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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

Opéra : Mefistofele à l'Opéra de Lyon ou le rêve du diable

Mefistofele Opera de Lyon
© Mar-Florès Flo

  • Arrigo Boito : Mefistofele. Opéra en un prologue, quatre actes et un épilogue. Livret du compositeur
  • John Relyea, Paul Groves, Evgenia Murareva, Agata Schmidt, Peter Kirk
  • Orchestre, Chœurs et Maîtrise de l'Opéra de Lyon, dir. Daniele Rustioni
  • Chefs des chœurs : Johannes Knecht, Karine Locatelli (Maîtrise)
  • Mise en scène : Àlex Ollé
  • Décors : Alfons Flores
  • Costumes : Lluc Castells
  • Lumières : Urs Schönebaum
  • Opéra de Lyon, le 21 octobre 2018 à 16 h

L'Opéra de Lyon aura de nouveau fait fort ! Décider de monter Mefistofele d'Arrigo Boito relève en effet d'une belle audace. Le seul opéra achevé du compositeur demeure peu familier des scènes lyriques, comparé aux adaptations qu'y connaît le mythe de Faust chez Gounod, Berlioz ou même Dusapin. Sauf à mobiliser un metteur en scène imaginatif et une distribution de haut-vol. C'est ce sur quoi a misé l'institution lyonnaise en faisant appel au régisseur iconoclaste Àlex Ollé de la Fura dels Baus et en confiant l'écrasant rôle titre à John Relyea, une des grandes basses du moment. Pari réussi ! Car voilà bien une mise en scène pour le moins spectaculaire, assortie d'un volet musical non moins incandescent, nouveau succès à l'actif du chef principal Daniele Rustioni.

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Alors qu'il doit pour beaucoup sa célébrité en tant que librettiste inspiré de Verdi pour Othello et Falstaff, Arrigo Boito (1842-1918) est une figure à part de la musique italienne du XIXème. Il fréquente très tôt les milieux d'avant-garde et singulièrement le mouvement des « Scapigliati » (Les Échevelés) qui préconisait aussi bien de combattre toute forme d'académisme à l'opéra par « la suppression totale de la formule stéréotypée », que de choquer le bourgeois en s'attaquant aux mythes religieux. Son grand œuvre, Mefistofele, devait le concrétiser. Il voit le jour en 1868 à la Scala de Milan et restera un fiasco retentissant, en particulier par sa longueur démesurée de plus de cinq heures. Boito le remaniera pour le ramener à des proportions plus raisonnables. La création de cette nouvelle mouture, en 1875 à Bologne, est un franc succès. Il faut dire que la manière de traiter le mythe est ambitieuse puisqu'il s'agit de couvrir les deux parties du Faust de Goethe, à la différence de l'opéra de Gounod (1859) ou de La Damnation de Faust de Berlioz (1846) qui se réfèrent pour l'essentiel à la première. Boito justifie son choix par une explication d'une logique imperturbable : « Sans cette suite - Le second Faut -, le drame reste non réalisé dans son développement et sa portée. C'est un pacte entre Dieu et le Diable qui est le point de départ du poème de Goethe... Pour que le conflit dualiste soit résolu, il doit être suivi jusqu'à la mort de Faust, qui est l'âme en cause dans le pacte ». Aussi l'opéra connaît-il une construction en arche, ses quatre actes voyant Faust être entraîné par Méphisto au fil des épisodes de ses amours avec Marguerite, de la mort de celle-ci, mais aussi de la conquête d'Hélène de Troie, objet du 4ème acte. Ceux-ci sont encadrés par un Prologue et un Épilogue censés introduire et tirer la morale de l'histoire : le défi morbide que s'assigne Mefistofele de capturer Faust dans ses filets et le dernier combat livré contre le Bien auquel il tente de l'arracher. Le personnage pivot est donc bien celui de Méphistophélès. Pascal Dusapin n'est pas loin de partager cette analyse, qui relève : « À tout prendre, je préfère Méphistophélès. Il m'amuse. Son projet est simple ».

Mefistofele Opera de Lyon 1
© Jean-Louis Fernandez

C'est ce qu'a compris Àlex Ollé, qui conçoit l'action dans l'hallucination de Mefistofele, le rêve du diable en quelque sorte. Et de souligner le trait en le personnifiant tel un psychopathe véhiculant délire et cruauté dans une singulière exploration du mal. Ainsi du Prologue où Méphisto n'hésite pas à trucider quelques angelots parmi les Multitudes célestes, provoquant la revanche des Archanges cherchant à le blesser sauvagement. Mais surtout de l'Épilogue dont Ollé conçoit la mort de Faust sous le couteau de ce fanatique personnage : le vieux docteur s'offre littéralement en sacrifice à son bourreau et, à l'agonie, tend une main salvatrice à un diable préférant détourner les yeux. Alpha et Oméga d'une vision dont l'objectif est « d'explorer le mal en lui-même ». La prééminence accordée au personnage titre s'exprime encore lors de la scène cruciale, au IIIème acte, dans laquelle Faust tente d'arracher Marguerite à sa prison. C'est, ici, à Mefistofele que la pauvre femme s'adresse dans son délire, le confondant avec Faust, resté en retrait, comme emprisonné à l'arrière-plan. Formidable jeu de scène d'une méprise révélatrice, magnifiant un duo qui pourrait passer pour convenu et terne. Une lumière blafarde envahit alors l'atmosphère par un rayon projeté du fond vers l'avant. C'est que la lumière occupe une place essentielle dans ce spectacle, tour à tour phosphorescente ou dans des tons volontairement soulignés, presque fluo. Elle transfigure un dispositif scénique spectaculaire ménageant plusieurs plans et s'approchant par moments de la 3D. D'abord un froid laboratoire peuplé de petites mains affairées à disséquer quelques objets sanguinolents, dont se détache un employé chargé du nettoyage, Mefistofele. Lequel s'entrouvre sur des entrailles où paradoxalement officient les Multitudes célestes, visuel répliqué à l'Épilogue, combat entre ombre et lumière. Puis une structure en fer des plus sophistiquées, elle-même mobile, où s'inscriront les épisodes de Pâques, vus en bacchanale, du Jardin de Marguerite, troqué pour l'entrée de quelque luxueuse boîte de nuit rougeoyante, et de La nuit de Sabbat, lieu étrange. Le rouge-sang aura cédé la place au verdâtre le plus effrayant, renforcé par le scintillement, débordant dans la salle, d'une boule tournoyante à multiples facettes. À l'heure de sa mort, Marguerite d'abord déifiée sur le fauteuil où peu avant trônait un Mefistofele triomphant, mû soudain en chaise électrique, sera transpercée d'éclairs sur les mots du chœur « Elle est sauvée... » ! Plus tard, le tableau du « paysage idéal de la Grèce antique » où évolue Hélène, nous transporte dans une sorte de revue emplumée digne des Folies Bergères. Ollé ose le bleu électrique virant au rose-bonbon pour le spectacle au 2ème degré offert à un Faust émerveillé. Et tout finit par un alignement de dames à l'avant-scène, digne des rockettes new-yorkaises ! Ce décor de structures de fer jamais ne frôle la lourdeur et dégage même une vraie intensité.

Mefistofele Opera de Lyon 2
© Mar-Florès Flo

L'opéra est très exigeant musicalement. Au premier chef pour ce qui est du rôle titre distribué à une basse profonde, un des plus emblématiques du répertoire. S'y sont illustrés Chaliapine, Siepi, et plus près de nous, Ghiaurov ou Ramey. John Relyea se taille un franc succès par une voix d'airain parée de nuances permettant d'affronter une vaste amplitude au fil des airs de bravoure comme des ensembles dont il n'a pas de mal à se détacher avec aisance. L'incarnation est tout aussi saisissante sans tomber dans l'excès de noirceur au premier degré. Au contraire, une manière presque détachée, singulièrement intériorisée, apportant à une scène comme celle citée des adieux de Faust à Marguerite un formidable impact. Dans le rôle non moins difficile de Faust, Paul Groves, qui fut naguère de La Damnation de Faust salzbourgeoise, vue par le même Ollé en 1999, sacrifie avec conviction à la vision qu'a le metteur en scène du célèbre docteur : « Un individu gris », plus victime de ses fantasmes qu'acteur de ses conquêtes. Personnage volontairement non brillant, qui subit plus qu'il n'agit, même devant la Belle Hélène qu'il contemple presque en spectateur. Cette partie de ténor lyrique fort sollicité dans l'aigu le voit parfois à la peine, mais il l'assume avec le talent qu'on lui connaît. Evgenia Murareva, il y a peu Lisa dans La Dame de Pique à Salzbourg, offre une Marguerite de belle stature et d'un soprano rayonnant, tout comme dans la partie d'Elena, habilement confiée à la même interprète. Personnage omniprésent de l'œuvre, le chœur est un autre atout de ce spectacle. Chœurs et Maîtrise de l'Opéra de Lyon y font montre d'une prestance et de qualités vocales hors pair, complètement investis dans une régie qui ne les ménage pas. Comme au final hymnique du Prologue, ou lors de la vaste fugue infernale qui clôt les déchaînements sabbatiques de l'acte II, un des moments les plus étonnants de la partition. Tout comme l'orchestre de l'Opéra dirigé avec brio par Daniele Rustioni. Le bouillant chef italien a la mesure de cette musique complexe et parfois déroutante. Où la luxuriance le dispute à une certaine austérité, les écarts dynamiques extrêmes à un ton résolument sombre. C'est que Boito cherche à concilier des éléments opposés, en tout cas disparates. Airs, duos, trios vocaux et vastes ensembles concertants sont soutenus par une instrumentation originale qui a peu d'exemple dans la musique de l'époque, habile à tracer l'univers sardonique : des cuivres menaçants, opérant souvent en coulisses, des bois traités dans le registre sombre, comme les bassons, unis aux cordes graves. Une partition qui ne renie pas les influences du Grand opéra français à la Meyerbeer, mais doit aussi peut-être à l'Œuvre d'art total voulue par Wagner, tout en favorisant une écriture mélodique très italienne. Ici défendue avec la même puissance évocatrice que celle dégagée visuellement par le spectacle. 

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Texte de Jean-Pierre Robert



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