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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Perséphone de Stravinsky

Persephone Stravinsky

  • Igor Stravinsky : Perséphone. Mélodrame en trois tableaux sur un poème d'André Gide, pour récitante, ténor, chœur mixte, chœur d'enfants et orchestre
  • Andrew Staples (ténor), Pauline Cheviller (récitante)
  • Chœur, chœur d'enfants et orchestre de l'Opéra national finlandais, dir. Esa-Pekka Salonen
  • 1 CD Pentatone : PTC 5186 688 (Distribution : Outhere Music)
  • Durée du CD : 51 mn 03 s
  • Note technique : etoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile grise (4/5) 

Voici quelque rareté, même chez Stravinsky. Le mélodrame Perséphone, composé en 1933, reste à part dans son œuvre, quoiqu’il se rattache à deux autres pièces Oedipus Rex et Apollon Musagète, dont il forme le troisième volet d'une « trilogie grecque ». La présente interprétation confiée à Esa Pekka-Salonen dirigeant l'orchestre et les chœurs de l'Opéra national de sa contrée natale, propulse l'œuvre au premier plan grâce à une incontestable empathie pour son idiome.

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Créé en 1934 à l'Opéra de Paris, sous la direction du compositeur, Perséphone est puise dans un texte d'André Gide. La collaboration entre les deux artistes ne fut pas sans heurt, Stravinsky entendant s'emparer de la poétique gidienne avec la volonté de l'asservir à ses propres besoins dramatico-musicaux, et Gide espérant que soient respectées au plus près les inflexions de la prosodie française. Il n'assistera pas à la première. On a pu dire pourtant que quelles que soient ses réussites et ses faiblesses, « Perséphone apparaît, dans ses lignes vocales doucement archaïsantes, comme une ''musique gidienne'' par excellence » (André Boucourechliev, in ''Igor Stravinsky'', Fayard). Il est certain que ce mélodrame avec danse et pantomime, composé à la demande d'Ida Rubinstien et pour elle, appartient à un genre qui ne s'est jamais franchement imposé, bien qu'il eut son heure de gloire à l'époque et peu après. On pense à L'histoire du soldat du même auteur ou à Jeanne au bûcher de Honegger. Cette forme, dans le cas présent traitée de manière encore plus atypique par Stravinsky, a peu connu les feux du concert comme de la scène. Exception faite de la fameuse production du Festival d'Aix 2015 dans la régie épurée de Peter Sellars, donnée ensuite à Lyon et à Madrid où elle fut filmée pour le DVD. 

Cet hymne homérique à Déméter attribue à une récitante le rôle de Perséphone, fille de la déesse et à un ténor celui du Grand prêtre Eumolphe. Un chœur mixte auquel s'ajoute par instants un chœur d'enfants complètent la partie vocale. L'action, réduite, se divise en trois parties : « Perséphone ravie » au monde des Nymphes pour avoir transgressé l'interdit de se pencher sur le calice de la fleur Narcisse, « Perséphone aux enfers », où elle s'éveille aux plaintes des Ombres, « Perséphone renaissante » qui la voit retrouver sa mère Déméter mais aussi comprendre que son destin est désormais lié aux Ombres. La musique de Stravinsky, qui appartient à sa période dite néo-classique, prévoit un orchestre nombreux rehaussé de percussions, pour des contrastes dynamiques accusés, où l'on passe de l'éclat au climat chambriste. Elle est tour à tour austère et chatoyante. On a pu dire qu'elle offre une sorte de « beauté désincarnée, un peu - un peu trop ? - évanescente » (ibid). Son audace d'écriture, due à l'originalité de l'instrumentation, comme le recours à de nombreux ostinatos sont aptes à magnifier les mélismes d'un orchestre souvent luminescent. L'écriture réservée aux voix n'est pas moins innovante, singulièrement le rôle de la récitante dans son traitement très libre de la prosodie française. 

Grand connaisseur de la musique de Stravinsky, Esa Pekka-Salonen propose une interprétation d'une souveraine clarté et d'un grand relief. Le sens de la vaste dynamique et de la rythmique toujours singulière de cette musique, il le possède d'évidence, de même que l'art de jauger la transition entre pages de douceur et de déchaînements. Comme il en est après le refus de Perséphone d'accepter les trésors que lui offre Eumolphe, au 2ème tableau. Le chef finlandais sait combien tirer des accents dramatiques de cette trame qui pourtant ne cherche pas à les accentuer. Il impose un mélodisme raffiné, tel le solo de hautbois au début de la deuxième partie, relayé par les autres vents. Et fait ressortir la couleur si particulière de cette pièce où dans une palette somme toute restreinte, « Stravinsky œuvre dans l'infiniment nuancé » (ibid.). L'orchestre de l'Opéra national de Finlande répond avec une rare acuité, sans nul doute galvanisé par son chef. Comme les chœurs maisons, même si leur prononciation française n'est pas toujours très distincte. Andrew Staples fait sienne la partie délicate d'Eumolphe, requérant un ténor à la fois lyrique et héroïque, peu facilitée par l'accentuation singulière que lui réserve le compositeur, de sa syllabique saccadée, presque obsédante. Pauline Cheviller, qui fut de la production de Sellars lorsque donnée à l'Opéra de Lyon, défend avec maestria le rôle titre : élocution de grande tenue, raffinement des intonations, comme lors des grands monologues, émotion contenue et compassion, imposant une vision d'un réel impact dramatique. 

L'enregistrement live, en concert à l'Opéra de Finlande à Helsinki en août 2017, offre une image satisfaisante. L'acoustique un peu sèche met en exergue la récitante, placée au centre droit, les chœurs étant quelque peu relayés à l'arrière-plan, ce qui ne contribue pas à une bonne compréhension de leur texte.

Texte de Jean-Pierre Robert

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