l'humanité, avec les conséquences que l'on sait, est amené judicieusement au fil de la première partie à partir de la situation de péché qui a chassé du paradis Adam et Ève. Ceux-ci vivent dans l'amour de leurs deux fils et surtout du Créateur. Comment calmer la colère divine ? Par un sacrifice, propose Abel. Alors qu'en sa qualité d'aîné, Caïn revendique le droit d'apaiser Dieu. Un état de jalousie s'installe chez celui-ci à l'égard de son frère. Le coup fatal ne viendra que peu après le début de la deuxième partie, elle-même entamée par deux airs illustratifs des beautés de la nature, figure obligée du genre. Comme souvent dans l'oratorio baroque, on aura assisté à une lutte entre deux forces supérieures, la voix de Dieu et la Voix de Lucifer, le Bien et le Mal, pour s'emparer du destin de faibles humains, Abel et Caïn. La fin de l'oratorio en livre la morale : celle de la miséricorde divine et d'une justice clémente devant la repentance du frère meurtrier. Le nœud dramatique restant le remord de Caïn et, selon Castellucci, l'expiation imposée de sa culpabilité, qui le condamne à vivre.

Cette trame est traitée musicalement de manière plutôt soft : un fratricide avec douceur ! Encore que certains passages frisent la fureur. Il se produit d'ailleurs un basculement de climat à partir du moment où retentit la voix d'Abel, depuis l'au-delà : la musique abandonne son caractère sombre pour revêtir un cachet presque allègre. Et le ''Duo allegrissimo'' final entre Adam et Ève conclut sur une note optimiste, celle de la rédemption et de l'acceptation des volontés divines. Une morale que devait méditer l'auditeur à l'issue de l'exécution de l'oratorio. Devrait-on dire maintenant, de sa représentation scénique ? Car indéniablement une dramaturgie traverse cette œuvre. Ne serait-ce que dans l'opposition de deux caractères : l'inébranlable confiance du doux et crédule Abel, la résolution morbide du jaloux et haineux Caïn. Laquelle peut se résumer dans cet échange à la toute fin de la partie I : « L'amour fraternel est toujours sincère », clame Abel, ce à quoi réplique Caïn : « On le dit toujours, mais ce n'est pas vrai ».

La présente interprétation, qui faisait suite à des exécutions données à Berlin en 1997, est superlative. D'abord par la direction de René Jacobs qui depuis des lustres s'attache à redécouvrir ces œuvres oubliées avec la perspicacité de l'inlassable chercheur. Chez ce musicien, on est sûr de l'authenticité des accents comme du flux dramatique, et de l'expertise de l'accompagnement des arias, d'autant plus sensible qu'il est lui-même chanteur. Il est aidé par le raffinement de son orchestre, l'Akamus Berlin, notamment des pupitres des cordes, conduits par d'éminents solistes comme Bernhard Forck et Georg Kallweit, et très en valeur dans les passages purement symphoniques. On admire aussi le basson de Christian Beuse, par exemple dans la première aria de Caïn avec cet instrument obligé, ou encore le clavecin et l'orgue d'Attilio Cremonesi. Les contrastes sont adroitement ménagés entre, d'une part, les passages élégiaques, comme le début de la seconde partie ou la fin de l'œuvre lors du duo entre Adam et Ève, et d'autre part, des traits plus marqués, tels les violents coups de sabre traversant l'orchestre après l'homicide fatal, ou surtout les musiques associées aux interventions de la Voix de Lucifer.

Les solistes vocaux constituent un ensemble homogène. Au premier chef, le Caïn de Bernarda Fink. Dans ce rôle le plus développé et le plus typé de l'oratorio, la couleur de sa voix de mezzo contralto et la fréquentation habituelle du répertoire du Lied autorisent un débit choisi et une interprétation très pensée. Le rôle d'Abel, distribué là aussi à une voix de femme, trouve en Graciela Oddone brillante performance qui après un début précautionneux, offre un soprano convaincu. Le premier duo entre les deux frères où pointe la jalousie de Caïn qui s'offusque presque de l'attitude résolument optimiste d'Abel, est un morceau de choix. Dorothea Röschmann, Ève, offre un soprano lumineux et bien senti. Richard Croft, Adam, est un parangon de beau chant, de son ténor bien timbré et superbement projeté. Une partie là aussi très développée. La Voix de Lucifer est celle de la basse clairement articulée d'Antonio Abete, tandis que René Jacobs prête la sienne à la Voix de Dieu. Un plaisir de l'entendre dans son premier emploi et de savourer une ligne de chant immaculée.

L'enregistrement, effectué dans une église à Berlin, table sur une acoustique réverbérante, ne se refusant pas l'effet d'écho notamment sur les fins de phrases d'arias. L'orchestre est fort bien saisi, les voix tout autant, et l'impact sonore est indéniable.

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Texte de Jean-Pierre Robert 

Disponible sur Amazon en CD et MP3



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