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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

Concert : Musique de chambre de Brahms au sommet

Elisabeth Leonskaja
Elisabeth Leonskaja ©Julia Wesely

  • Johannes Brahms : Quatuor à cordes N° 3 op. 67
  • Quatuors pour piano et cordes N° 3 op. 60 & N° 1 op. 25
  • Elisabeth Leonskaja, piano. Streichquartett der Staatskapelle Berlin : Wolfram Brandl, Krzysztof Specjal (violons), Yulia Deyneka (alto), Claudius Popp (violoncelle)
  • Théâtre des Champs-Elysées, le 16 janvier 2019 à 20 h 

Dans le cadre de l'intégrale de la musique de chambre de Brahms au Théâtre des Champs-Elysées, ce concert présentait un des quatuors à cordes et deux des quatuors pour piano et cordes, un Brahms plus abstrait que celui des sonates de violon ou de violoncelle, mais pas moins passionnant. Alors que servi par des interprétations raffinées et sensibles par des membres de la Staatskapelle Berlin et le talent d'une immense pianiste Elisabeth Leonskaja. Que du bonheur pour nous faire définitivement aimer Brahms. 

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Le Quatuor à cordes N°3 op 67, créé à Berlin par le Quatuor Joachim, en 1876, le dernier du triptyque composé par Brahms, qualifié de '' viennois'', même si cette indication est quelque peu éloignée de la réalité, montre une atmosphère sereine, presque détendue. Que les présents interprètes traduisent de manière plutôt sérieuse et recueillie. Comme il appert dès le premier mouvement Vivace, abordé avec retenue à travers ses thèmes d'allure dansante. L'Andante suivant, introduit par le I er violon se déroule comme un Lied, sorte de romance sans parole, là encore joué avec une réserve qui confine à l'austérité par les quatre mousquetaires de la Staatskapelle Berlin menés par Wolfram Brandl. L'Agitato, sorte de scherzo, offre un climat élégiaque que transfigure le chant de l'alto, un des instruments favoris de Brahms. Il s'agit d'un intermezzo, mode typique chez le compositeur, d'allure fantastique, ce sur quoi renchérit le passage médian, très mélodique où l'alto de Yulia Deyneka se tire la part belle. Le finale, sur le schéma thème et variations, est très libre, marqué par un souci contrapuntique. La retenue dont font montre les berlinois produit une interprétation pénétrante, qui ne manque pas de classe, et techniquement accomplie.

Streichquartett Berlin
Streichquartett Berlin ; DR

La Troisième quatuor pour piano, violon, alto et violoncelle op. 60, créé en 1875, mais à l'état de projet depuis 1855, est le dernier de la série confiée par Brahms à cette formation inédite, à laquelle n'avaient jusqu'alors sacrifié que Mozart et Schumann. Et qu'on retrouvera plus tard sous la plume de Fauré par exemple. Le rapprochement avec ce dernier compositeur, fort osé il est vrai, inspire pourtant une réflexion : comme le français le fera à la fin de sa carrière, Brahms, à ce stade de la sienne, resserre l'inspiration et travaille de plus en plus sur l'épure. On le mesure en comparant cette ultime pièce aux deux autres, dont le premier quatuor de piano op. 25. L'Allegro non troppo offre une contenu dense, où l'on a vu quelque élan fantastique, voire démoniaque, ''à la Werther''. Ce que les présents musiciens insistent à mettre en lumière. La fin de mouvement déploie une grand dramatisme. Le Scherzo, qui emprunte à la fois à cette forme proprement dite et à celle de la sonate, montre là encore une grande liberté du discours. Les épisodes 1 et 3 sont fort rythmés tandis que la section centrale est plus lyrique, chantée d'abord par les cordes rejointes par le piano. L'Andante est le cœur de l'ouvrage : un Lied tripartite d'une belle charge émotionnelle, introduit par le cello, qui se répand au violon puis à l'alto, tandis que le piano tricote les thèmes avec une grande douceur expressive. Celui-ci prend d'ailleurs le relai dans un passage syncopé, que Leonskaja domine haut la main. Le piano aura un rôle essentiel au finale Allegro comodo, passionné comme il en a été des deux premiers mouvements, non sans une once d'austérité que les quatre interprètes ne cherchent pas à éluder. Le jaillissement expressif aura en tout cas caractérisé cette exécution. 

Le Premier quatuor pour piano et cordes op. 25 nous transporte dans un univers plus immédiatement compréhensible, c'est-à-dire abordable. Les quatre interprètes, galvanisés, abandonnent la réserve perçue auparavant. Le Ier violon change de titulaire, Krzysztof Specjal endossant ce brassard pour un jeu d'une finesse et d'une beauté saisissantes. Encore que le premier mouvement focalise sur la partie de violoncelle, tenue par son collègue Claudius Popp. Ce quatuor de 1861, travaillé en liaison avec l'ami Joachim, livre un Brahms combien original et intensément mélodieux. Ce qui saute aux yeux dès l'Allegro où le thème est d'abord exposé par le piano. Leonskaja est royale ici. Ce mouvement abondera de richesses : expressives bien sûr, dans la suprême fusion des trois cordes et du clavier, la vaillance du discours, son flux généreux, en particulier au développement. L'Intermezzo livre un Brahms nordique aux clairs obscurs envoûtants. Il sera traversé d'un épisode en trio plus nocturne. C'est fantomatique et d'une poésie pure. Avec l'Andante, on a affaire à un Lied d'une beauté à couper le souffle. Leonskaja et ses jeunes collègues nous immergent dans un paysage de rêve. Le finale Rondo alla zingareze, une des plus originales inspirations de Brahms, couronne une interprétation de haut vol, au fil de ses divers épisodes variés où se mêlent entrain, fantaisie et sentiment d'improvisation.   

Pierre Boulez Saal Berlin
Elisabeth Leonskaja et le Streichquartett Berlin, le 14 janvier 2019 à la Pierre Boulez Saal de Berlin ; DR 

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Fêtés, ils donnent en bis le mouvement lent du Quintette pour piano et quatuor à cordes op. 34, là encore d'une souveraine maîtrise à l'évocation de cet immense moment de lyrisme où il semble que le temps suspende son vol. On aura apprécié, là comme pour les deux autres œuvres, la manière élégante et profonde d'Elisabeth Leonskaja, merveilleuse chambriste s'il en est, et l'entente naturelle avec ses quatre talentueux partenaires du Streichquartett de la Staatskapelle Berlin. Le sourire complice de cette grande dame en leur direction, au début du morceau, en dit long sur une telle entente, sa force et sa réalité.

Texte de Jean-Pierre Robert



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