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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Les trois symphonies de Leonard Bernstein dirigées par Antonio Pappano

Bernstein Pappano CD

  • Leonard Bernstein : Symphonie N° 1, « Jeremiah ». Symphonie N° 2, « The Age of Anxiety ». Symphonie N° 3, « Kaddish »
  • Prelude, Fugue and Riffs for clarinet and jazz ensemble
  • Marie-Nicole Lemieux, mezzo-soprano (S. N°1), Beatrice Rana, piano (S. N°2), Josephine Barstow, récitante, Nadine Sierra, soprano (S. N°3), Alessandro Carbonare (Prelude)
  • Coro e Voci Bianche dell'Accademia Nazionale di Santa Cecilia
  • Orchestra dell'Accademia Nazionale di Santa Cecilia, dir. Antonio Pappano
  • 2 CDs Warner Classics : 0190295661588 (Distribution : Warner Classics)
  • Durée des CDs : 63 min 57 s + 48 min 56 s
  • Note technique : etoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleue (5/5)

Fière idée en cette année anniversaire de la naissance de Leonard Bernstein de réunir en CD ses trois symphonies. Un pan peu connu de son œuvre, peut-être éclipsé par le succès de West Side Story ou de Candide. Et pourtant, il y a bien à découvrir dans ces compositions, sur le musicien, sur l'homme Bernstein et ses préoccupations : « L'œuvre que j'ai écrite toute ma vie a pour sujet la lutte née de la crise de notre siècle, une crise de la foi », confiera-t-il en 1985. Ce thème de la foi, affirmée, discutée, réaffirmée est sans doute le mieux explicité dans les trois symphonies. Elles sont ici interprétées par Antonio Pappano et l'orchestre de l'Accademia di Santa Cecilia de Rome, une phalange avec laquelle Bernstein entretenait des liens étroits, pour en avoir été désigné en 1983 Président d'honneur. Joli clin d'œil de la part du chef italien, fervent admirateur de Lenny.

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La Symphonie N° 1, « Jeremiah » a été écrite en 1942 et créée deux ans plus tard par Bernstein lui-même. Le musicien dit avoir voulu « exprimer une émotion » à partir des paroles du prophète Jérémie. Au long de ses trois mouvements. Le premier, « Prophecy », marque « l'intensité de l'objurgation du prophète à son peuple », ce qui est traduit par de grands éclats d'orchestre et un tempo lent, marqué ''largamente''. Tout en opposition, le 2ème, « Profanation », veut donner quelque idée de la corruption qui s'est emparée du peuple hébreu. Le dialogue des bois en pépiement, la scansion soutenue de tout un orchestre à plein régime jusqu'à une danse de Sabbat confinant à une bacchanale dressent le contour d'une séquence d'une rare vivacité. Enfin « Lamentation », ou « le cri de Jérémie pleurant sur sa chère Jérusalem qu'il n'a pu sauver », progresse sur un tempo lent. Ce mouvement, le plus développé, fait appel à la voix, une voix de femme, ce qui fait exception dans la conception juive orthodoxe. Le texte est tiré des Lamentations : un poignant lamento sur une musique tour à tour puissante et d'une étonnante transparence, où les bois se voient réserver une place essentielle, comme tressant des volutes d'espérance. Le discours atteint un grand climax sur les mots « Éloignez-vous, ne nous touchez pas ! ». La coda sera apaisée sur les paroles « Fais-nous revenir vers toi, ô Éternel ». L'exécution qu'en livrent Pappano et ses forces romaines est d'une haute tenue et l'on remarque l'engagement de Marie-Nicole Lemieux.

Sept ans après, en 1949, est créée la Deuxième Symphonie, « The Age of Anxiety ». Une partie de piano concertant remplace peut-être le recours à la voix expérimenté dans l'œuvre précédente et qui sera repris dans la suivante. Elle est conçue sur un poème de l'anglais W. H. Auden : un groupe de jeunes, trois hommes et une femme, se rencontrent dans un bar de New York puis dans l'appartement de celle-ci, et discutent des maux du monde et de leurs propres vies solitaires. Ce thème de l'isolement est décliné au fil de deux parties, elles-mêmes divisées en trois sections. Bernstein utilise un vaste orchestre et un instrumentarium recherché avec un large brelan de percussions. Il amalgame les styles : musique européenne post romantique et des années vingt, musiques nord américaines, elles-mêmes empruntées tant à des auteurs comme Ives ou Copland, qu'aux tunes de Broadway. La partition fait se succéder une introduction lente, « The Prologue », presque chambriste avec ses clarinettes ppp, puis deux séries de variations très condensées, « Les sept âges », « Les sept stades », pages virtuoses, renfermant notamment une variation confiée au seul piano et une autre au piano accompagné de la petite harmonie. La seconde partie s'ouvre par un beau largo, « The Dirge » (le chant funèbre) confié aux cordes graves et menant à d'impressionnants climax. Suit « The Masque », sorte de scherzo à l'écriture pianistique comme virevoltante, très rythmée, jazzy, où l'on pressent des traits annonçant West Side Story. Dernier volet, « The Epilogue », ouvert par la trompette bouchée, referme un grand solo du piano qui semble tirer la conclusion ou la morale de l'histoire, « ultime et explosive cadence » dira Bernstein, avant un finale grandiose. Beatrice Rana y fait montre de brio, se déjouant d'une partie pianistique d'une redoutable diversité, étalée sur des écarts dynamiques extrêmes, et d'une technicité peu commune. Une évidente empathie entoure la direction d'Antonio Pappano qu'il assortit de saisissants contrastes comme à la fin des variations dans un rythme presque motorisé façon Chostakovitch. Magistrale démonstration d'orchestre.

La Symphonie N° 3, « Kaddish » est la plus ambitieuse quant à la défense du message de foi et de paix. Mais aussi eu égard à ses effectifs considérables : grand orchestre, chœur mixte, chœur de garçons, récitante et soprano. Conçu dès 1955, le projet n'aboutira qu'en 1961 pour être complété en 1963, au moment de l'assassinat de JF Kennedy. La symphonie est dédiée à sa mémoire. Elle sera révisée en 1977, notamment pour permettre au texte parlé d'être dit aussi bien par une femme que par un homme. Bernstein emprunte à la prière hébraïque du ''Qaddich'' et insère un texte de sa plume quant à ses propres interrogations sur la foi. L'instrumentarium est gigantesque avec, entre autres, 4 flûtes, 4 cors et 4 trompettes et une section plus que fournie de percussions. Elle se compose de trois parties. La prière du Kaddish revient dans chacune : dans la première après une introduction méditative en forme d'invocation, et suivie d'une fin on ne peut plus frénétique sur le mot ''Amen''. Dans la 2ème, elle est confiée à la soprano et au chœur de femmes sur des mélismes envoûtants. Ici intervient le texte de Bernstein, très critique vis à vis du créateur, dit par la récitante avec en contrepoint le chœur de femmes à bouches fermées, ce qui est suivi d'une séquence très agitée conduisant à la cadence du chœur sur un orchestre déchaîné. Le ton se fait plus emphatique, mais aussi d'une grande tendresse. La 3ème partie, de forme scherzo, est la plus conséquente : se succèdent le récitant interrogeant Dieu violemment, puis la dernière séquence de la prière, déclamatoire, et un finale, lui-même bipartite, sur le schéma adagio et fugue. Cette dernière d'abord calme avec intervention du chœur mixte et du chœur de garçons, évolue vers une péroraison grandiose, d'une joie jubilatoire. Antonio Pappano empoigne ce maelström, digne de Mahler quant à son ambitus, ménageant des contrastes on ne peut plus marqués, vrais sauts de dynamiques et scansions d'une force inouïe, déchaînements presque torrentiels ou passages très assagis. Ces derniers sont peut-être les plus singuliers, comme le rôle très développé qu'occupe le récitant. Le langage complexe qui mêle dodécaphonisme et diatonisme est magistralement décortiqué et ''explicité'', grâce à un orchestre galvanisé. Josephine Barstow, hier grande soprano verdienne chez Karajan, est déchirante dans la partie de la récitante, et Nadine Sierra solaire dans celui de la soprano.

En complément, la pièce Prelude, Fugue and Riffs pour clarinette et jazz ensemble (1955), montre un autre aspect de la palette de Lenny. Une fantaisie jazzy de la meilleure eau dont la troisième section « Riffs pour chacun » fait dialoguer la clarinette et le piano sur une batterie frénétique avec quelques clins d'œil à Gershwin. Irrésistible !

L'enregistrement, à l'auditorium de l'orchestre à Rome, offre une image claire et naturellement aérée sur tout le spectre, et celui-ci est large. La balance piano-orchestre dans la Symphonie N° 2 est quasi idéale. L'étagement des plans de ces vastes fresques, en particulier de la 3ème symphonie, procure un indéniable impact. La voix de la récitante en particulier, saisie de près, affleure comme en confidence.

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Texte de Jean-Pierre Robert

Disponible sur Amazon en CD et MP3



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