Skip to main content
PUBLICITÉ
  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

Festival de Salzbourg : étonnante recréation des Bassarides de Henze

Festival Salzbourg Bassarides 1
© SF/Bernd Uhlig

  • Hans Werner Henze : The Bassarids. Opera seria avec intermezzo en un acte. Libretto de Wystan Hugh Auden et Chester Kallman d'après « Les Bacchantes » d'Euripide
  • Sean Panikkar, Russell Braun, Willard White, Nikolai Schukoff, Karoly Szemerédy, Tanja Ariane Baumgartner, Vera-Lotte Böcker, Anna Maria Dur
  • Rosalba Guerrero Torres, danseuse soliste
  • Hector Buenfil Palacio, Flavie Haour, Katharina Platz, Javier Salcedo Hernandez, danseurs
  • Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor, Benjamin Chamandy, Csaba Markovits, Philipp Schöllhorn, Petro-Pavlo Tkalenko, solistes
  • Wiener Philharmoniker, dir. : Kent Nagano
  • Mise en scène : Krzysztof Warlikowski
  • Felsenreitschule, 16 août 2018, 19 h 30

Quelques cinquante-deux ans après sa création à ce même Festival de Salzbourg, The Bassarids de Hans Werner Henze y est remis sur le métier. Rejoignant ces reprises de grands opéras du XXème siècle, comme Les Stigmatisés de Schreker (2005), Les Soldats de Zimmermann (2012), Gawain de Birtwistle (2013) ou Lear de Reimann (2017). Aux côtés de créations telles que L'Amour de loin de Saariaho (2000), Charlotte Salomon de Dalbavie (2015) ou The exterminating Angel de Adès (2016). Gages de vitalité d'une institution qui n'entend pas s'endormir sur les lauriers des grands titres du répertoire, fussent ceux d'un passé récent. Pour cette nouvelle production de l'«Opera seria» de Henze, le festival aura mis bien des atouts de son côté en réunissant les Viennois, décidément partout à l'œuvre, le chef Kent Kagano et le régisseur polonais Krzysztof Warlikowski dont on sait le regard dérangeant qu'il porte lui aussi sur tout ce qu'il touche. Une autre fière réussite au crédit du festival 2018.

LA SUITE APRÈS LA PUB

Compositeur extrêmement prolixe, Hans Werner Henze (1926-2012) aura écrit outre dix symphonies et de la musique de chambre, une multitude d'opéras. Ainsi, entre autres, Boulevard Solitude (1951), Der Prinz von Hombourg (1958), Elegy for young Lovers (1961), Der junge Lord (1964) ou encore L'Upupa, créé en 2003, déjà à Salzbourg. Henze aime l'opéra mais reconnaît n'avoir jamais cherché à répéter quoi que ce soit dans sa production lyrique. Il s'est toujours appuyé sur des textes d'une indéniable qualité littéraire. Ainsi le poète anglais Wystan Hugh Auden, qui a aussi inspiré Britten, lui a-t-il adapté un épisode des «Bacchantes» d'Euripide. Un nouveau dieu, Dionysos est-il né de l'union de Jupiter et de Sémélé, la fille du vieux roi de Thèbes Cadmus ? L'arrivée d'un étranger précédé d'une fabuleuse réputation, intrigue le peuple qui pourtant s'enflamme à pareille nouveauté, au point de troubler l'austère roi Panthée. Celui-ci n'hésite pas à se grimer en femme pour se joindre à l'incontrôlable hystérie ambiante et sera mis à mort, décapité, par les bacchantes, dont sa propre mère Agavé. Se révélant être le dieu Dionysos, l'étranger clame être venu pour venger sa mère Sémélé, condamne Cadmus et Agavé à l'exil et exige de la foule qu'elle le révère. Sur un tel sujet, Henze a composé une œuvre extrêmement symphonique. À l'aune de l'évolution du langage du compositeur au fil des ans, qui du sérialisme a plusieurs fois changé de direction, dans un éclectisme et un refus du dogmatisme qui lui valurent l'opprobre de collègues comme Nono ou Boulez, celui développé dans The Bassarids est pluriel, mêlant atonalité et lyrisme presque sensuel. Le thème des bacchantes lui a inspiré une musique fort contrastée qui associe ainsi deux univers bien distincts : l'un atonal, dissonant, pour décrire le monde de Thèbes, l'autre, tonal, aux sonorités presque voluptueuses, figurant l'univers de Dionysos. Si elle est bourrée de clusters tonitruants, la partition sait s'assagir, notamment par le traitement des cordes, à l'occasion jouées «sul ponticello», et le recours à des instruments originaux comme la guitare ou la mandoline. Bien sûr, l'orchestre est pléthorique, pourvu de sections impressionnantes de bois (flûtes et clarinettes par 4, bassons par 3, outre un contrebasson) et de cuivres (pas moins de 6 cors, de 4 trompettes, de 3 trombones). Le brelan des percussions est tout autant fourni, dont tam-tams, cloches de vaches, bongos, maracas ou wood-blocks, contraignant, même dans le vaste espace de la Felsenreitschule, à les disposer sur une estrade surélevée dans la partie droite du plateau. 

Festival Salzbourg Bassarides 2
© SF/Bernd Uhlig

Alors que la création salzbourgeoise en 1966 l'avait été dans la version allemande, on a fait choix, cette fois, de la version d'origine en anglais, qui avait été créée en 1968. Krzysztof Warlikowski s'emploie à décrypter une action touffue, exacerbée, qui remarque-t-il, se concentre sur la masse, celle du peuple de Thèbes, versatile comme l'est toute foule en proie à la survenance d'un événement nouveau et extraordinaire. Séduits par le culte de Dionysos, femmes et hommes savent s'enfoncer dans l'irrationnel et le chaos, même à l'appel d'un inconnu dont on ne sait rien. La foule recherche une sorte de leader, de prophète, et lui préfère sans doute la nouveauté à tout ce que le roi Panthée représente de stable et de respectable. La pièce juxtapose en permanence deux niveaux, celui d'une lutte familiale, et celui de la «perspective sociale». Pour maîtriser la vastitude du plateau, on a divisé l'aire de jeu en quatre parties : au centre, le palais royal, à droite, la chambre d'Agavé, lieu plus intime où son fils Panthée se réfugie en proie au doute, à gauche un endroit neutre où vont se dérouler rituels et culte bachique, enfin à l'extrême gauche une sorte de montagne, lieu essentiel de la mythologie grecque, où se prolongent folles agapes et sagas populaires. L'action interagit en ces divers lieux sans solution de continuité, rehaussée d'éclairages fantasmagoriques fort suggestifs (Felice Ross) où domine la couleur sang, et de projections sur toute la hauteur de la roche. Choristes et solistes se voient assigner une gestuelle volontairement emphatique. Comme lors de l'Intermezzo qui sépare l'action en son milieu, sorte de théâtre sur le théâtre, où se joue une vraie fausse tragi-comédie, parodie de la réalité, ici fort appuyée dans sa visualisation, en soulignant le grotesque. Un autre moment crucial voit la tête de Panthée promenée au bout d'une pique, tel un trophée, parmi une masse réjouie. Celle-ci est traitée avec une particulière habileté, depuis son intervention dans la salle au début de l'opéra, jusqu'à ses circonvolutions désordonnées partout sur le plateau, en particulier lors de la scène des ménades où tout se déchaîne dans une faramineuse bacchanale. Pour souligner encore cette ivresse de la raison et des sens, une danseuse complètement nue évolue en contrepoint et ira jusqu'à délivrer une danse érotique d'une sauvagerie inouïe.

Festival Salzbourg Bassarides 3 
© SF/Bernd Uhlig

Cette réalisation d'un étonnant réalisme est servie par une distribution fort investie. Singulièrement pour ce qui est des deux rôles pivots de Panthée et de Dionysos qui évoluent à la frontière du chant et de Sprechgesang. Russell Braun et Sean Panikkar y triomphent haut la main. La voix de Heldenbaryton bien sonore du premier se déjoue des écarts de dynamique dont est truffée cette partie, et le ténor américain Sean Panikkar, un nom nouveau et la découverte d'un vrai talent, offre au second un timbre aussi clair que claironnant, assumant lui aussi les diverses facettes d'un personnage étrange. Leurs deux échanges, cœur même de l'opéra, sont un modèle de vrai théâtre, réglés de main de maître par Warlikowski. À leurs côtés, le Cadmus de Willard White est, comme toujours chez ce chanteur, empreint de grandeur : la sagesse du patriarche. Tanja Ariane Baumgartner prête à Agavé un timbre de mezzo soprano expressif. De nouveau fort sollicités, les Chœurs de l'Opéra de Vienne se distinguent par l'intensité aussi bien scénique que vocale. La régie ne les ménage assurément pas ! La palme revient encore aux Wiener Philharmoniker. Nouveau chalenge. Car jouer partition aussi exigeante simultanément avec celles de Tchaikovski et de Strauss (outre de Mozart pour une Flûte enchantée qui aura au demeurant fait couler beaucoup d'encre), tient du tour de force, sans compter les prestations au concert. Mais l'éclectisme de cette phalange n'est plus à démontrer. Ce qui n'est pas une raison pour ne pas le souligner. Kent Nagano entraîne ces forces d'exception avec brio, et toute l'expérience acquise au contact de l'opéra ''contemporain'' comme le Saint François d'Assise de Messiaen ou L'Amour de loin de Saariaho, ici même. Il aborde la foisonnante partition de Henze dans une perspective différente de celle de la création, car remarque-t-il, ce qui était alors considéré comme «un nouveau langage», est maintenant, et avec le recul, techniquement plus aisé à traduire, notamment pour ce qui est des minutieuses indications portées par le musicien. Sous sa baguette précise, aussi bien l'expressivité des grands moments de lyrisme que les formidables déchainements d'un orchestre comme en fusion paraissent presque aller de soi. Un spectacle loin de laisser indifférent.

LA SUITE APRÈS LA PUB

Texte de Jean-Pierre Robert



Autres articles sur ON-mag ou le Web pouvant vous intéresser


PUBLICITÉ