Skip to main content
PUBLICITÉ
  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Frammenti intimissimi de Jacques Lenot

Jacques Lenot Frammenti intimissimi

  • Jacques Lenot : Cinq Fragments très intimes pour quatuor à cordes
  • Quatuor Tana
  • 1 CD L'oiseau prophète : 003. Sortie du CD le 15 octobre 2018
  • Durée du CD : 63 min 04 s
  • Note technique : etoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile grise (4/5)

Le large corpus des quatuors à cordes de Jacques Lenot (*1945) s'enrichit de cinq nouvelles pièces : les Frammenti intimissimi, composés pour le Quatuor Tana, interprètes choisis de sa musique de chambre. Le parcours atypique et autodidacte de ce musicien qui place la virtuosité instrumentale au centre de son écriture, atteint ici le stade de l'épure, décantation suprême de sa pensée.

LA SUITE APRÈS LA PUB

Même s'il a été révélé par Messiaen et a croisé la route de Stockhausen, Ligeti et Bussotti, l'univers de Jacques Lenot se situe à part de ces courants. Son langage est tout à fait particulier, d'une écriture complexe, tourmentée, poussée à un haut degré d'abstraction. Un univers pourtant d'une poétique intense. Les Cinq Fragments très intimes, composés entre 2006 et 2016, et créés en décembre 2016 à Lille, forment la suite logique des Sept Quatuors à cordes (1998-2013) et sont dédiés chacun à un des membres du Quatuor Tana (fragments 2 à 5) et au Quatuor dans son ensemble (fragment 1). Ils s'inscrivent aussi dans le sillage d'un premier essai malheureux, Sette frammenti, lors de sa création en 1977 au Festival de Royan. Le premier fragment reprend un procédé récemment apparu dans l'écriture de Lenot : la répétition à l'identique d'un motif, joué ici fff par le violon II sur des tenues ppp des trois autres instruments. Les divers partenaires échangent leur position de leader dont le cello dans une succession de climats rythmiquement denses puis raréfiés jusqu'au silence final. Le fragment II est le plus développé. Dédié à la celliste Jeanne Maisonhaute, il livre le chant du violoncelle qui s'épanche jusqu'à l'aigu sur des pizzicatos des trois autres cordes. Dans ce mouvement lent, le silence tient une place essentielle traversant les ''bruits'' de la musique. Les trois cordes semblent poursuivre leur chemin tandis que le violoncelle reste dans un singulier quant à soi. On remarque encore des effets de ricochets entre les trois autres protagonistes. Dédié au second violon Ivan Lebrun, le fragment III déploie sur des trémolos comme effleurés des trois autres, le chant du violon II, successivement fff ou pianissimo. Le bruissement du trio contrastant là encore avec le monologue du soliste poussé au suraigu, en particulier dans une fervente péroraison. 

Le fragment IV, écrit pour l'altiste Max Désert, est fait de traits rageurs, comme arrachés de l'instrument, se détachant d'un trio agissant dans une sonorité irréelle rappelant celle de l'harmonica de verre. Lenot capte ici l'insaisissable et le frondeur de sa propre personnalité. Une section plus volubile appert au médian du mouvement, car soudain le violoncelle reprend les opérations sur un dialogue vif des autres cordes. Fascinant jeu de rôles. Le dernier fragment, pour Antoine Maisonhaute, le 1er violon, centre le discours sur ce soliste, de manière très nourrie par rapport à tout ce qui a précédé. De brusques changements de rythmes et de larges écarts de dynamique l'entrecoupent, laissant de nouveau un temps la primauté au violoncelle. Puis le babillage général reprend son cours, traversé d'un expressif trait du violon I. Et tout finit comme en suspens au milieu d'une phrase, un peu ad libitum.

Quels meilleurs passeurs de cette musique savante que les Tana. Assumant crânement ce qu'elle contient d'inattendu dans son déroulement, parcours accidenté parsemé souvent de bribes de phrases. Mais aussi ce qu'elle exige de haute voltige instrumentale tout comme de souci d'abstinence pour restituer l'exactitude millimétrique animant le langage très ramassé et austère de Lenot. En habitués de cette écriture, on leur connaît l'aisance à se mouvoir au sein d'étonnants changements d'ambitus caractérisant aussi bien les parties ''solistes'' et les tenues ou le glacis des trois autres voix que les passages en tutti de l'ensemble des quatre voix. C'est sans doute de cette perpétuelle mutation que naît la poétique d'une rare intensité de ces compositions. Une acoustique sèche procure des sonorités presque cliniques, bien en accord avec le caractère abstrait du texte.

Texte de Jean-Pierre Robert 

LA SUITE APRÈS LA PUB


Autres articles sur ON-mag ou le Web pouvant vous intéresser


PUBLICITÉ