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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

Opéra : Don Pasquale à La Monnaie ou l'opéra buffo doux-amère

Don Pasquale Bruxelles 1
©Baus / De Munt La Monnaie

  • Gaetano Donizetti : Don Pasquale. Dramma buffo en trois actes. Livret de Giovanni Ruffini & Gaetano Donizetti, d'après ''Ser Marcantonio'' de Angelo Anelli.
  • Michele Pertusi (Don Pasquale), Lionel Lhote (Dottore Malatesta), Joel Prieto (Ernesto), Danielle De Niese (Norina), Alessandro Abi (un Notaire)
  • Académie des Chœurs de La Monnaie, dir. Benoît Giaux
  • Chœurs de La Monnaie, dir. Martino Faggiani
  • Orchestre symphonique de La Monnaie, dir. Alain Altinoglu
  • Mise en scène et costumes : Laurent Pelly
  • Décors : Chantal Thomas
  • Éclairages : Duane Schuler
  • Théâtre de La Monnaie/De Munt, Bruxelles, le 9 décembre 2018 à 15H
  • Et jusqu'au 23 décembre (deux distributions en alternance)
  • Spectacle retransmis en direct sur Mezzo & Mezzo live HD, le 21 décembre à 20 h
    www.lamonnaie.be

Dernier opéra bouffe de Donizetti, Don Pasquale, créé en 1843 à Paris, signe sans doute le chant du cygne du genre dans l'opéra italien. En tout cas, à la différence d'un de ses autres succès incontesté, L'Elisir d'amore, la vis comica est-elle asservie ici à une caractérisation musicale et dramaturgique qui va bien au-delà de la bouffonnerie. La musique garde tous ses prestiges, de fraîcheur et de richesse mélodique. « Un chef-d'œuvre absolu d'équilibre », selon Alain Altinoglu, qui dirige cette nouvelle production du Théâtre de La Monnaie, mise en scène par Laurent Pelly. Une fière réussite.

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Dans Don Pasquale, Donizetti manie plus le doux-amère que le franchement comique. Le sous-titre de ''dramma buffo'' en dit long sur ses intentions : marier à une histoire se situant dans la tradition de la Comedia dell'Arte, et inspirée de Ben Johnson, un ressort plus sombre dont l'un des personnages, le Dr Malatesta, serait le tireur de ficelles. Comment berner un vieux célibataire qui cherche à épouser une jeune belle et déshérite son neveu qui aime la susdite. Ce soi-disant ''ami proche'' n'est assurément pas paré des meilleures intentions. Avec cela, il y a une volonté chez le musicien d'atténuer la bouffonnerie mécanique : le Docteur pousse le trait, tout comme la dame, Norina, qui une fois la bague au doigt, se meut en virago et va jusqu'à gifler son barbon de mari. Avec cependant quelque remords sur le thème ''c'est pour son bien''. On le perçoit dans les échanges et surtout les grands ensembles, comme celui du premier finale, à la fin de l'acte II, où à la différence d'un finale de Rossini, les personnages prennent ici acte de la presque douleur de Don Pasquale et expriment, comme le fait alors la musique, un peu de compassion. Un passage comme celui de la gifle fait soudain basculer l'histoire dans le drame : Norina s'en veut d'être allée trop loin. Et le barbon voit déjà sa fin proche. Cette veine sérieuse, à la limite du pathétique, Laurent Pelly l'a parfaitement saisie dans sa mise en scène. Qui épouse le débit musical, se cale sur son rythme tour à tour énergique et plus contemplatif. Le trait se veut ironique, voire sarcastique et un peu cruel. Mais est aussi nourri de tendresse. Le pauvre Pasquale est plus chahuté que ridiculisé et Malatesta savoure sa manigance pour faire triompher l'union de deux jeunes premiers.   

Don Pasquale Bruxelles 2
Danielle De Niese/Norina & Michele Pertusi/Don Pasquale - ©Baus / De Munt La Monnaie

La régie se signale par sa fluidité et son esthétique. Pelly se meut comme toujours dans l'illustratif au second degré, sans chercher à relire ou à se détacher en quoi que ce soit de la trame et de la musique. Il faut être explicite et il l'est : dans un décor de boîte-maison, disposée au centre du plateau, enserrée dans une rue dont les façades de part et d'autre sont munies de fenêtres-jalousie, elle-même percée des trois portes de tailles différentes. Et pour tout accessoire un fauteuil, celui de Don Pasquale. On y entre et on en sort comme dans la comédie italienne. Mais cette maison-boîte va se montrer sous des jours divers et tourner sur elle-même. Surtout, elle s'inverse complétement au IIème acte, le fauteuil dès lors collé au plafond, le lustre vissé au sol, les portes devenant des fenêtres dorénavant où pénètrent les personnages. Qui sont finement caractérisés : Don Pasquale, « un vieil homme qui refuse de mourir », remarque Pelly, tout comme ses cousins en opéra Don Quichotte et Falstaff, pas si vieux que cela, qui sait se mettre en scène, enfilant une postiche, faisant des pompes... Norina, qui y va à reculons, se présente dans une posture timide, digne d'une dame de l'Armée du salut. Mais quelle métamorphose une fois le contrat signé ! Un tourbillon de charmes et de dureté vis-à-vis du marié ravalé à devoir obéir. Elle est belle, voire féroce, très futée en tout cas. Son Ernesto de prétendant, « l'archétype du fils qui vit encore chez ses parents », selon Pelly, et qui débarque dans l'intrigue en pyjama, n'est pas le ténorino transi, mais un homme sincère se sentant trahi. Un fort joli jeu de scène introduit son air au début du IIème acte, distingué par l'accompagnement de la trompette : le prélude voit Pasquale furtivement avaler une dose de Viagra pour se donner du punch ; puis au fil de l'aria, Ernesto range les habits du couple qu'avec Norina, ils forment sans doute en cachette, et ce dans des malles, et puis s'en va sous le poids des désillusions. Un exemple d'une utilisation fertile du temps musical.

Don Pasquale Bruxelles 3
©Baus / De Munt La Monnaie

Des actions joliment troussées comme celle-là, il y en aura mille au long de cette mise en scène. Qui truffe les dialogues d'une juste empathie. Ainsi du duo de Pasquale et de Malatesta, hilarant dans son déferlement prestissime de mots ; ultime concession de Donizetti au genre buffa. Qui anime également les ensembles d'une franche et cocasse force, et leur garde une sûre lisibilité. Témoin, le finale de l'acte II qui voit ses diverses séquences s'emboîter les unes dans les autres, du trio au quatuor, assorti d'un joli aparté. La Sérénade d'Ernesto embrassant un croissant de lune alors que le toit de la maison, vue de l'extérieur, se pare de mille étoiles, voilà un clin d'œil auquel Pelly nous convie volontiers. À la fin, le pardon du vieux préférant s'en tenir au célibat pour avoir la paix chez soi, ose là encore la touche tragique : il ne s'en sort pas si mal de la jubilation éprouvée par son ''beau-frère et ami'' à le faire souffrir ; une des énigmes de cette pendable histoire.  

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Joel Prieto/Ernesto, Don Pasquale, Norina & Lionel Lhote/Dr Malatesta - ©Baus / De Munt La Monnaie

Le volet musical est à l'unisson. Le Pasquale de Michele Pertusi est un roc aussi bien vocal que théâtral : l'abattage mais aussi la finesse, et tout sauf une manière bouffonne au Ier degré. Il est amusant à force de pathétique, jamais trivial. Et quelle voix magistralement conduite ! Tout comme le Malatesta de Lionel Lhote. Ce chanteur belge sait lui aussi ne pas forcer le trait pour garder ses distances avec le bouffe, et manier la cruauté avec une douce et efficace perversité. Joel Prieto, jeune ténor madrilène, vainqueur du Concours Operalia de Placido Domingo, a de la puissance à revendre, peut-être trop par moment. Il lui faudra domestiquer cette générosité comme affiner le style bel cantiste, mais la ressource est là et le jeu aisé. Danielle de Niese, qui a le rôle de Norina à son répertoire depuis longtemps, dont une prestation chez elle à Glyndebourne, incarne une jeune femme libérée, capricieuse sans excès. Le timbre n'apparaît pas naturel pour ce type de partie bel cantiste, et cela se ressent en début de spectacle dans la cabalette. Mais peut-être s'agit-il d'une méforme passagère. Le Notaire d'Alessandro Abis et les chœurs de La Monnaie se plient au rythme millimétrique imposé par Pelly. Le ballet des domestiques à l'acte III, qui après avoir empli la maison d'une théorie de bergères plus que confortables et de myriades de fleurs, sont disposés en groupes avec là encore un aparté saisissant dans un rai de lumière, et se trémoussent en valsant, comme le suggère alors la musique, tout cela est d'une divertissante visualisation. Alain Altinoglu, dont la symbiose avec l'Orchestre symphonique de La Monnaie est évidente dès les premières notes de l'Ouverture, offre une direction énergique sans raideur, privilégiant une large dynamique. Comme au premier finale, ce que ne laisse pas pressentir le caractère restreint de l'instrumentarium privilégié. Et partout une grande souplesse de ton comme des contrastes empreints de mélancolie, tout à fait dans le ton de cette présentation qui refuse le bouffe débridé.

Texte de Jean-Pierre Robert 



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