Skip to main content
PUBLICITÉ
  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

Concert : Leif Ove Andsnes joue Schumann, Janáček et Bartók

Andsnes Dulwich
©Dulwich

  • Robert Schumann : Trois Romances op. 28. Carnaval op. 9
  • Leoš Janáček : Sur un sentier recouvert, Premier cahier
  • Béla Bartók : Trois Burlesques op. 8c Sz. 47
  • Lief Ove Andsnes, piano
  • Théâtre des Champs-Elysées, le 11 décembre 2018, à 20 h

Le pianiste norvégien Leif Ove Andsnes avait placé son récital parisien sous le thème du carnaval, décliné selon l'œuvre célèbre de Schumann, mais aussi par des pièces de Bartók et de Janáček. Faisant sienne cette phrase de Roland Barthes : « dans le monde cassé, tissé d'apparences tournoyantes » de Schumann « le monde est tout entier un carnaval ». Merveilleux moments que d'entendre ce chef-d'œuvre en miroir avec le piano de Bartók et surtout de Janáček, peu souvent abordés au concert.

LA SUITE APRÈS LA PUB

Leif Ove Andsnes ouvrait le concert par les Trois Romances op. 28 de Schumann. Ce triptyque de 1839, qui vient dans la foulée du Carnaval de Vienne op. 26, propose trois pièces de caractère, fort contrastées. Le genre de la romance sera de plus en plus associé chez le musicien à ses Lieder. Le morceau central, indiqué ''Einfach'' (simple), dispense une ineffable mélodie, frémissante et paisible. Une sérénité qui tranche avec les deux autres romances. La première, ''très marquée'', est vive, au bord du tumulte. La dernière, qui porte la même indication de tempo, l'est encore plus. Très développée, elle « redonne la parole au Florestan le plus rude, qui sait retenir ses ruades rythmiques le temps de beaux intermezzos », remarque Brigitte François-Sappey (in ''Robert Schumann''/Fayard). Andsnes les joue avec un souci de clarté et de contrastes. 

Il aborde ensuite le Premier cahier de Sur un sentier recouvert de Janáček. Ce recueil de dix pièces est la compilation, réalisée en 1908, de divers morceaux composés antérieurement, depuis 1901, le titre évoquant un sentier dont le tracé s'estompe à cause des broussailles, mais reste identifiable, à l'aune des souvenirs qui ne peuvent s'effacer. Les sous-titres ont été portés a posteriori, lors de la publication, tout comme il en est des pièces de Debussy. Ils ne sont donc que des indications et il ne s'agit pas de musique à programme. Plus important est ici le ton utilisé par Janáček, calqué sur le langage parlé, tout comme dans ses opéras - et Jenufa est contemporain. Le musicien privilégie le souci de l'harmonie, plus que de la mélodie, et de l'enchaînement des séquences, en particulier des accords. D'où une impression de dialogue de l'interprète avec l'instrument. Un dialogue tour à tour confident, intime, et plus emporté, comme peut l'être une conversation animée. Leif Ove Andsnes en distille le suc de lyrisme comme les épanchements plus crus. Au fil de cette écriture en petites cellules, aux brusques changements de braquet, aux répétitions saisissantes, d'une modernité étonnante qui voisine avec des traits proches du romantisme tardif. Une expérience auditive rare. 

Andsnes donne les Trois Burlesques de Béla Bartók. Composées entre 1908 et 1911, ce sont des miniatures appartenant à la première période stylistique du musicien, qui manifeste déjà ses préoccupations harmoniques et rythmiques. La première, ''Querelle'', a une origine autobiographique, puisqu'écrite suite à une dispute avec l'aimée du moment, Martha. On y trouve en effet de grands aplats et une fièvre à peine contenue. La deuxième, ''Un peu gris'', laisse apparaître une écriture trottinante, voire titubante, danse un peu grotesque, où se profilent les soubresauts du pantin du Prince de bois. La dernière est comme une danse dégingandée. Andsnes montre des doigts d'elfe mais aussi d'acier. 

Cette association de fantasque et d'étrange, on la retrouve dans le Carnaval op. 9 de Schumann. Daté de 1835, c'est une des œuvres phares pour piano du musicien. Où abondent les références, masquées ou reconnaissables, comme les personnages de la comedia dell' arte, ou les Eusebius et Florestan schumanniens, les hommages à ses pairs, Beethoven ou Schubert, les rappels littéraires, etc… Emplie de fraîcheur, de mystère, évoluant comme des masques, l'œuvre procède d'un schéma de valse à variations, que Liszt n'hésitera pas à comparer aux Variations sur un thème de valse de Diabelli de Beethoven. Et il y en 20, jusqu'à l'ultime, ''Marche des « Davidsbündler » contre les Philistins'' où tout ce petit monde se retrouve dans une lutte des modernes contre les anciens. Une musique où tout semble permis, de par le ton d'improvisation favorisé par Schumann. Andsnes se situe dans cette optique : son interprétation manie tout ce fantasque avec une rare acuité et une vision pour le moins très personnelle. Un romantisme sans afféterie, des lignes toujours claires même lorsque le tempo se presse à tel point qu'il en est boulé, mais pas brouillon. Le rapide peut devenir hyper prestissime. Et la sonorité presque orchestrale. Une exécution qui force l'admiration par sa cohérence, son pianisme souverain, des nuances extrêmes qui font se déchaîner les graves du Steinway Grand ou en révèlent l'aigu aérien. Mais surtout, comme tout au long de ce programme, qui montre un toucher de velours et une vraie élégance du jeu. Il donnera en bis un Nocturne de Chopin, nanti de poésie évanescente, puis une autre pièce de Schumann, un Scherzo de Schubert, dont le trio médian est pur ravissement. Et enfin... le Tango de Stravinsky (1940), une de ses œuvres les plus rythmées, dans le droit fil du Sacre, d'une formidable scansion. 

Texte de Jean-Pierre Robert

LA SUITE APRÈS LA PUB


Autres articles sur ON-mag ou le Web pouvant vous intéresser


Théâtre des Champs-Elysées

PUBLICITÉ